Après le rejet de la Constitution de 2005 par certains pays (dont la France), l’Union Européenne n’a pas abandonné l’idée d’un traité qui ferait de l’organisation une entité supranationale et qui renforcerait les liens des pays membres. C’est à cela que répond le Traité de Lisbonne de 2007. Il s’agit désormais d’analyser les objectifs de puissance que le traité de Lisbonne avait permis de fixer 10 ans auparavant, et ce qu’il en est aujourd’hui.

I – Analyse de l’article

Notons tout d’abord que le Traité de Lisbonne est loin d’être un simple traité comme les autres, même s’il semble souvent moins connu. Il a le rôle de « traité modificateur », c’est-à-dire qu’il a pour but de changer précisément les règles et méthodes de travail de l’organisation. Le traité est aussi à l’origine de modification dans les méthodes de vote des instances communautaires. Beaucoup de détracteurs le voyaient à l’époque comme un simple traité juridique. Mais l’auteur insiste bien sur le fait qu’il faut voir plus loin sur le rôle de ce traité pour la puissance européenne, quitte à en trouver des limites importantes.

La première avancée majeure qui pourrait profiter à l’Union Européenne est la construction d’un appareil gouvernemental européen, qui tend à supplanter les États, et qui permettrait une meilleure homogénéité des politiques, notamment extérieures. Un nouveau conseil des ministres est créé et des mesures sont mises en place pour faciliter la prise de décisions, tels que les changements du système de vote avec un passage généralisé à la majorité qualifiée. Le traité de Lisbonne permet ainsi à l’UE de devenir peu à peu une entité supranationale et une véritable entité juridique : la règle des commissaires (pour un pays membre, un commissaire européen) est remplacée par un système d’alternance qui a pour but de mettre de coté les nationalismes et de rendre l’organisation plus supranationale.

Les pays Européens parleraient donc au nom d’un « nous » dans les grandes instances internationales, et cela aussi grâce à deux nouveaux postes : celui de Président de l’Europe et celui de Haut Représentant aux Affaires Étrangères (et non pas ministre, mot conspué par de nombreux pays de l’UE lors de la discussion sur le Traité). Ce Haut Représentant aura à sa disposition un service européen pour l’action extérieure, composé de fonctionnaires de l’Union. L’enjeu est primordial : donner un visage à la diplomatie européenne pour améliorer les relations avec les pays étrangers et agir de manière cohérente sur la scène internationale. Mais de premières difficultés apparaissent ici et sont identifiées dès le départ par Pierre Saucède :

  • D’un coté, le traité de Lisbonne ne semble pas aller assez loin pour créer une réelle entité. On peut le voir à l’époque avec les négociations autour du traité : on tend à créer une entité supranationale avec des exigences nationales hétérogènes. Ainsi, si on assiste à la fin des années 2000 à une recomposition dans la distribution des voix pour les votes en fonction de la démographie des pays, beaucoup de pays s’y opposent, comme l’Espagne et la Pologne par peur de voir leur pouvoir dans les instances diminuer. Plus encore, on a l’impression à l’époque déjà que le traité de Lisbonne a créé de nouveaux rapports de force, et donc de nouvelles oppositions et problèmes au sein même du bloc européen. Par exemple, certains pays disposent d’une clause « opting out », ce qui fragilise la cohésion du groupe européen, censée être renforcée par le traité, à tel point que la fameuse « Europe à géométrie variable », terme qui allait déjà trop loin pour certains, tend à être supplantée par une « Europe morcelée ».
  • D’un autre côté, la politique étrangère et la politique de sécurité restent un enjeu stratégique pour tous les Etats membres, en particulier pour ceux qui sont concernés par de hautes responsabilités dans la gouvernance mondiale comme la France. Qu’adviendra-t-il donc du siège au Conseil de sécurité de l’ONU français si la politique étrangère française dépend de la politique étrangère européenne ? Si la PESD (Politique Européenne de Sécurité et de Défense) ne se cantonne plus aux missions de Petersberg et élargit son champ d’action, son rôle semble rester mineur à l’époque, car chaque État souhaite conserver la main-mise sur ce secteur si important. De plus, si on élargit les compétences en termes de politique de défense et de sécurité, la question de l’OTAN se pose toujours selon Saucède : la politique européenne dans ce domaine n’est-elle qu’un complément ? Car elle ne semble pas vraiment indépendante de l’organisation nord-américaine.

