Transports géopolitique

Mondialisation contemporaine, tourisme, matières premières, ambitions de la puissance chinoise… Autant de thèmes qui sont pourtant tous reliés par une composante essentielle : les transports. En effet, cette notion se retrouve dans de nombreux thèmes du programme d’HGGMC en prépa ECG, en étant parfois peu explorée.

Les transports sont grandement liés au processus de mondialisation. Leur évolution va de pair avec ce phénomène. Outre cette dimension géoéconomique, la dimension géopolitique est aussi indéniable : les transports sont le reflet du jeu géopolitique et économique. Qu’il soit terrestre, maritime, aérien ou spatial, le transport peut dévoiler les rapports de force entre les États et/ou entreprises, sous fond d’enjeux économiques et politiques.

Il peut alors être intéressant de s’intéresser à cette thématique puisqu’elle pourrait être un sujet aux concours en HGGMC. En outre, elle s’accorde parfaitement avec le module II étudié en première année sur la mondialisation contemporaine.

Proposition d’accroches pour un sujet sur les transports en prépa ECG

Première accroche : démarrons avec une citation de John Kasarda, en 2000, qui affirmait : « Les aéroports dessineront le développement urbain et l’implantation des entreprises au XXIᵉ siècle comme l’ont fait les autoroutes au XXᵉ, les chemins de fer au XIXᵉ et les ports au XVIIIᵉ. » Il semblerait donc que le rôle des transports soit primordial : il détermine les processus d’évolution et comment l’économie mondiale se réorganise en fonction de ces nouvelles formes de transport. John Kasarda suggère donc qu’une évolution des transports précède et entraîne une évolution du modèle économique.

Deuxième accroche : selon Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, la crise de la Covid-19 a entraîné un ralentissement sans précédent du transport aérien (–80 % de passagers par rapport à 2019, moitié du chiffre d’affaires). Il faudrait attendre 2025 pour retrouver un nombre de touristes semblable. En outre, cette crise sanitaire a permis une prise de conscience écologique : on assiste à une crise mondiale du transport aérien qui doit donc effectuer sa transition énergétique.

La crise sanitaire a donc révélé la faiblesse du transport aérien, qui n’est pas adapté aux enjeux écologiques actuels et qui doit encore se réinventer. Ainsi, les transports s’enracinent dans des contextes différents et doivent toujours se réadapter, subir des mutations pour correspondre aux nouveaux enjeux contemporains mais, paradoxalement, sont aussi à l’origine de nouvelles mutations.

Définitions et analyse des termes du sujet

Enjeu : ce qui est en jeu, ce qu’on peut perdre ou gagner à court terme, qui s’oppose à la notion de défi qui agit sur le long terme.

Géoéconomie : l’analyse des stratégies économiques (commerciales) des États pour les entreprises nationales dans la mondialisation, Edward Luttwak pense désormais que la géoéconomie prévaut.

Géopolitique : l’étude des rapports de force entre puissances dans les territoires à travers les relations internationales, devenues, selon Bertrand Badie, de plus en plus intersociales (donc, question de la sécurisation à l’ère des attentats ou de la simple piraterie).

Transports : moyen de transporter des hommes ou des marchandises, et donc moyen de mobilité, de liaison entre différentes régions. Ils permettent des échanges, de la coopération mais induisent donc des centres/périphéries, des interfaces, de nouveaux rapports entre différents lieux, ceux qui en pâtissent vs ceux qui en bénéficient, donc un des éléments indispensables à l’économie mondialisée.

Monde contemporain : monde caractérisé par la mondialisation contemporaine, c’est-à-dire l’augmentation, l’intensification, la multiplication et la massification des flux de toute nature, c’est un « phénomène géohistorique d’expansion progressive du capitalisme à l’échelle mondiale » (Laurent Carroué), qui aboutit à des phénomènes de « surintégration » et de « surexclusion ». Un monde apolaire (Richard Haass), monde multipolaire. On peut évaluer cette période qui commence à partir de 1945, et donc, a fortiori, faire de la géohistoire (Crise de Suez et fermeture du Canal, guerre des Six Jours et fermeture du canal de Suez).

Typologie des transports : aérien (avion), maritime (tanker, méthanier, vraquier [charbon], câbles sous-marins), terrestre (autoroutes, axes routiers secondaires et ferroviaires [LGV], mais aussi gazoducs et autres pipelines [géopolitique des tubes]).

