Démondialisation géopolitique

Au vu de l’actualité récente (Covid-19, entre autres), l’idée d’une démondialisation émerge de plus en plus chez les économistes et politologues. Depuis quelques années, on aurait en effet touché les limites d’une mondialisation des excès, dont les déséquilibres seraient devenus trop importants par rapport aux bénéfices de départ (l’idée utopique d’un « monde sans frontières »).

Ainsi, il n’est pas exclu qu’un tel sujet, « La démondialisation est-elle possible ? », puisse tomber aux concours en HGGMC, malgré sa dimension très géoéconomique. En effet, même si le sujet « La mondialisation est-elle irréversible ? » est déjà tombé en ESH (matière principale de l’ancienne voie ECE) en 2018, il est tout à fait vraisemblable qu’un thème qui s’en rapproche puisse tomber en HGGMC – surtout que la nouvelle réforme de prépa ECG entend faire converger de plus en plus les matières ESH et HGGMC…

De plus, même si ce sujet ne tombe pas tel quel aux concours, le thème de la mondialisation ou la notion de démondialisation sont des éléments incontournables dans le programme d’HGGMC, d’où l’analyse du sujet suivant. Bonne lecture !

Accroche de la dissertation

Sur un tel sujet, il peut s’avérer judicieux en accroche de faire appel à Walden Bello, auteur de l’ouvrage La démondialisation, idées pour une nouvelle économie mondiale (2011).

En effet, dans La démondialisation, idées pour une nouvelle économie mondiale, Walden Bello remet en cause l’ordre bâti par les États-Unis triomphant dans les années 90, et plus largement la mondialisation financière. Il évoque l’unilatéralisme et l’ordre libéral en échec. Il critique les institutions de Bretton Woods (FMI et BM), qui ne serviraient plus que les intérêts des pays du Nord, et les FTN, pour leur impact social et environnemental.

Définitions et analyse des termes du sujet

Walden Bello prône alors la démondialisation, à comprendre comme une alternative au système globalisé incarné par l’OMC. C’est un modèle qui donne une priorité aux marchés intérieurs et aux relocalisations, par opposition au système basé sur les exportations, appelant alors à une réforme de la gouvernance globale. Cette idée de démondialisation est à relier avec le retour du protectionnisme visible aussi bien au Nord (Trump, Brexit) qu’au Sud.

Cependant, cette idée de démondialisation paraît toutefois utopique, voire illusoire : tous les acteurs, à toutes les échelles, semblent interconnectés dans un monde plus globalisé que jamais (État, FTN, société civile – « village global »).

La problématique

Peut-on parler d’une possible démondialisation ou d’un retour généralisé du protectionnisme (Trump, Brexit), alors même que le monde n’a jamais été aussi interconnecté et interdépendant ?

Alternative : Dans quelle mesure le retour du protectionnisme (Trump, Brexit) et l’idée d’une démondialisation apparaissent utopiques et illusoires dans un monde aussi interconnecté et interdépendant que celui d’aujourd’hui ?

Concepts et auteurs pouvant être utilisés dans une copie de géopolitique

K. Polanyi – La grande transformation (1944)

K. Polanyi évoque les apories du système libéral dès la fin du XIXᵉ siècle (« main invisible du marché » serait un mythe) : les économies de marché ont bouleversé les sociétés qui n’ont pas pu s’adapter aux déséquilibres causés par la dérégulation et la libéralisation. La Grande Dépression (1873-1896) a d’ailleurs transformé ce capitalisme libéral qui ne fonctionnait plus.

J. Stiglitz – La grande désillusion (2002)

Dans cet ouvrage, J. Stiglitz critique les institutions de Bretton Woods (FMI, BM) qui auraient fait évoluer leurs missions dans le sens des intérêts des pays du Nord : mise en place des plans d’ajustement structurel (PAS) au Sud et enchaînement de solutions inadaptées (mise en place de politique d’austérité, ignorance du risque social ; cf. crise « tequila » au Mexique, 1994).

