Cours sur les épidémies ECS

Il y a de cela 4 ans, le monde plongeait dans la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, nous reviendrons sur les enjeux historiques et géopolitiques liés aux pandémies, la géopolitique de la santé étant un sujet transverse qui peut être utile dans beaucoup de sujets thématiques.

 

 

Rappel de définition et problématisation

On a tout d’abord utilisé le terme d’épidémie pour désigner une maladie infectieuse et contagieuse frappant en même temps un grand nombre de personne. L’épidémie désigne un phénomène de masse, limité dans le temps et dans l’espace et souvent cyclique ou saisonnier. Par extension, une pandémie est une épidémie qui touche des continents entiers.

Il ne faut pas la confondre avec l’endémie, maladie latente et chronique, qui se manifeste de façon plus répétitive dans un pays.

S’interroger sur les pandémies, c’est se demander dans quelle mesure elles sont le reflet de la mondialisation, parce que l’ouverture des économies favorise la transmission des contagions par les mobilités. C’est aussi soulever des enjeux de gouvernance mondiale pour mieux gérer ces crises aux conséquences économiques lourdes.

 

 

Les pandémies, phénomène de la mondialisation

 

Une brève chronologie

Si certains ne parlent de pandémies qu’à partir du XVIe siècle, celui de l’essor des échanges entre les continents, certaines épidémies antérieures à cette époque ont déjà touché de larges parties du monde. C’est notamment le cas de la Peste Noire (1347-1351), qui fit en Europe et au Proche-Orient environ 25 millions de victimes. Elle se diffusa d’ailleurs en Europe à partir de Marseille, ville portuaire par excellence.

Ainsi, une des premières pandémies reconnue comme mondiale est la grippe espagnole de 1918-1919. Originaire de Chine, elle tua entre 30 millions et 100 millions de personnes selon les estimations.

 

Le tournant des années 1950

Après la seconde guerre mondiale, et avec la création de l’OMS en 1948, l’espoir d’un monde sans pandémies renaît. L’état sanitaire mondial s’améliore, notamment grâce aux campagnes de vaccination menées par les gouvernements, à la diffusion des antibiotiques et à l’amélioration de la qualité de l’eau. Cette décennie est celle de la transition épidémiologique : on ne meurt désormais plus de maladies infectieuses, mais de maladies liées à la dégénérescence. Le développement économique est alors un levier important pour éradiquer les pandémies : le choléra disparaît en Europe mais se propage dans d’autres pays moins développés.

Cependant, les pandémies ne sont pas totalement éradiquées. Par exemple, la grippe asiatique a touché la Chine en 1956 puis Hong-Kong de 1968 à 1969. Elle a fait au total près de 5 millions de morts. Les maladies endémiques, comme la grippe saisonnière, se multiplient également.

Pourtant, il convient de noter que la transition démographique des pays du Tiers-Monde a été précédée par une baisse de la mortalité du fait du caractère exogène des innovations médicales. Par exemple, à Ceylan, l’introduction du DTT fait doubler l’espérance de vie moyenne en l’espace de deux ans.

 

A partir de 1980, des pandémies nouvelles

Le premier cas de patient atteint du SIDA est déclaré aux Etats-Unis en 1981. Cette maladie devient une urgence mondiale dès le milieu des années 1980,  en raison de son taux de mortalité élevé (environ 40 millions de morts depuis le début de l’épidémie). Elle touche en priorité le continent africain (2/3 des personnes infectées dans le monde vivent en Afrique), et est devenue à l’échelle du continent la principale cause de mortalité. Le SIDA provoque également un affaiblissement du système immunitaire, favorisant l’apparition d’autres maladies comme la tuberculose.

D’autres épidémies se multiplient également. Ebola, identifié en 1976, se diffuse progressivement en Afrique de l’Ouest, avant de devenir véritablement épidémique de 2013 à 2015. Mal maîtrisée, la maladie touche d’abord la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone avant de contaminer le Nigéria.