Problématique pour ce sujet de géopolitique

Les transports témoignent donc des évolutions techniques des différents siècles et permettent de développer des nouveaux échanges, qu’ils soient économiques ou humains. Dans le contexte de la mondialisation contemporaine, les transports deviennent indispensables pour répondre aux besoins du capitalisme libéral, fondé désormais sur la multiplication des transactions.

Les transports sont donc au cœur de notre mondialisation contemporaine, et sans eux, aucun échange ne serait possible. La modernisation des transports traduit des mutations du système-monde (Olivier Dollfus), donc sont-ils toujours au départ des cycles de la mondialisation ou doivent-ils désormais s’adapter aux nouvelles exigences de la mondialisation ? Quelles relations induisent-ils entre les acteurs, des États aux organisations régionales, des FTN aux citoyens usagers ou simples consommateurs ? Quels rôles jouent les transports dans une société désormais numérisée, caractérisée par l’instantanéité mais aussi de plus en plus mobile, marquée par le développement du tourisme, et plus largement des activités du secteur tertiaire, et l’élévation du niveau de vie avec une moyennisation des populations ?

Plus généralement, en quoi les transports sont-ils à la fois vecteurs de la mondialisation et des mobilités, et catalyseurs des limites de la mondialisation ?

Idée de plan détaillé avec concepts clés à réutiliser

I. Les transports : moteurs [sans mauvais jeu de mots] de la mondialisation contemporaine

A. [Géohistoire] Les transports sont au cœur des dynamiques du système économique mondial…

Il s’agit dans cette sous-partie de faire de la géohistoire et de rappeler l’évolution des transports par rapport à un contexte précis.

Les transports sont à l’origine des grandes révolutions industrielles et ont permis d’aboutir à un nouvel ordre économique, et ici, celui de la mondialisation.

  • XIXᵉ siècle : chemin de fer > permet le passage d’une éco agraire et rurale à une société industrielle et commerciale, mais aussi urbaine.
  • À partir des années 1920 : le développement de la voiture (fordisme, toyotisme) et du transport aérien est à l’origine d’un accroissement des mobilités (humaines), à savoir le début d’une interconnexion croissante.
  • Seconde moitié du XXᵉ siècle : développement des transports maritimes par la conteneurisation.

L’innovation dans les transports a permis le développement de la mondialisation : changement technique avec la conteneurisation, inventée par Malcom McLean en 1956 (conteneur = boîte normalisée et standardisée adaptée au transport multimodal, « épine dorsale de la mondialisation » [L. Carroué], car elle permet la standardisation de l’emballage et le gain de temps lors des ruptures de charge). Cette évolution, accompagnée de la chute des tarifs douaniers, est l’un des facteurs essentiels dans la mise en place des chaînes de valeur mondiales (GVC) et de la DIPP.

Parallèlement, pour les produits à haute valeur ajoutée et les hommes, on note des progrès dans l’aérien (développement des aéroports [accélération des rotations], des avions [taille, rapidité]), comme dans la marine marchande (navires à plus grande capacité).

Les transports ont opéré des changements organisationnels avec la logique du hub and spoke (réseau avec trafic en étoile), le long des façades maritimes (Northern Range, façade de l’Asie du Sud-Est), hinterland (arrière-pays continental) vs foreland (avant-pays océanique), au-delà du circumterrestre.

B. … et dessinent la mondialisation contemporaine avec une architecture de lieux et d’espaces qui en sont les relais

Les concepts clés à développer dans cette sous-partie :

  • Archipel Mégapolitain mondial (Olivier Dollfus), développement d’une économie d’archipel (Pierre Veltz) (Singapour, Dubaï), phénomène de métropolisation.
  • Aérotropolis (John Kasarda) : vaste région urbaine cosmopolite ouverte sur le monde qui se développe autour des aéroports.
  • Hyperlieux (Michel Lussault) : lieux intenses où s’inventent des nouvelles formes de vies sociales et politiques.
  • Cluster maritime : regroupement des armateurs, des ports, centres de recherche et métiers gravitant autour du transport maritime.
  • Plateformes, centres logistiques : concentration des flux de transport, interface entre la longue distance et le trafic de proximité.
  • Intermodalité : utilisation de deux modes de transport.

