géants

Dans l’ouvrage intitulé La Loi des géants, les trois historiens René Girault, Robert Frank et Jacques Thobie délivrent une analyse des relations internationales contemporaines, entre 1941 et 1964. Tu trouveras ici une fiche de lecture de cet ouvrage passionnant et très intéressant, ainsi qu’une analyse succincte et quelques citations. Bonne lecture !

 

Les relations internationales et la Seconde Guerre mondiale

1941

La date de 1941 est choisie par les auteurs comme point de départ de l’analyse. Cela correspond à une diversification des relations internationales, notamment grâce au conflit mondial qui débute le 7 décembre 1941, à la suite de l’attaque de Pearl Harbor. Les États-Unis forment ainsi le trait d’union entre la guerre sino-japonaise (1937) et européenne (1939). La lutte entre cinq géants se met donc en place : les États-Unis, l’URSS et la Grande-Bretagne, contre l’Allemagne et le Japon.

Les Nations unies tentent de gagner du temps, afin de gagner la guerre. Nées le 1er janvier 1942, elles ont une suprématie économique, démographique, industrielle et navale. Churchill et Roosevelt sont persuadés que la victoire dépend de la maîtrise des mers. Les Américains cherchent par ailleurs à mener une victoire au moindre coût humain.

La stratégie alliée est semblable à celle opérée lors de la guerre de Sept Ans, selon l’historien Masson : assurer le contrôle des routes maritimes, utiliser des ressources planétaires et opérations commandos. Le but de la guerre est la destruction de la tyrannie nazie, qui est conditionnée par le fait que l’URSS tienne bon.

Au contraire, l’Axe et le Japon souhaitent gagner de l’espace pour maîtriser le temps. Ils recherchent une victoire immédiate et totale. Hitler met ainsi en place en 1941 la « solution finale ». Le Japon opère un tournant dans les décisions géostratégiques et géopolitiques, en portant des coups durs à la Grande-Bretagne et aux États-Unis. Par exemple : les victoires spectaculaires des îles Gilbert, de Hong Kong ou de Singapour).

 

1943-1945

Entre 1943 et 1945, la guerre est totale. Le monde entier est concerné par la guerre, mais de façon inégale. Les grandes puissances sont engagées totalement (ressources, forces économiques, morales, humaines). Les états totalitaires pourraient sembler les mieux préparés à une guerre totale. Néanmoins les démocraties ont su mobiliser l’intervention étatique pour organiser l’économie et la propagande pour tendre les esprits. Par exemple, les Anglo-Américains sont les premiers à installer l’économie de guerre en 1941, pour mener une guerre économique. Pour l’historien Duroselle, la diplomatie « d’égal à égal » se transforme en diplomatie de « l’assistance ».

Concernant l’économie allemande, alors qu’Hitler comptait au départ sur une économie de pillage, il finit par opter pour une véritable économie de guerre, moderne et rationnelle (mobilisation de la science allemande, travail forcé des populations), grâce à l’action de Speer. Malgré sa défaite en 1945, l’Allemagne est le seul pays avec les États-Unis à avoir augmenté sa production industrielle. Ce qui résulte d’un véritable « miracle allemand ».

L’année 1943 correspond au basculement des rapports de force au sein de la grande alliance. À cause de la série de défaites de l’Axe (bataille de l’Atlantique, fin de la dictature fasciste, bataille de Koursk), l’objectif des Anglo-Américains change : il est de participer valablement à la libération de l’Europe et non plus de vaincre le IIIe Reich, dont la fin se fait proche. S’opère donc une transformation des rapports de force au sein des Nations unies. Roosevelt joue un rôle croissant dans les opérations militaires et impose les décisions (date de l’opération Overlord, priorité de la bataille de France sur la campagne d’Italie). Il devient alors possible à la fois de « faire la guerre » et de parler de paix.

