Si tout le monde connaît la fameuse Organisation de Coopération de Shanghai créée en 2001 et symbole de la relation sino-russe, cette dernière est loin de s’arrêter là. Sébastien Fontaine nous offre dans son article de 2008 une mise en perspective très complète de leur coopération sur de nombreux plans, mais aussi les limites qu’elle comporte.

Analyse de l’article

Les relations sino-russes reprennent de l’importance à la chute de l’URSS en 1991. Si des liens forts vont se tisser sur le plan diplomatique et militaire, les liens économiques restent cependant encore faibles en 2008, année où S. Fontaine écrit cet article. C’est pourquoi la relation entre les deux puissances laisse le géopolitologue perplexe.

Il est tout de même indéniable que la Russie et la Chine ont depuis la fin de la Guerre froide vécu un grand rapprochement, notamment grâce à l’opposition commune des deux pays aux Etats-Unis. Ainsi, sur le plan diplomatique, de nombreuses réunions et déclarations communes des deux pays dénonçant l’unilatéralisme américain ont été révélatrices de la coopération de ces deux voisins, inquiets des interventions américaines dans leur étranger proche. Dès 1994, les deux pays vont signer un partenariat constructif qui prône le multilatéralisme et dénonce l’unilatéralisme, des propos qui seront régulièrement repris lors d’intervention nord-américaine dans leur voisinage, comme au Kosovo en 1999 ou en Irak en 2003. L’OTAN reste également un point qui catalyse les tensions, surtout avec la politique de déploiement d’une défense anti-missile des Etats-Unis un peu partout en Europe, qui vient renforcer l’idée d’une politique d’encerclement exercée par le gouvernement américain. Les Russes et les Chinois ont d’ailleurs dénoncé ce projet comme allant à l’encontre du Traité ABM (Anti Balistic Missile) de 1972 (considéré comme la pierre angulaire de la stabilité stratégique entre les Etats) à l’ONU, une instance où ils cherchent à peser collectivement dans les décisions.

Les deux pays sont également inquiets de l’implication des nord-américains dans les révolutions de couleur en Europe de l’Est dans les années 2000 et dans la lutte indépendantiste tibétaine. C’est autour de ces peurs que va s’articuler une coopération dans les grandes instances internationales, et donc au niveau diplomatique, mais aussi une coopération militaro-industrielle qu’il est nécessaire de compléter par une réelle coopération économique.

D’un côté, Chinois et Russes défendent le même idéal des relations diplomatiques : préserver la souveraineté des Etats et donc faire valoir le principe de non-ingérence dans les grandes instances. C’est pourquoi ils se regroupent sous une même organisation dès 2001, l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui permet de fortifier leur relation et contrer les ambitions américaines en Asie, tout particulièrement en Asie Centrale où ils dirigent leurs investissements dès 2004. Mais cette opposition aux Etats-Unis avait à l’époque de grandes limites. Déjà, la Chine possède beaucoup plus d’intérêts économiques avec les Etats-Unis qu’avec la Russie : les échanges sino-américains sont 16 fois plus importants que les sino-russes. La marge de manœuvre est donc assez réduite si les Chinois ne veulent pas totalement froisser un de leur meilleur client. Ensuite, la Russie a des raisons majeures pour limiter le partenariat avec la Chine : en constante progression, la Russie ne veut pas devenir « vassal » de l’Empire du Milieu à moyen terme. Sébastien Fontaine envisage même en 2008 un potentiel rapprochement de la Russie avec les Etats-Unis face à l’appétit insurmontable chinois, qui semble incarner une plus grande menace politique pour les russes.

D’un autre côté, Chinois et Russes ont développé des relations économiques fortes dans certains domaines. On notera particulièrement les secteurs les plus stratégiques, comme le complexe militaro-industriel et le secteur des énergies. Chacun y trouve un intérêt : les Russes, étant donnée la crise vécue dans les années 90, qui misent sur leur allié pour obtenir des rentrées d’argent rapides et conséquentes ; les Chinois par rapport aux émeutes de Tiananmen et l’embargo dont ils font l’objet depuis sur l’armement par les pays occidentaux. D’autant plus que l’appétit du géant asiatique ne cesse de grandir en terme d’armement : dès 2008, les discussions autour de la construction d’une flotte navale sont ouvertes. Mais Fontaine rappelle que l’équilibre reste fragile : le besoin d’un armement moderne risque de pousser la Chine à aller voir ailleurs, alors que dans le même temps la Russie profite de la dépendance chinoise sur son arsenal pour pouvoir canaliser les forces à disposition de la Chine et cherche en même temps à diversifier ses clients pour éviter d’être dans la même situation. On voit bien donc qu’ici aussi, il y a une ambivalence dans la relation sino-russe : on s’entraide tout en s’observant et en restant préoccupé par la montée en puissance de l’autre. Quant aux échanges énergétiques, s’ils sont colossaux, ils restent tout de même la preuve d’un certain blocage dans la relation entre les deux partenaires : si de nombreux projets sont lancés comme la coentreprise Vostok Energy en 2006, une entreprise spécialisée dans la recherche et la production de matières premières minérales en Sibérie orientale, la Russie souhaiterait un investissement durable dans un grand panel de secteurs là où la Chine ne semble s’intéresser qu’aux ressources fossiles russes, ce qui pose de sérieux problèmes de coopération.