C. … [Géoéconomie] en participant particulièrement à l’essor du transport maritime

On assiste à une maritimisation de l’économie, car 90 % des échanges de marchandises se font par voie maritime.

  • Typologie des marchandises transportées : marchandises diverses avec les vraquiers, marchandises spécialisées avec les pétroliers, etc.
  • Réseau des routes maritimes reliant les ports entre eux, ce sont de véritables points nodaux des échanges internationaux : ils nécessitent des dispositifs de surveillance des trafics pour les navires. Ce réseau évolue donc en permanence. Avec la fermeture du canal de Suez entre 1967 et 1975, on assiste à la naissance des supertankers.
  • Ports : épicentres de façades.
  • Pratique de feedering (éclatement d’une cargaison et cabotage).
  • Détroits et canaux : choke point (passage clé).
  • Armateurs : Maersk (danois), CMA CGM, MSC.
  • Système de pavillons (y compris de complaisance [Libéria, Panama, etc.] et pavillons bis).

Ainsi, les transports permettent la maîtrise d’un territoire par la création d’infrastructures et sont un moyen de s’intégrer à la mondialisation.

II. Les transports : sources d’asymétries, de divergences et de rivalités

A. Les transports sont des marqueurs de nouvelles spatialités, entre interactions et concentrations, avec un phénomène d’anisotropie (espace ordonné selon des axes qui obéissent à des polarisations [espaces attractifs vs répulsifs])

[Démarche multiscalaire] : l’opposition centres/périphéries peut être accentuée (ou réduite) par le maillage des transports.

  • À l’échelle mondiale : pays littoraux/pays enclavés donc importance du trafic maritime + mégapoles souvent portuaires.
  • À l’échelle régionale : foreland vs hinterland.
  • À l’échelle étatique : métropoles vs périphéries/provinces avec l’effet tunnel (perte d’accessibilité pour les pôles secondaires lors de constructions de LGV/autoroutes/aéroports) > privilégie la rapidité et donc effacement des autres pôles secondaires, effet de détournement, création de corridors entre des espaces interconnectés.
  • À l’échelle locale : centre (activité économique, pouvoir décisionnel) avec offre variée de réseaux de transports (métro, périphériques, vélos)/périphérie délaissée (moins desservies).

B. … et deviennent des enjeux géopolitiques pour des protagonistes (États/FTN) en quête de contrôle et de puissance

  • Géopolitique des tubes : pipelines (ou oléoducs) qui peuvent être à l’origine de rivalités transfrontalières (exemple : North Stream I et II [opposition des EU] par la Baltique, construits notamment par la Russie contre l’Ukraine).
  • Maîtrise des détroits (détroits de Malacca, d’Ormuz…) qui sont des points clés pour transporter, sécuriser et consolider ses approvisionnements, primordiaux surtout depuis la maritimisation de l’économie.
  • Contrôle des canaux (de Suez [12 % du commerce mondial, 10 % du pétrole, 8 % du gaz], de Panama [USA=bi-océaniques]).

C. … et ainsi reflètent la dynamique mondiale

Basculement vers le monde asiatique.

    • Importance des 12 ports asiatiques qui se trouvent dans les 15 premières places pour le trafic conteneurisé.
    • Importance du détroit de Malacca, désormais emprunté par les plus grands porte-conteneurs.
    • Importance des ZES chinoises, et des pays asiatiques en général, fondées sur les exportations, les façades maritimes et donc délaissement de la province intérieure (cas de la Chine).
    • Politiques du collier de perles, des « nouvelles routes (maritimes et terrestres) de la soie » et de la territorialisation des îles.

=> Monde asio-pacifico-centré, voire sino-centré ?

III. Les transports sont désormais confrontés à de nouveaux enjeux et défis contemporains

A. Les transports doivent faire face à une demande croissante et une population de plus en plus mobile et interconnectée…

  • Augmentation de la population et du niveau de vie avec l’émergence de classes moyennes (moyennisation) qui sont plus capables de voyager, et donc qui sont plus mobiles.
  • => Répondre à une demande grandissante : volonté d’être toujours plus performant, plus rapide (développement des activités de fret express).
  • Accroissement du tourisme : 3,7 milliards de touristes dans les aéroports en 2016.
  • => Assurer la continuité et l’équité territoriale pour les territoires enclavés/isolés (désenclaver les populations qui le demandent) et donc financer des aménagements.

