Arnaud Montebourg était candidat à la primaire socialiste de 2011. Cet ouvrage de 80 pages peut être considéré comme étant son programme. S’il nous intéresse aujourd’hui, c’est par cette analyse très précoce de l’arrêt de la mondialisation qu’il prône, et qui semble se diffuser de plus en plus dans les milieux politiques européens.

Arnaud Montebourg commence par une citation de Keynes en 1933 :

« Les idées, la connaissance, l’art, l’hospitalité, les voyages sont là des choses qui par nature doivent être internationales. Mais produisons les marchandises chez nous chaque fois que c’est raisonnablement et pratiquement possible. ».

Il a ensuite laissé d’Emmanuel TODD résumer les problèmes qu’il va dénoncer : « la destruction de la vie économique et de la démocratie par le libre-échange, l’égoïsme des puissances exportatrices, l’impossible socialisme redistributif et l’inefficacité du socialisme d’ajustement. »

Arnaud Montebourg propose ce programme de démondialisation pour lutter contre l’appauvrissement collectif et individuel actuel, contre l’impuissance face à la violence de l’économie qui est un désastre pour tous ceux qui n’ont d’autres ressources que celles que leur apporte leur travail : ouvrier et technicien, femme élevant seule ses enfants, cadre du secteur privé victime du management sans âme, jeune diplômé qui passe de stage en stage, agriculteur, patron de PME, chômeur, qui ressentent que cette Europe qu’on leur a tant vantée ne les protège pas des plans sociaux que l’escroquerie de la mondialisation leur ont infligés depuis plus de vingt ans et dont il dresse les constats.

Pour lui, les effets de la mondialisation sont les mêmes sur toute la planète, même si les situations sont diverses :

  • A Lille, on délocalise avec comme seule alternative proposée aux ouvriers, le licenciement ou le travail au Brésil ou en Turquie pour 300 € par mois.
  • En Allemagne, la loi Hartz IV propose des « 1-euro-jobs » de l’heure, ou des jobs à 400 € qui permettent aux patrons d’être exonérés de charges mais pour lesquels aucune cotisation retraite ou assurance-maladie n’est versée.
  • A Cleveland, on ne compte plus les ménages victimes des subprimes et qui ont dû abandonner leur maison, ou s’ils ont eu de la chance racheter leur prêt qui en quintuplera le prix.
  • En Chine, les semaines de travail sont de 60 heures et les congés annuels de 12 jours quand les conditions de travail sont bonnes ; c’est pourquoi, les délocalisations à l’intérieur de la Chine sont envisagées.
  • En Inde, les cultures vivrières ont été abandonnées au profit de cultures rentables comme le coton ou le soja. Si les cours chutent, il ne reste plus aux agriculteurs qu’à aller chercher du travail en ville avec la seule certitude de grossir les bidonvilles.
  • Quant aux chauffeurs routiers polonais, avec la possibilité d’ouvrir une filiale en France, leur entreprise peut les payer au salaire polonais, la moitié des salaires français.

« La mondialisation, c’est l’effondrement du pouvoir d’achat des bulletins de vote » (Eric Laurent)

Tous sont victimes de la mondialisation, un système qui a méthodiquement organisé cette mise en concurrence mondiale, sans limites et sans scrupules, sans foi ni loi, et font partie aujourd’hui des bataillons de travailleurs pauvres. Le bilan de la mondialisation est un désastre. Ainsi, en trente ans, deux millions d’emplois industriels ont été détruits en France 30% des effectifs. Arnaud Montebourg cite Jacques Sapir qui estime que les pertes liées aux délocalisations représenteraient environ 4 % de la population active, presque la moitié du chômage actuel.

Le libre-échange généralisé n’est un progrès ni pour les travailleurs du nord qui ont perdu ce qu’ils avaient chèrement acquis, ni pour ceux du sud qui n’ont pas gagné grand-chose, si ce n’est rien.

L’erreur fatale, c’est qu’à la place des Etats souverains, on a installé des entreprises qui sont devenues plus fortes qu’eux, plus riches qu’eux. Ces multinationales ne servent pas l’économie, elles ne servent qu’elles-mêmes. Contrairement à ce qu’on nous raconte, ces grands groupes ne renforcent pas la position économique de la France dans le monde, car pour vendre, elles doivent aussi offrir leur technologie, leurs secrets. De plus, ces sociétés ne paient que 12 % d’impôt contre 26 % en moyenne pour les PME.

Le libre-échange a pris en otage la souveraineté des peuples, leur droit de choisir librement leur fiscalité, leur droit du travail, leur niveau de salaire. Les Etats se sont à leur tour laissé désarmer, laissé pendre dans les filets de cette économie du chantage, abandonnant leurs moyens d’action politique sur l’économie. Les Etats sont maintenant dans les mains des marchés financiers et de la dette publique.

Arnaud Montebourg nous résume ainsi le libre-échange : des chômeurs au Nord, des quasi-esclaves au Sud, les ressources naturelles détruites presque partout, le pouvoir aux financiers et l’impossibilité pour les peuples de s’auto-déterminer. Et s’est installé le sentiment que les élites économiques et politiques se sont enfermées dans le confort de leur mondialisation heureuse, dans des croyances artificielles, indifférentes au sort du plus grand nombre.