P. Krugman – Pourquoi les crises reviennent toujours (2008)

P. Krugman analyse la multiplication des crises financières depuis 1970. Il en dénombre 147 de 1970 à 2007.

Plus concrètement, il critique le « shadow banking system » qui serait responsable de ces crises (shadow banking system : ensemble des acteurs qui agissent dans les marchés financiers sans être soumis aux mêmes règles).

F. Bourguignon – La mondialisation de l’inégalité (2012)

F. Bourguignon remarque que les inégalités ont décru à l’échelle globale (entre les pays), mais se sont accrues à l’intérieur des pays (notamment pour les classes moyennes occidentales). Mais pour autant il convient de souligner, qu’à défaut que la démondialisation soit envisageable, elle n’est peut-être pas souhaitable pour tous.

B. Milanovic – Les inégalités mondiales (2019)

B. Milanovic est économiste majeur, spécialiste des questions de pauvreté et d’inégalités générées par la mondialisation. Il est à l’origine de la « courbe de l’éléphant », souvent connue par les étudiants de prépa.

Le principe de ce schéma est simple : les populations qui se sont enrichies plus grâce à la mondialisation sont les gens les plus pauvres des PMA, les classes moyennes des pays en développement (PED) ainsi que les plus riches des pays développés à économie de marché (PDEM). Autrement dit, cette courbe de l’éléphant permet donc de montrer que la mondialisation a été l’occasion d’une redistribution des richesses à l’échelle mondiale, une redistribution se faisant à l’avantage des populations les plus riches et les plus pauvres, mais au détriment des classes moyennes occidentales.

P. Veltz, La société hyperindustrielle (2017)

P. Veltz est un auteur pertinent, à mobiliser pour faire un constat assez simple : la surexploitation et la pression sur les ressources terrestres vont croissant. Il rappelle d’ailleurs que le « overshoot day » (jour de dépassement) des ressources avance chaque année (29 juillet 2019). En un chiffre, pour bien comprendre : la Chine a consommé davantage de ciment entre 2008 et 2010 que les États-Unis sur tout le XXᵉ siècle.

T. Friedman, La terre est plate : une brève histoire du XXIᵉ siècle (2005)

Les trois mondialisations (1492-1800, 1800-2000, depuis 2000) se traduisent par un aplanissement/une horizontalisation du monde. Pour le dire autrement, à chaque cycle de la mondialisation, on assisterait à l’émergence d’un « monde plat », c’est-à-dire interconnecté et interdépendant. La crise de la Covid-19 est une puissante corde de rappel de ce constat.

Walden Bello, La démondialisation (2011)

Pour Walden Bello, la régionalisation pourrait être une alternative viable et souhaitable entre la mondialisation et la démondialisation. Il propose ainsi de construire un consensus sur le nouvel ordre mondial qui passerait par la mise en place de blocs régionaux, qui porteraient les aspirations des sociétés civiles de tous les pays ainsi que des accords bilatéraux qui se substitueraient aux accords multilatéraux (RCEP, TAFTA, CETA).

Concept clé : la recomposition des chaînes de valeur 

L’éclatement des chaînes de valeur survient dans le contexte des années 1980 et de recherche d’optimisation des coûts. Plus concrètement, cette recomposition des chaînes de valeur passait par :
1/ Des délocalisations qui visaient à baisser les coûts de main-d’œuvre et éviter les coûts sociaux et environnementaux (c’est-à-dire l’essor de la NDIPP), un processus pensé pour bénéficier des avantages comparatifs de chaque État. Exemple de Nike, iPhone, poupée Barbie.
2/ Une augmentation de la productivité dans les usines en utilisant davantage de moyens technologiques.

Résultat en 2021: nécessité de réindustrialiser, voire de relocaliser – typologie des stratégies de recomposition.
I – Aux États-Unis : retour d’un protectionnisme (renégociation ALENA, tensions avec la Chine autour de Huawei).
II – En France : développement de clusters (Saclay).
III – Au Sud : stratégie de remontée en gamme qui passe par une remontée des filières – exemple de Made In China 2025.