Aujourd’hui, un monde en réseaux dans lequel les maladies se propagent

On note que la mondialisation et le développement révèlent des effets paradoxaux en termes de santé à l’échelle globale :

  • La réduction des maladies infectieuses, notamment grâce aux vaccins (1885 par Louis Pasteur) et l’arrivée des antibiotiques dans les années 1930.
  • L’allongement de la durée de vie

Mais parallèlement :

  • L’exposition à de nombreux polluants qui ont pour effet de rendre vulnérable l’organisme
  • La présence d’un environnement propice à la prolifération des micro-organismes et de leurs vecteurs dans certaines régions spécifiques : on parle d’endémisme.

Le fonctionnement réticulaire du monde a favorisé le passage d’épisodes d’épidémies (croissance rapide dans une région donnée pendant un temps relativement court) à des pandémies (propagation mondiale).

En outre, les mobilités touristiques et professionnelles en forte croissance exacerbent le retour de certaines maladies, notamment des IST comme la chlamydia en Europe.

 

Une inégalité face au risque épidémique mais une condition commune face au risque pandémique

Il s’agit de noter que certaines régions du monde rassemblent des facteurs propices au développement des maladies transmissibles. Ainsi, dans certaines régions d’Afrique, le climat tropical, la pression démographique, l’urbanisation informelle, les effets du changement climatique et le manque de financements étatiques pour les structures sanitaires sont autant de facteurs qui augmentent le risque. Certains auteurs évoquent par exemple une « ceinture de la méningite » s’étendant du Sénégal jusqu’en Éthiopie.

 

Le reflet des failles de la mondialisation

Les épisodes pandémiques révèlent souvent la précarité des économies en développement. Elles montrent une faiblesse des dispositifs sanitaires et institutionnels qui rend difficile l’édification des trois piliers du développement décrits par F. Perroux : « nourrir, soigner, instruire ». L’état sanitaire des espaces citadins, clusters importants de naissance des épidémies, dépend en grande partie de l’investissement étatique pour la viabilisation et l’assainissement des réseaux d’évacuation. L’eau insaluble est ainsi la première cause indirecte de mortalité au monde : elle est parfois vectrice de maladies. En témoignent par exemple les crises consécutives liées au virus Ebola puis au Covid-19 en Afrique subsaharienne.

En somme, la vulnérabilité des régions/États face aux épidémies/pandémies révèle souvent des inégalités sociales à échelle locale, régionale ou mondiale (accès aux soins, prévention…)

 

Des conséquences économiques et sociales importantes

Un frein temporaire mais fatal pour l’économie

Dans sa rubrique « Images à la Une », le site Géoimages du CNES a mis en ligne, en 2020, une série de photographies satellites témoignant de la « mise à l’arrêt » du monde lors de la pandémie de coronavirus en 2020.  On y voit par exemple des aéroports dans lesquels tous les avions sont stationnés au sol, bien rangés. Ceci témoigne de l’impact des pandémies sur les activités humaines et notamment économiques et culturelles.

Les deux secteurs les plus affectés par les pandémies sont le tourisme et les transports (fermeture de frontières, quarantaine, etc.) D’autres secteurs au contraire, comme l’e-commerce, peuvent en bénéficier en offrant des solutions alternatives à l’échange des biens et des services.

Les conséquences économiques d’une pandémie sont difficiles à mesurer, à court comme à long terme. Cependant, elles ralentissent l’activité économique durablement. Dans un rapport du FMI publié par David Bloom, Daniel Cadarette et JP Sevilla ,les chercheurs montrent par exemple que le PIB du Liberia a baissé de 8 points de pourcentage entre 2013 et 2014 lors de l’épidémie d’Ebola. Autre exemple : le SRAS, qui a amputé 2% du PIB hongkongais.