Quel bilan aujourd’hui ?

Aujourd’hui le rapprochement entre les deux pays est de plus en plus important. En témoigne l’Opération Joint Force 2017 en mer Baltique qui est une véritable démonstration de force de leur arsenal avec plus de 10 000 hommes engagés dans l’exercice. La coopération militaire a retrouvé un souffle nouveau après l’annexion de la Crimée en 2014 : la Russie fait face à des sanctions américaines et européennes (qui sont pour beaucoup injustifiées) et la Chine doit faire face à une politique d’isolation économique, en témoigne la signature du Partenariat Trans-Pacifique (TPP) en 2015 ou l’accord de libre-échange entre l’UE et le Japon qui est sur le point d’être signé. Les deux pays trouvent en l’autre un moyen de continuer d’agir et de se faire voir sur la scène internationale. La relation s’est considérablement renforcé, Xi Jinping ayant nommé la Russie « l’allié le plus digne de confiance » . Une feuille de route militaire conjointe a également été signée le 27 juin 2017, renforçant la relation sino-russe.

Sur le plan de la coopération économique, contrairement à ce qu’annonce l’analyse de l’article, les relations sont aujourd’hui très importantes entre les 2 pays notamment grâce au développement de la route de la soie. Les investissements chinois vont aujourd’hui dans l’agriculture et on assiste à un investissement massif dans les hautes technologies, secteur en pleine croissance dans les 2 pays avec plus de 20% de croissance cette année. La diversification de la coopération est évidente, on ne reste plus seulement sur le secteur de l’énergie même s’il reste très important avec les oléoducs qui relient les deux pays. La réunion à Xiamen début septembre 2017 en est l’epitome : les deux présidents se prononcent pour un approfondissement continu des relations entre les deux pays. Wang Yang, vice-premier ministre chinois, a parlé d’une continuité dans la coopération concernant les infrastructures, avec des chemins de fers transfrontaliers et une coopération approfondie dans certains secteurs économiques pour la route de la soie. Pendant leur rencontre, les deux parties ont également discuté de la coopération dans l’énergie nucléaire, le vol spatial, l’agriculture, l’Arctique, l’aviation civile et l’économie numérique.

Les relations dans le secteur énergétique restent tout de même prépondérantes, notamment avec le programme « Force de Sibérie » qui doit rentrer en vigueur en décembre 2019 et qui a pour but d’exploiter une réserve de gaz russe au profit des intérêts chinois. Mais notons tout de même un réel rapprochement qui va au-delà des simples échanges d’hydrocarbures, tout particulièrement sur des thèmes plus précis comme par exemple l’augmentation du nombre de places dans les universités russes pour les étudiants chinois. Des accords ont également été passés sur le tourisme, facilitant l’arrivée des russes en Chine.

Cependant, quelques faiblesses subsistent : la Russie était encore le 10eme partenaire commercial de la Chine en 2015, une place trop peu importante pour pouvoir réellement peser dans l’économie de l’Empire du Milieu. Il est donc important de rester relativement mitigé sur cette question.

Comment utiliser cette évolution dans ta dissertation ?

Au lendemain de la Guerre froide, l’alliance sino-russe semble évidente mais semée d’embûches sur le plan géopolitique : la Russie ne souhaite en aucun cas avoir à faire à une nouvelle puissance de taille sur sa cote est. Mais les nombreux rapprochements des deux pays de manière bilatérale et dans le cadre des BRICS laisse imaginer une future coopération sur le long terme entre les deux pays. Pour un nouvel ordre mondial ? Ce rapprochement est symbolique : délaissée par l’Europe, la Russie semble de plus en plus tourner son avenir vers l’Asie. L’évolution de cette relation peut donc être utilisée dans tout type de sujet qui suggérerait une position ambivalence de la Mère Patrie russe. Plus encore, tu es tout à fait en mesure de pouvoir l’utiliser dans tous les sujets qui traiteraient du développement des BRICS ou des émergents en général. Enfin, nul doute que le symbole de cette alliance, l’OCS, peut aussi être un argument de taille dans une dissertation qui évoquerait les contre-pouvoirs qui font face aux Etats-Unis dans le monde.

Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à lire ceux-ci : Géopolitiquement vôtre #1 : Le bilan de la BAII ; Géopolitiquement vôtre #2 : 10 ans après le Traité de Lisbonne : quels effets sur la puissance européenne ? ; Géopolitiquement vôtre #4 : L’Ouganda, nouveau moteur africain ?