La gauche n’a pas répondu à l’aspiration du peuple français. Elle n’a d’autres solutions aujourd’hui que d’ouvrir un nouveau chemin politique. Il faut entendre l’appel au politique qui monte des classes populaires et des milieux des entrepreneurs. Il n’est plus possible de répondre aux citoyens que la mondialisation est un fait qui s’imposerait à nous, parce qu’elle serait un ordre naturel, alors qu’elle n’est que le résultat de choix politiques. Or tout choix est réversible ; ce qui a été fait peut-être défait.

Les dénonciations sans solutions ne suffisent plus, les « rustines sociales » non plus. Le socialisme redistributif est une impasse car il prolonge la vie d’un système condamné, tout autant que son compère le socialisme d’ajustement celui qui veut nous adapter à la mondialisation. Les travailleurs veulent pouvoir vivre de leur travail.

Le projet qu’il veut conduire, inventer le nouveau modèle français de l’après crise, après l’écroulement de l’ancien modèle français de l’après-guerre, vise à rendre la République française et l’Union européenne plus fortes que la mondialisation, que l’économie et les marchés pour libérer les hommes des chaînes dans lesquelles les ont laissés leurs prédécesseurs. Il propose une nouvelle stratégie politique et économique de création de richesses, seules capables de faire vivre chacun De Son Travail.

Arnaud MONTEBOURG propose un keynésianisme du XXIème siècle, c’est-à-dire un protectionnisme à la fois créatif, moderne, dépoussiéré, surtout pas revanchard, mais social et vert. Vert, parce que le changement climatique est d’intérêt planétaire. Même, nous dit-il, l’OMC reconnaît l’intérêt supérieur que représente pour les nations la préservation de l’environnement, par préférence aux intérêts du commerce. En effet, dans son traité fondateur, la préservation de cet objectif est l’un des rares motifs justifiant les restrictions par les Etats au libre-échange.

Donc tous les pays du monde peuvent limiter les importations de produits qui dégagent plus de CO2 que ceux fabriqués sur place. En résumé, pourquoi leur faire faire 10 ou 20 000 km avant de les consommer ?

Dans ce nouveau modèle de démondialisation, les Etats doivent consacrer leurs efforts productifs à reconquérir leurs marchés intérieurs. Au Sud, il s’agit de distribuer de meilleurs salaires pour permettre aux habitants d’acheter la production destinée jusqu’ici à l’exportation et au Nord, de reconstruire les industries perdues pendant ces années de mondialisation. Il s’agit de privilégier l’échelle locale, de préférer le producteur au consommateur, avec comme priorité les technologies vertes.

L’Union européenne devra pour accepter l’importation de produits d’où qu’ils viennent, poser des conditions sanitaires, environnementales dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre ; et sociales, respectant la protection des travailleurs. Les décisions économiques stratégiques ne peuvent plus être laissées au marché ni aux technocrates, mais doivent faire l’objet de débats et de choix démocratiques.

Les consommateurs doivent avoir accès à l’information concernant le contenu social et environnemental des produits qui leur sont proposés, mais aussi aux registres des entreprises concernant leurs actionnaires, leurs comptes pays par pays. Il s’agit de lutter contre la corruption et de sanctionner les Etats qui refuseraient de coopérer.

Mais Arnaud Montebourg est parfaitement conscient que ses propositions ne pourront voir le jour sans une coopération avec l’Allemagne. Les deux puissances sur lesquelles reposent l’UE et l’euro ont accumulé de graves divergences à la fois économiques et politiques. L’Allemagne a fait preuve d’actes d’égoïsme, suicidaires pour elle et pour l’Union. Le « modèle allemand » n’est pas ce que l’on croit.

Si la force de ses PME et la puissance de sa recherche-développement sont à envier, l’écrasement des salaires (de 1998 à 2010, le pouvoir d’achat de chaque salarié allemand a baissé de 1%) et le mode de partage de la valeur créée par les entreprises en faveur des actionnaires le sont moins.

Et l’Allemagne entend appliquer cette austérité de fer à tous les pays de l’Union. Par l’appauvrissement de ses salariés, l’Allemagne est devenue « la Chine de l’Europe », celle qui exporte à tout prix, entraînant obligatoirement un déficit dans les autres pays européens. Le modèle allemand, c’est un gagnant et 27 perdants. Mais quand tous seront à genoux, qui achètera les produits allemands ? Cette stratégie conduit inexorablement à la désintégration de l’Europe.

Une stratégie intelligente franco-allemande consisterait à augmenter conjointement les salaires, pour stimuler la demande intérieure allemande et l’investissement français. Les pays d’Europe doivent faire des efforts concernant la discipline budgétaire, car il n’est pas question que l’Allemagne paie pour tous. Le maintien de l’euro ne pourra se faire qu’en relation avec un protectionnisme vert. Il faut discuter de sa gestion qui ne peut-être comme c’est le cas aujourd’hui placé en seul pilotage automatique, sans tenir compte de la situation économique au sein de l’Union européenne.

Il conclut en rappelant le principe des primaires et son mode de fonctionnement…

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