B. … tout en répondant aux enjeux géopolitiques des États

Étude de cas : OBOR (One Belt, One Road) devenu BRI (Belt and Road Initiative) : la Chine a entrepris la construction d’infrastructures de transport (axe ferroviaire, ports) reliant ses métropoles à l’est de l’Europe (l’Europe de l’Est = démocraties populaires) en passant par l’Asie centrale : clé pour étendre son influence (accords bilatéraux, prêts avec la BAII, consensus de Pékin, « La Chine place ses pions », Julie Zaugg). But de ce projet : développer des régions enclavées, devenir une plateforme incontournable des échanges, ce qui témoigne donc d’un basculement du centre de gravité avec une prise de contrôle (majorité des capitaux du Pirée d’Athènes), financement (port de Gênes), ou sécurisation (Djibouti).

Projet gazoduc Eastmed entre Chypre/Grèce en janvier 2020, pour réduire la dépendance aux hydrocarbures russes et établir une nouvelle coopération.

Parallèlement, le cas de la Turquie est intéressant : la Turquie souhaite devenir le maillon clé du couloir méridional d’approvisionnement gazier de l’Europe avec des gisements gaziers (TANAP, TurkStream).

Nouveaux enjeux : le transport spatial (avec le lancement de satellites et la course à Mars [actualité]).

C. … et satisfaire les enjeux écologiques et sanitaires qui émergent

Transports maritimes à l’origine de nombreuses pollutions : cas des marées noires (1978, pétrolier Amoco Cadiz, 1999 : pétrolier Erika au large de la Bretagne), donc engagements (UE = obligation des pétroliers à double coque en 2015).

Transports aériens aussi : 2,4 % des GES mondiaux, sixième plus gros pollueur du monde.

Le développement durable est donc un défi : comment satisfaire approvisionnements énergétiques, comment aménager les espaces en tenant compte des écosystèmes.

=> Transports en ville évoluent : moins de voitures polluantes (initiative C40), et plus de transports écologiques (vélos, trottinettes électriques).

Conclusion

Incontestablement, les transports sont au cœur des mutations du système mondial et ont permis l’avènement d’une mondialisation, fondée sur une massification et une intensification des échanges à travers le monde. Ils sont les garants de notre économie mondialisée et participent des mobilités intenses. Néanmoins, ils révèlent aussi les défauts de cette mondialisation : polarisation de lieux (façades maritimes, métropoles), création de logique centre/périphérie et contribution à renforcer ces discriminations, car ils répondent à la demande économique croissante.

 

Références

Pour développer sur la problématique des transports par rapport aux enjeux géopolitiques actuels et aux choix étatiques, la conférence sur « Les enjeux géopolitiques des transports et de la logistique. Chine, Europe, France : quelles stratégies ? » en 2019 du cercle Géopolitique par Laurent Livolsi, maître de conférences en sciences de gestion à l’AMU et chercheur au CRET-LOG, semble pertinente.

Celui-ci développe tout d’abord la stratégie chinoise, démarrée en 2013 par le discours de Xi Jinping, qui se définit en trois objectifs : mettre en relation les chaînes de valeur mondiales, sécuriser les approvisionnements du pays et faire de la Chine un pays auquel on peut se fier. Il semblerait qu’une nouvelle géographie mondiale se mette en place, la Chine adoptant le rôle central. En outre, il insiste sur la réponse européenne face à ce projet : l’Italie lui cède deux ports (Trieste et Gênes), d’autres semblent plus réticents. À cela, il précise la stratégie française à l’égard des transports : les ports français sont indispensables pour l’entrée de biens sur le marché européen mais sont concurrencés. Il existerait aujourd’hui des opportunités pour la France : investir en Turquie, en Égypte et aux pays du Maghreb, là où la Chine investit de plus en plus en raison des nouvelles routes de la soie, redéfinir sa stratégie qui est seulement modale pour en faire une politique globale, à savoir coordonner les décisions industrielles et logistiques car la mondialisation évolue vers un système de grandes régions.

Et pour en savoir plus sur la Chine dans ce domaine, n’hésite pas à consulter ces super articles sur sa puissance maritime ou sur l’histoire du projet des routes de la soie.