A partir de 2003, la grippe aviaire (ou grippe H5N1) oblige à l’abattage massif de volailles en Asie, en Turquie et en Afrique occidentale, alors même que ces élevages sont un élément vital de l’économie et de l’alimentation de ces populations. L’OMS a décompté 350 décès liés à ce virus entre 2003 et 2013, principalement en Asie. Après la résurgence du virus en 2013, Shanghai a temporairement fermé son marché aux volailles et fait abattre 20 000 oiseaux. Si le faible nombre  de décès dus a la grippe aviaire montre que l’épidémie a été plus potentielle que réelle, les mesures drastiques mises en place par les autorités chinoises soulignent combien une pandémie peut mettre en péril une économie.

 

Les pandémies créent des migrations

La difficulté d’accès au soin ou bien la peur de vivre dans certaines régions à risque favorisent de nouveaux flux migratoires, notamment entre les pays en développement. À ce titre, la géographe Audrey Bochaton a étudié les déplacements transfrontaliers des Laotiens qui franchissent le Mékong pour avoir accès à des soins de meilleure qualité en Thaïlande. Ainsi, cela crée des enjeux de gestion politique transnationale, notamment entre les pays voisins. Nous verrons cela dans la troisième partie de l’article.

 

 

Les pandémies, enjeux de la gouvernance mondiale

François Heisbourg, dans son livre Le Retour de la guerre, évoque la pandémie de Covid comme un « accélérateur de l’Histoire » qui a entaillé plus profondément les failles de la mondialisation et révélé la tension croissante qui caractérise les rapports de force contemporains. Il développe notamment la question de la prise de conscience de la vulnérabilité du système d’approvisionnement européen. On peut penser à la célèbre affirmation d’E. Macron en 2020 : « Nous sommes en guerre » contre le Covid-19 qui montre que la lutte contre les pandémies est un enjeu politique et géopolitique majeur. A fortiori, le virus est devenu un « acteur stratégique » selon lui, une arme à disposition de certains États qui en ont profité, économiquement ou politiquement.

Ainsi, on comprend bien que les pandémies, puisqu’elles ont des répercussions économiques et sociales importantes et qu’elles constituent donc une menace pour les nations qui transgresse les frontières, est un enjeu majeur de la gouvernance mondiale.

Entre 2002 et 2003, le SRAS (syndrome respiratoire aiguë sévère), parti de Chine, fait 800 morts. Si cela reste relativement peu, ce syndrome a créé une véritable psychose à l’échelle mondiale. Il a également révélé les lacunes des politiques de santé chinoises, les autorités ayant initialement dissimulé l’infection au monde entier. Hors, la concentration des hommes dans les villes et la mobilité accrue des populations facilitent la transmission des pandémies. Ces dernières nécessitent donc une vigilance permanente à l’échelle mondiale et la mise en place d’une vraie gouvernance mondiale. 

Les pandémies doivent également faire l’objet d’une forte coopération entre les différents acteurs de la santé publique et privée (ONG, OMS, laboratoires pharmaceutiques). L’OMS ne dispose que de faibles moyens, et a été dépossédée de son rôle de leader dans la gestion des maladies. Par exemple, l’ONU a créé un programme spécifique ,nommé UNAIDS, qui coordonne les acteurs de la lutte contre le SIDA. Vaincre les pandémies est également un défi car cela nécessite de concilier logique commerciale (les laboratoires veulent faire payer leurs vaccins) et logique d’équité (tout le monde doit avoir accès au traitement).

 

 

Conclusion

Ainsi, on a vu que les pandémies sont source de déséquilibres économiques et sociaux et sont aujourd’hui un enjeu de gouvernance qui dépasse les frontières. Alors que les années 1950 étaient optimistes sur la santé mondiale, les années 1980 et la mondialisation ont fait renaître craintes et peurs. Le potentiel pandémique est de plus en plus grand aujourd’hui. Les pandémies sont également un danger à cause des psychoses qu’elles provoquent, qui accélèrent la désorganisation de l’économie et de la société.

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