Suzanne Berger, Notre première mondialisation, leçon d’un échec oublié (2003)

L’éminente politologue américaine Suzanne Berger cherche, elle, à souligner la capacité des États à mettre en place des mesures pour lutter contre les déséquilibres de la mondialisation en les rendant plus supportables. Dès lors, il serait efficace de citer S. Berger pour proposer des solutions viables pour pallier les déséquilibres de la mondialisation en grand III par exemple. Selon S. Berger, lors de la 1re mondialisation (1893-1914), les États ont réussi à mettre en place des politiques sociales et des politiques fiscales pour faire face aux difficultés liées à la Grande Dépression. Un même effort serait possible aujourd’hui : s’ils en ont la volonté politique, les États pourraient tout à fait mettre en place des politiques de régulation de la mondialisation, comme elle le souligne.

Suggestion de plan détaillé

I – L’idée d’une démondialisation émerge pour différentes causes…

A – L’idée d’une « démondialisation », du moins d’un libéralisme à mieux réguler, n’est pas nouvelle…

Voir ci-dessus : K. Polanyi – La grande transformation.

B – Mais la démondialisation semble aujourd’hui plus que jamais nécessaire pour résoudre les crises systémiques caractéristiques de la mondialisation financière des années 80

Voir ci-dessus : J. Stiglitz – La grande désillusion.
Voir ci-dessus : P. Krugman – Pourquoi les crises reviennent toujours.

Typologie des crises depuis les années 80 :
1/ 1980 – Crise de la dette.
2/ 1987 – Krash d’octobre significatif des déséquilibres du système financier.
3/ 1990 – Éclatement de la bulle japonaise significatif des excès de la financiarisation et le danger des bulles spéculatives.
4/ 1994 – Crise « tequila » au Mexique.
5/ 1997 – Crise asiatique met en cause la mobilité des capitaux et le comportement spéculatif des marchés. 
6/ Début des années 2000 – Bulle Internet montre les effets de la spéculation.
7/ 2008 – Crise des subprimes.
8/ 2010-2013 – Crise de la zone euro, réplique du séisme financier de 2008.

C – Les trois principales externalités négatives de la mondialisation – accroissement des inégalités, destruction de l’environnement et essor d’une mondialisation noire –, causes du rejet actuel de la mondialisation financière

Le rejet actuel de la globalisation est clairement visible par l’essor d’une nébuleuse altermondialiste qui (cf. les émeutes de Seattle de 1999, la fondation du Forum Social Mondial de Porto Alegre – sorte d’« anti-Davos », ou encore le mouvement Occupy Wall Street de 2011). En effet, trois majeures externalités négatives de la mondialisation sont source de contestation, d’indignation.

Concernant les inégalités :
Voir ci-dessus : F. Bourguignon – La mondialisation de l’inégalité.
Voir ci-dessus : B. Milanovic – Les inégalités mondiales.

Concernant la destruction de l’environnement par la mondialisation, critique du productivisme :
Voir ci-dessus : P. Veltz, La société hyperindustrielle.

Concernant l’essor d’une mondialisation noire, d’un « antimonde » (R. Brunet) :
Voir : R. Saviano – Gomorra.

II – Pour autant, une démondialisation apparaît tout de même utopique, voire illusoire, du fait de l’interconnexion des économies entre elles

A – Des économiques interdépendantes dans un contexte de compétition internationale

Voir ci-dessus : T. Friedman, La terre est plate.

Pour illustrer cette interdépendance des économies, deux études de cas sont ici possibles.

Choix 1 : Il existe encore de nombreuses puissances basées sur des modèles d’exportation.
Exemple : Le modèle chinois repose encore largement sur les exportations. Dès lors, la Chine a besoin d’un yuan faible par rapport au dollar pour pouvoir placer ses excédents : seul le marché américain paraît suffisamment profond pour absorber les liquidités chinoises.

