Blonde, blanche ou même rouge, en terrasse au soleil, entre copains à l’apéro, devant le foot ou tout simplement en soirée, la bière est un incontournable de l’été mais bien plus encore pour quiconque souhaitant égayer son quotidien. Rien de tel qu’une petite étude des enjeux de son commerce pour se remettre dans le bain.  Nous pourrons nous demander en quoi le commerce de la bière montre-t-il que le processus de mondialisation ne peut totalement outrepasser des contraintes propres au local et donc s’adapter à lui ? Nous verrons que le marché de la bière tend vers l’oligopole mais que paradoxalement le commerce de bières locales se développe. Les grands groupes doivent ainsi s’adapter à ce nouveau phénomène inévitable puisque la bière apparaît presque comme un marqueur culturel et social.

Un marché qui tend vers l’Oligopole mais qui fait face au retour du local avec les « Craft Beers »

Trois grands groupes se partagent le haut du panier. Le belgo-brésilien ABInBev qui a acquis SAB Miller (autrefois deuxième groupe mondial) en 2016 domine le marché de la tête et des épaules avec 30,5% du commerce de bière dans le monde et quelques 500 marques comme par exemple la Corona, la Leffe ou encore la Budweiser très prisée aux Etats-Unis. Ce groupe ultra-puissant est le résultat d’un processus de développement exponentiel réalisé à coups d’acquisitions majeures.

En 1989, le fonds d’investissement 3G Capital rachète le brésilien Brahma, devient Inbev puis acquiert peu à peu nombre de ses concurrents comme Anheuser-Busch en 2008 et enfin SAB Miller pour la modique somme de 107 milliards de dollars – cette opération entrant dans le top 5 des plus grosses acquisitions de l’histoire. Cette acquisition va permettre de pallier une faiblesse d’ABinBev dans les marchés émergents d’Afrique où SAB Miller est très présente.

Toutefois, afin d’obtenir les accords des différentes autorités de régulation, ABinBev a dû s’engager à céder de nombreuses activités de la future entité fusionnée. Par exemple, l’entreprise a accepté de vendre la participation de 49% de SAB Miller dans Snow Breweries, le plus important producteur de bière en Chine.  Suit ensuite relativement en retard par rapport au précédent mastodonte le néerlandais Heineken (Affligem, Pelforth, Amstel), avec 9,1% de parts de marché et un chiffre d’affaire de 1 milliard d’euros en 2016. Enfin, le danois Carlsberg complète le podium avec plus de 500 marques de bière en plus de la bière du même nom que la compagnie comme la Grimbergen, la 1664 ou la Kronenbourg et environ 6% de parts de marché.

Les « crafts beers » ou bières artisanales sont les bières brassées sur le lieu de leur vente par des brasseurs artisanaux ou « craft breweries ». Ce terme désigne généralement les bières produites à base d’une recette traditionnelle ou inspirée d’une tradition régionale ou locale. Ce terme peut avoir plusieurs définitions en fonction des contextes légaux et nationaux.

Elle englobe généralement la catégorie des microbrasseries, dont la production sur place de bière n’excède pas un certain volume qui, là-aussi, varie en fonction de l’encadrement juridique. Ce mouvement est né en Grande-Bretagne dans les années 1970 lors de l’instauration de la Campaign for Real Ale, une organisation indépendante de consommateurs, toujours existante à l’heure actuelle, qui a pour but de promouvoir une version traditionnelle et de qualité de la brasserie par rapport aux méthodes employées par les firmes multinationales.

Le phénomène s’est progressivement répandu en Europe ainsi qu’aux Etats-Unis où il est particulièrement développé. En effet, outre-Atlantique, le  « craft brewer » est un statut réglementé. La brasserie doit être de petite taille, indépendante (moins de 25% de la boisson doit être contrôlée par une firme du secteur des boissons alcoolisées) et la bière traditionnelle, brassée à partir de matières premières traditionnelles. On peut citer quelques brasseries américaines reconnues pour leurs crafts beers : Flying Dogs, Toppling Goliath ou encore Russian River… En Europe, les microbrasseries poussent comme des champignons. C’est le cas notamment en Italie ou au Royaume-Uni. En France, le phénomène est moins intense mais néanmoins significatif.