D’autres aspects de ce Traité auraient pu jouer un rôle pour la puissance européenne selon Saucede, comme avec le droit d’initiative populaire qui pourrait donner à l’UE l’image d’une organisation qui est attentive aux interrogations des populations. Mais ici encore, on peut lire la déception dès 2009 : les pétitions ne peuvent pas amener à un refus de réforme mais à une révision, et elles ne s’appliquent aux réformes qui passe par vote proportionnel.

 II- Quel bilan aujourd’hui ?

Il faut d’abord noter que l’Union Européenne a reçu de nombreuses récompenses qui peuvent nous prouver qu’on la considère réellement comme une entité supranationale indépendante de ces États. Son siège au Conseil du G20 en témoigne : elle a sa place dans ces réunions avec les 19 autres nations les plus puissantes du monde, dans lesquelles on compte de nombreux pays Européens comme la France ou le Royaume-Uni. Elle est donc une entité à part entière, incarnant un idéal démocratique et de paix qui lui vaudra le prix Nobel de la paix en 2012, une distinction qui incite à croire que le traité de Lisbonne a rempli sa mission : rendre cohérente l’action extérieure des pays européens aux yeux du monde entier. Quant aux nouveaux hommes forts de l’UE, même s’ils ne sont pas très souvent médiatisés, ils sont cependant très actifs, comme Federica Mogherini au poste de Haut représentante des affaires étrangères, très impliquée notamment dans le règlement des tensions avec la Corée du Nord en ce début septembre.

Mais s’arrêter là serait trop facile. Les nombreuses difficultés connues par l’Union ces dernières années ne sont pas étrangères au manque d’efficacité du Traité de Lisbonne. Les trop nombreux compromis effectués par l’Union pour ce traité ont laissé la porte ouverte à des crises qui fragilisent, voire mettent en péril, l’organisation. C’est le cas par exemple de la clause « opting out » : cette clause a permis aux Britanniques de rester en dehors de nombreux projets européens sans être réellement « inquiétés ». L’Union n’a pas su forcer le Royaume insulaire à se plier à ses règles, et le Traité de Lisbonne est venu offrir une garantie au Royaume-Uni que sa volonté serait respectée. Résultat aujourd’hui : le Brexit. Alors que l’exigence aurait dû être de mise pour un tel traité, le manque d’ambition que diagnostiquait Saucède en 2009 a eu pour conséquence un éloignement croissant du Royaume-Uni, un éloignement qui a finalement abouti le 24 juin 2016 au Brexit que tout le monde redoutait.

Et la crainte d’une Europe morcelée est plus que jamais présente, la crise des migrants depuis 2015 ne faisant que la renforcer. On assiste aujourd’hui à de nombreuses tensions entre les pays de l’Est, comme la Hongrie de Victor Orban, qui refuse d’appliquer les directives européennes sur l’accueil des réfugiés, et le reste des pays membres. Angela Merkel a d’ailleurs annoncé début septembre que les pays qui ne les respecteraient pas se verront infliger une baisse des aides économiques de l’Union, quelques jours après le rejet de la demande de quota de migrants par la Hongrie et la Slovaquie.

 

III – Comment l’utiliser dans sa dissertation ?

Dans beaucoup de sujets sur l’Europe et sur l’Union Européenne, on va principalement s’interroger sur sa cohésion, sur la cohérence du projet. La mise en perspective de cet article montre qu’à l’époque déjà, si le traité de Lisbonne paraissait être un progrès vers plus d’intégration et plus d’unité dans l’Union, les doutes persistaient. Aujourd’hui, il est clair que l’on assiste à un morcellement de l’organisation, induite en grande majorité par le manque d’efficacité du traité signé en 2007 et ses conséquences. Tu peux donc utiliser cette exemple dans une troisième partie qui insisterait sur les progrès qu’il reste à réaliser pour avoir une Europe unifiée. Il est aussi intéressant de se pencher sur le rôle du traité de Lisbonne dans les campagnes politiques des partis eurosceptiques : en France par exemple, il est souvent repris comme symbolisant la « trahison » faite après le NON au référendum sur la Constitution en 2005. Ces partis vont ainsi exploiter les défaillances de ce même traité pour mener campagne.

Pour aller plus loin, voici l’article en question de Pierre Saucede.

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