Choix 2 : Les agricultures productivistes du Nord tendent à se diffuser dans un contexte de compétition internationale.
Exemple 1 : la PAC a, certes, permis une souveraineté alimentaire au sein de l’UE, mais un tel schéma n’est pas reproductible à l’échelle de la planète (nuisances environnementales).
Exemple 2 : Révolution verte indienne permise par l’utilisation des VHR, de l’irrigation, des engrais et pesticides (2ᵉ consommateur mondial derrière les US).

B – … Avec au centre un G2 (Z. Brzezinski) ou Chinamérique (N. Ferguson) interconnecté

Les économies américaine et chinoise sont largement interdépendantes :
I) La Chine dispose en 2019 de 1 100Md$ de dette américaine.
II) Les Américains nourrissent les excédents chinois.
III) Importance de la diaspora chinoise aux US (22,4 % de la population asiatique).

Les deux économies pèsent 25 % de la population mondiale, 1/3 du PNB mondial et 60 % de la croissance des années 2000. À cet égard, A. Grjebine parle d’ailleurs d’un « équilibre des déséquilibres ».

C – Et des questions urgentes qui nécessitent une gouvernance mondiale et un engagement de tous : l’urgence environnementale

Dans un tel sujet, il est important de rappeler l’urgence de la question écologique, sur laquelle la plupart des États s’accordent, et montrer ainsi les limites du modèle productiviste. En effet la question écologique est une question scalaire par excellence – les phénomènes locaux ayant un impact global (Amazonie), et inversement, l’imbrication des échelles rend la question environnementale assez compliquée à gérer. Dès lors, une gouvernance mondiale semble nécessaire pour mobiliser une pluralité d’acteurs (communauté internationale, États, régions, FTN, société civile). À cet égard, dans Illusions financières, G. Giraud (économiste français) propose ainsi d’engager une transition écologique à l’échelle globale : c’est-à-dire, passage à des énergies décarbonées.

III – En réalité, on assisterait à une régionalisation du monde qui s’imposerait comme alternative viable aux externalités négatives de la mondialisation, et qui poserait alors de nouveaux défis

A – Vers une régionalisation du monde, alternative entre la mondialisation et la démondialisation ?

Dans cette sous-partie, il serait judicieux de mentionner le blocage actuel de l’OMC pour expliquer pourquoi la régionalisation pourrait être une solution.

Petit récap sur le blocage de l’OMC : les 160 membres semblent incapables de trouver des solutions sur la question des subventions des produits agricoles et sur la libéralisation des services (échec du Round de Doha). De plus, les États-Unis dénoncent la mondialisation qui ne profiterait qu’à la Chine – accusation de dumping, vol de propriété intellectuelle, question du statut de la Chine comme émergent.

Pourquoi pas, on pourrait aussi ici proposer une petite typologie des différentes zones d’intégration régionale qui fonctionnent/ont fonctionné (AEUM, RCEP, ASEAN, SADC, UE, Mercosur, CEDEAO, CAN, Schengen).

B – Qui pose la question de la géographie industrielle – vers une réindustrialisation du Nord et une montée en gamme au Sud : une recomposition des chaînes de valeur ?

Voir ci-dessus : La recomposition des chaînes de valeur.

C – … Et d’un retour de l’État et des politiques de régulation pour limiter les externalités négatives de la mondialisation

Voir ci-dessus : S. Berger – Notre première mondialisation.

Conclusion

Plus qu’une démondialisation qui paraîtrait illusoire ou encore utopique, on assisterait peut-être en réalité à une « slowbalisation » (The Economist), c’est-à-dire un ralentissement du commerce mondial, consécutif aux trois chocs : celui de 2008 (crise financière), de 2016 (élection Trump + Brexit = divorce des classes moyennes occidentales avec la mondialisation qui peut se voir à travers la crise des Gilets jaunes) et de 2020 (Covid).

Peut-être que l’idée d’une démondialisation serait une opportunité pour corriger les excès de la mondialisation passée, une occasion de mieux concilier protection de l’environnement et croissance et inclusion sociale ?