La construction européenne a été marquée par 60 ans de crises institutionnelles. Retour sur ces faits en quelques dates marquantes.

1954: Échec de la communauté européenne de défense

En 1950, face à l’émergence de la menace communiste, Jean Monnet (commissaire général du Plan français) propose à l’Europe des Six (France, RFA, Italie, Benelux) le projet d’une Communauté Européenne de Défense (CED), véritable armée européenne et instance supranationale. Ce projet, reposant donc sur la mise en place d’une autorité militaire et politique européenne unique, fut considéré par ses détracteurs comme l’outil d’une perte de souveraineté nationale. Ainsi, le projet fut refusé par l’Assemblée nationale française en août 1954, ce qui entraina sa fin. La France, qui jusqu’alors s’était présentée comme le défenseur de la construction européenne, perd alors en crédibilité.

1963 : Premier rejet de la demande d’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté économique européenne

En 1961, le Royaume-Uni dépose pour la 1ère fois sa candidature à la CEE pour maintenir son rôle d’intermédiaire entre l’Europe et les Etats-Unis. Bien que l’opinion des Etats de la CEE apparaissait favorable à cette adhésion, les négociations s’avèrent difficiles car la Grande-Bretagne, en mettant en avant sa puissance et son régime de « préférence impériale » vis à vis des pays du Commonwealth, demande plusieurs dérogations et refuse le tarif extérieur commun. Derrière la question de l’adhésion ou non de la Grande Bretagne à la CEE se cache celle du choix entre deux visions antagonistes de la construction européenne: celle d’une Europe atlantiste ou d’une Europe continentale. Hormis la France, tous les Etats européens se disent prêts à faire des concessions mais le véto du général De Gaulle, le 14 Janvier 1963 met définitivement un terme aux négociations. Une nouvelle demande déposée en 1966 se heurte de nouveau au véto du général De Gaulle.

1965 : La crise de la chaise vide

En 1965, la France s’oppose à deux réformes de la CEE:

  • La proposition de Walter Hallstein, président de la Commission européenne sur le financement de la Politique agricole commune (PAC), qui confère plus de pouvoirs aux instances supranationales européennes au détriment de la souveraineté nationale des Etats membres.
  • La décision selon laquelle dès le 1er Janvier 1966, les décisions relatives à la construction européenne seront prises à la majorité au conseil des ministres et non plus à l’unanimité.

Dès lors, les Etats membres ne parviennent pas à atteindre un consensus avec la France ce qui pousse le général De Gaulle à suspendre la participation de la France aux réunions du Conseil des ministres et à rappeler les représentants français siégeant à Bruxelles. Cette situation, qui dure 6 mois, n’est réglée qu’en janvier 1966 avec le « compromis de Luxembourg » selon lequel un pays estimant que ses intérêts essentiels sont en jeu a le droit de s’opposer à la décision majoritaire. Ce compromis, dont les termes sont abstraits, revient de facto à un droit de véto pour chacun des Etats membres. Dès lors, chaque décision doit bien être prise à l’unanimité.

Focus sur le cas britannique : dès 1957, noyau de contestation du projet européen

Face à la création de la CEE en 1957, les britanniques ont répondu avec la création de l’AELE en 1959 (Association Européenne de Libre-Echange) dont l’objectif est de créer une zone de libre-échange concurrente à celle de la CEE. En 1961, finalement impressionnés par les performances de la CEE, le Royaume-Uni demande à joindre cette dernière et cette demande sera acceptée en 1973.

Mais ce choix s’est toujours fait dans l’optique d’influencer la CEE vers ce que le Royaume-Uni désirait : minimiser l’intégration politique afin de conserver sa souveraineté politique et faire avancer l’intégration économique vers plus de concurrence et de libre-échange seulement, en refusant de perdre le contrôle de sa politique monétaire.

Le comportement britannique a donc fait office de barrage au projet européen tel qu’il a été envisagé par les allemands et les français. Voici quelques points de contestation :

  • Sous Thatcher, le Royaume-Uni s’oppose à l’idée de transferts budgétaires entre pays en demandant que les versements à la CEE soient équilibrés par rapport aux contributions britanniques au budget européen.
  • Lors de la création de la mise en place des processus de convergences entre les pays pour préparer à la création de l’euro (1994-1999), le Royaume-Uni exige une clause d’opt-out lui permettant de participer au processus de convergence que cela soit conditionné par l’adoption de l’euro pour sa part.