Poussant ainsi les grands groupes à s’adapter, non plus seulement aux lois de la concurrence internationale, mais également à cette nouvelle donne…

Au niveau global, le marché est en mutation. Les grandes firmes sont présentes partout dans le monde. Dans les pays traditionnellement consommateurs, les boissons alternatives comme les vins ou les cocktails semblent gagner du terrain aux dépens de la bière. La concurrence des autres alcools est de plus en plus forte. Résultat, les prix sont sous pression et les marges des brasseurs s’en ressentent. Par exemple aux États-Unis, la consommation de bière ne représente plus que la moitié de la consommation d’alcool selon le Beer Institute contre encore 60% dans les années 90.

En revanche, dans les régions où la consommation a émergé plus tardivement, le marché est en pleine croissance. Ces dynamiques poussent les grandes entreprises à se tourner vers l’Asie et l’Amérique du Sud.

Exemplairement, en Chine, le marché a connu une augmentation de 42% depuis cinq ans. Le chiffre d’affaires du secteur progresse non pas grâce à une augmentation du volume consommé mais en raison d’une montée en gamme appuyée par l’émergence d’une classe moyenne toujours plus nombreuse et prête à payer plus cher. Dans cette partie du monde également, les jeunes consommateurs aiment essayer de nouveaux styles de bières et sont sensibles aux bières artisanales.

Des microbrasseries voient donc le jour. Et les grands groupes semblent vouloir surfer sur cette tendance ou alors lutter contre elle selon les points de vue, comme ABInBev qui a racheté une brasserie artisanale de Shanghai en 2017, Boxing Cat ou encore Goose Island aux Etats-Unis en 2011.

En France, ce ne sont pas les brasseurs qui sont visés mais plutôt le plus grand distributeur indépendant Interdrinks et son site Saveur-Bière racheté en 2016. Heineken a, pour sa part, racheté la brasserie traditionnelle Libanaise Almaza et annoncé qu’il proposerait d’autres marques dans les prochaines années dans le pays.

Une autre stratégie pour ces grands groupes consiste à apparaître plus local en modifiant l’apparence des bières vendues. En ce sens, Heineken a lancé la Mort Subite en France. Enfin, il est également possible de nuire à la visibilité des crafts beers en grande surface comme le fait ABInBev en 2015 avec son programme de fidélité qui récompense aux Etats-Unis les enseignes dont 98% des bières en rayon appartiennent au groupe.

La bière, apparaît ainsi comme marqueur culturel et social indéniable

Au-delà de toutes les considérations économiques, la bière est presque un fait culturel en soi. La Belgique n’est-elle pas le pays de la bière ? On peut citer les pubs irlandais où la Guinness coule à flot ou encore la célèbre fête de la bière ou Oktoberfest à Munich, élément incontournable du patrimoine culturel allemand… Chaque pays a ses propres goûts et/ou produit sa propre bière. Elle est à la fois universelle et particulière et peut s’adapter au contexte religieux d’une région comme le souligne l’apparition des bières sans alcool dans le monde arabo-musulman.

Source : Piwee.net

Et la bière peut même témoigner de la complexité d’une situation géopolitique comme l’explique un journaliste de 20 Minutes après un voyage à Jérusalem en 2011. Du côté israélien, à Jérusalem-Ouest, on se procure facilement les israéliennes Maccabee, Goldstar ou encore Nesher. Lorsque l’on passe du côté palestinien, à l’Est, on croise la Palestinienne Taybeh, produite dans un village chrétien en Cisjordanie au nord de Ramallah. Dans la vieille ville, à proximité du quartier juif, on trouve les bières israéliennes et les étrangères que tout le monde connaît. Dans les quartiers chrétiens et arméniens, les bières israéliennes sont deux fois plus chères que la Taybeh en raison du mur de séparation qu’il lui faut traverser. Plus on se rapproche des quartiers musulmans, plus la boisson devient rare.

Conclusion

La bière est donc à la croisée de la mondialisation et du local et son marché suit les dynamiques de l’économie mondiale portée par les pays émergents. Plus qu’une simple boisson, elle est parfois élément constitutif de la culture d’un pays. En attendant, c’est l’heure de l’apéro, il me tarde d’aller savourer ma Corona en terrasse… Jouissez, vous-aussi de vos ultimes instants paisibles mais gardez bien évidemment à l’esprit l’immense défi qui vous attend dans quelques mois…

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