La décision semblait inévitable. La rumeur enflait depuis déjà plusieurs mois, et les concepteurs de l’épreuve ne se privaient plus de sorties tonitruantes dans la presse spécialisée comme pour confirmer leur aversion à l’égard de cet exercice.

C’en est donc fini de la fameuse carte de l’ESCP. A l’origine, cet exercice avait été pensé pour permettre aux étudiants d’ajouter plus aisément une dimension géographique à leur travail et de se focaliser sur l’histoire et la géopolitique à l’écrit. Dans la pratique, les correcteurs ont vite constaté année après année que la perspective de plancher sur une carte au concours en plus de la classique dissertation réjouissait peu les principaux intéressés. « C’est le moins que l’on puisse dire ! » renchérit Éric Come, professeur de géopolitique en classe préparatoire au lycée des Trois-Colombes (57). « A l’instar de l’informatique, les candidats ont toujours pris la cartographie à la légère. Mes étudiants admettent sans complexe qu’ils jugent que la carte sert uniquement à rehausser les notes et que s’entrainer pour celle-ci est une perte de temps. »

Il est vrai qu’au concours, les notes descendent rarement en dessous de 3/5. « Lorsque j’ai corrigé les compositions de l’année dernière portant sur les espaces maritimes, j’étais sidérée de voir que de nombreux étudiants, qui proposaient par ailleurs une copie convenable voire très satisfaisante, se permettaient de dessiner des mouettes « en V », des  bateaux ou des poissons sur leur rendu cartographique » déplore Isabelle Hallézieu, également professeure en classe préparatoire. De son propre aveu, elle a rarement sanctionné cette désinvolture assumée, pourtant à la limite de l’insolence : « Les autres correcteurs avec qui j’ai travaillé avait beau faire le même constat, nous n’étions pas enclins à sanctionner de telles copies. Les concours sont quelque chose d’éprouvant et on pouvait aisément comprendre que des candidats se servent de cette carte comme d’un exutoire après avoir disserté pendant près de quatre heures. En toute honnêteté, nous étions bien souvent unanimes pour dire que les managers de demain ne seraient jamais amenés à faire de la cartographie, que l’exercice n’était en plus pas vraiment discriminant et donc dénué d’intérêt. »

Même son de cloche du côté de l’ESCP. Dans l’enceinte de la prestigieuse école parisienne, le constat est tout aussi sévère. « Nous avons fait une erreur en instaurant la cartographie parallèlement à la dissertation il y a de ça dix ans (en 2006, ndlr). Aujourd’hui, il est temps d’arrêter ce simulacre » juge Kyle Nular (l’Etudiant.fr, 29/03/16), professeur d’économie à l’ESCP et responsable de l’épreuve de géopolitique. « Nous ne manquions pas chaque année, lorsque le rapport du jury était publié, de s’extasier sur la pertinence et le bien-fondé de l’exercice cartographique, censé permettre aux étudiants de développer une analyse toujours plus exhaustive et une approche multi-scalaire du sujet. Hélas, nous n’avions que peu d’arguments à avancer face aux railleries de nos homologues en charge de l’exercice d’ESH, propre à la voie E, qui considéraient la cartographie comme du gribouillage. La plupart du temps, cela se résumait effectivement à cela pour une majorité d’étudiants : colorier maladroitement des ensembles plus ou moins cohérents et placer quelques villes sur un planisphère. Cela a considérablement décrédibilisé l’épreuve ESCP malheureusement. Les étudiants doivent apporter une réflexion personnelle, ils ne sont ni en art plastique ni en train de jouer au globe parlant ! »

Le rejet de la cartographie est tel que M. Nular aurait un temps pensé la supprimer dès cette année, avant de reculer face au tollé général. Si les candidats du millésime 2017 devront se contenter d’une simple dissertation, il n’est pas exclu que l’épreuve évolue de nouveau l’année suivante : « Nous restons attachés à l’idée de se distinguer des autres sujets d’HGGMC, notamment celui de l’ESSEC. Pourquoi ne pas proposer dès 2018 une sorte « d’écriture d’invention » pour étayer la dissertation ? Il s’agirait d’inventer la suite de l’Histoire avec un grand H en une trentaine de lignes. Le projet est encore embryonnaire et est loin de faire l’unanimité dans le rang des concepteurs du sujet. Néanmoins, nous nous accordons à dire que cette idée certes saugrenue sera toujours moins mauvaise que celle de l’instauration du commentaire de carte dans les sujets Ecricome en 2007 ! »