Pourquoi ce refus de l’euro ? Pour ne pas perdre le contrôle de sa politique monétaire, d’une part, et pour conserver l’attractivité de la place financière de la City, fortement liée au prestige de la livre sterling. Ce refus de la monnaie unique se retrouve aujourd’hui aussi chez l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Lord Mervyn King (La fin de l’Alchimie, 2016) pour qui « la zone euro est vouée à l’échec ».

1992 : La crise du SME et le refus du projet monétaire européen par les marchés

Dans ce que l’on appelle « la crise du SME » il y a en fait 3 sous-crises qui se sont succédées. En septembre 1992 de violentes attaques spéculatives ont visé les monnaies les plus faibles du SME, à savoir l’Italie et le Royaume-Uni. La forte inflation de ces pays en faisait des cibles de choix car ils avaient d’autant plus de risque de dépasser les marges de fluctuations de change définies en 1992 lors de la création du SME (+/- 2,25%). On peut donc comprendre cette première crise qui, liée aux fondamentaux des pays (situation des variables réelles), précipitera la livre et la lire hors du SME en septembre 1992.

Première incohérence: après la sortie de ces deux pays du SME, la spéculation se tourne contre le Franc français alors que la situation de ses fondamentaux est favorable à son respect des marges de fluctuation définies autour de l’ECU (European Currency Unit). Ces attaques seront suspendues suite à un agissement concerté entre la Bundesbank et la Banque de France pour les contrer.

De Novembre 1992 à Février 1993 les attaques spéculatives vont reprendre contre les pays nouvellement entrés dans l’UE (Espagne, Portugal, Grèce…) qui se verront forcés de dévaluer leur monnaie. Cette crise entre dans une certaine logique puisqu’elle répond à ce que l’on appelle l’Effet Bootstrap (Iwai & Wright) : la monnaie est acceptée par les agents s’ils anticipent qu’elle le sera par tous les autres. En conséquence, les monnaies nouvellement créées sont moins acceptées donc victimes d’attaques spéculatives accrues car l’on n’est pas sûr de savoir si elles seront acceptées par les autres acteurs ou non. C’est ce qui s’est passé durant cette crise !

Deuxième incohérence: l’acharnement des spéculateurs reprend envers la France malgré encore une fois une situation réelle satisfaisante. Cette obstination sera payante car durant la crise de Juillet-Août 1993, la France va atteindre la borne inférieure du SME, mettant fin aux marges de fluctuations resserrées au profit de marges plues élargies (+/- 15%).

Alors la question est la suivante : pourquoi les spéculateurs se sont-ils attaqués avec tant de virulence au SME européen ? A deux reprises les spéculateurs se sont attaqués au pilier du SME, le pays dont la sortie des marges de fluctuation entraînerait la fin du SME, la France. A deux reprises, cela n’a pas été justifié. Pourquoi ? Il y avait certes un objectif de tirer du gain à court terme de la spéculation (comme ce fut le cas pour George Soros qui a décroché le gros lot en entraînant la sortie du Royaume-Uni du SME en spéculant). Mais il y avait aussi une raison plus profonde qui tient à une remise en cause du projet monétaire européen : les spéculateurs n’avaient pas intérêt à la création de l’euro car cela allait entraîner une perte de revenu pour eux (ils n’allaient plus pouvoir spéculer sur les monnaies entre elles). Or le SME était un pas de plus vers l’euro, d’où leur acharnement.

2008 : Crise financière et montée de l’euroscepticisme

En 2008, les pays du sud de l’Europe étant frappés par la crise, des mouvement sociaux s’y organisent: le mouvement des indignés en Espagne, le parti Syriza en Grèce… Ces mouvements ne représentent un danger pour l’Union Européenne que s’ils sont ignorés. En effet, bien qu’ils soient très critiques vis à vis de la gestion de la crise euro, aucun ne remet en cause l’intégration européenne. Bien au contraire, ces mouvements ont d’abord eu tendance à multiplier les manifestations paneuropéennes.

Néanmoins, à la crise de 2008 s’ajoute de nombreuses crises géopolitiques: La situation chaotique des pays limitrophes de l’UE menace la région et la crise des migrants depuis 2010 a conduit de nombreux pays européens à fermer leurs frontières, remettant dès lors en cause Schengen. A ces crises géopolitiques s’ajoute le fait que certains pays membres de l’UE ne respectent pas les critères de Copenhague: c’est notamment le cas de la Hongrie, de moins en moins démocratique. Dès lors, les idéaux de l’UE ne sont plus respectés et on remarque une véritable montée des eurosceptismes, certains pays commençant à voir l’UE plus comme une menace que comme une perspective d’avenir. La preuve de cet eurosceptisme nous est clairement fournie par les résultats aux élections européennes de 2014 où les partis eurosceptiques gagnent en pouvoir: le Front National finit en première position des partis français avec 22 sièges sur 74, tout comme le parti anglais UKIP (UK Independence Party) avec 22 sièges sur 73. Malgré ces signes précurseurs, la victoire des eurosceptiques au référendum du 23 Juin 2016 en faveur de la sortie du Royaume Uni de l’UE (51.9 VS 48.1) secoue l’UE et bouleverse les repères.

2009 : Premières menaces pour l’euro avec la crise grecque

En 2009 les élections législatives sont remportées par Georges Papandréou qui révèle que l’état des finances grecques a été maquillé par les anciens politiques au pouvoir. Le déficit public est en réalité de 12,7%, bien loin des 3% définis dans le Traité de Maastricht et rappelés dans le Pacte de Stabilité et de Croissance (1997).

Suite à des politiques d’austérité infructueuses pour tenter de réduire le déficit, la Grèce fait appel au FMI et à l’UE pour une aide financière internationale. S’ensuivent 2 plans de sauvetage (2010, 2011) mis en oeuvre en échange de mesures d’austérité drastiques (gel du salaire des fonctionnaires, licenciements, baisse du salaire minimum…).

De la crise grecque sont nés plusieurs doutes :

  • Quant à la stabilité de la zone euro

En creusant son déficit et sa dette publique, la Grèce est en mesure d’influencer la situation des autres pays détenteurs de l’euro. Ces pays ont pu être évoqués comme une “cordée d’alpinistes” (N.Roubini) : la chute de la Grèce peut entraîner celle des autres pays par la corde qui les relie (l’euro), ou du moins renforcer le poids sur leurs épaules pour poursuivre l’ascension. En effet, le sauvetage grec est coûteux, il engage des banques françaises (15 milliards d’euros) et allemandes (22Md) et a fortiori les contribuables. On s’inquiète donc d’une éventuelle contagion de la crise grecque à la zone euro, d’autant plus que ces difficultés se doublent de la crise des dettes souveraines qui entraîne Espagne, Portugal et Irlande — qui seront plus tard surnommés les “PIGS” (Portugal, Ireland, Greece, Spain) par les marchés — dans les difficultés financières et budgétaires.

  • Quant à la viabilité de l’euro lui-même

Le cas grec ne reflète-t-il pas l’empressement des autorités européennes à faire naître l’euro ? Quand la Grèce rejoint l’euro en 2001, elle ne vérifie pas les critères de convergence. Du fait d’une interprétation des critères de convergence en tendance, certains pays ont été autorisés à adopter l’euro même s’ils ne vérifiaient pas ces critères. Ce fut le cas de la Belgique et de la Grèce : on pensait que ces pays allaient bientôt remplir ces critères, mais ce ne fut pas le cas pour la Grèce. Rappelons pourtant que la vérification de ces critères de convergence est nécessaire pour la viabilité d’une monnaie car des divergences internes pourraient entraîner son éclatement (un peu comme le cas de la crise du SME, causée en partie par des divergences réelles).

2016 : Suite au Brexit, l’Union Européenne doit se réformer si elle veut éviter l’éclatement

Nous vous invitons à consulter l’article d’Anatole Kaletsky que nous exposons.

A cause du Brexit, sortir de l’UE est désormais une option réaliste pour tous les autres pays-membres. En sortant de l’UE, le Royaume-Uni laisse derrière lui la porte ouverte pour d’autres pays comme l’Italie (Mouvement Cinq Etoiles) et la France par exemple. Dès lors, afin de survivre, la bureaucratie de l’Union Européenne doit se flexibiliser pour s’adapter aux pressions politiques exercées par les pays (le Royaume-Uni et ses exigences en matière d’immigration, les pays du sud souhaitant des réformes fiscales et financières…). Ce faisant, l’UE deviendra plus démocratique car elle sera à l’écoute de ses citoyens.

Co-rédigé par Nouha Idrissi et Sarah Abdesselam.