 

La construction d’une paix partielle (1945-1947)

Entre 1945 et 1947 se construit une paix partielle. Staline est le grand vainqueur de la conférence de Yalta, puisqu’il a une position avantageuse sur Roosevelt qui paie pour sa guerre « au moindre coût humain ». Il obtient la permission d’entrer en guerre contre le Japon. À Yalta, on refuse politiquement de partager l’Europe. Néanmoins, à Postdam, le rapport de force change et le dernier mot revient aux États-Unis, conduisant à un compromis : la diminution des réparations contre le tracé soviétique de la frontière polonaise.

 

Apparaissent alors deux géants : les États-Unis et l’URSS

L’Europe n’est plus au centre du monde. Elle est exsangue (35 millions de victimes) et dévastée par les pertes matérielles, le renoncement à la puissance financière pour la Grande-Bretagne, les dettes, la destruction du prestige des métropoles coloniales européennes (en Afrique et Asie) et la crise de conscience suite à la découverte de l’ampleur du génocide hitlérien.

Les trois plus grands pays européens ont donc perdu leur statut de grande puissance. Les deux nouveaux géants possèdent au contraire des ressources gigantesques et un réseau d’alliances organisé.

La superpuissance des États-Unis est presque absolue en 1945, puisqu’ils détiennent le pouvoir nucléaire (monopole jusqu’en 1949), l’arme économique (le revenu national et la production ont doublé, ils détiennent 75 % du stock mondial) et ont subi peu de pertes humaines (300 000 victimes). Leurs objectifs sont alors de forcer les zones d’influence et les chasses gardées économiques constituées par les autres puissances, et un projet universaliste (prospérité économique comme garantie de la paix dans le monde).

L’URSS fait pâle figure à côté, avec ses 20 millions de victimes, sa dépendance aux capitaux américains et son retard technologique, malgré le fait de posséder la plus grande armée du monde et que le communisme apparaisse comme le meilleur rempart contre le fascisme (mal absolu responsable du conflit ayant fait tant de victimes). L’objectif principal est d’assurer la sécurité de la nation et de reconstruire l’économie ruinée.

L’entente entre les deux grands est possible, d’autant plus qu’ils ont besoin l’un de l’autre. L’URSS pour sa reconstruction, les États-Unis pour asseoir leur rôle d’arbitre mondial.

 

De la méfiance (1946) à la rupture (1947)

La division de l’Europe est le résultat de quatre étapes. D’abord une esquisse militaire fin 1944, puis le refus à Yalta. Les Grands s’y résignent à Postdam et à la conférence de Moscou. Ils pensent garder une certaine perméabilité sur les influences réciproques.

Cependant, chaque initiative soviétique entraîne la méfiance des États-Unis en 1946. En 1947, l’Amérique décide d’organiser son camp, ce qui entraîne la constitution de deux blocs européens. Le 5 mars 1946, Churchill déclare : « Un rideau de fer s’est abattu sur l’Europe. »

 

Les relations internationales au temps de la guerre froide (1947-1955)

Les États-Unis sont la première puissance mondiale économique, politique, militaire, technologique et même culturelle. Il leur est impossible de négocier avec les communistes. Ils doivent donc user de l’arme économique et financière, en coupant les crédits ou les prêts à l’URSS et en aidant les alliés à créer une ligne de défense solide.

À l’été 1949, les Américains découvrent que les Russes « ont la bombe ». L’arme financière ne suffit plus, il faut mener une guerre globale d’annihilation (course aux armements, augmentation massive des moyens militaires). Se constitue alors un « État dans l’État », appelé complexe militaro-industriel par Eisenhower. C’est-à-dire un complexe dominé par les militaires et surtout par les représentants du Big Business, pratiquant le lobbying au Congrès.

« L’essentiel, le fait majeur qui a donné naissance à la notion de complexe militaro-industriel, à la réalité qu’il constitue, à la représentation mythologique que l’opinion s’en fait, c’est la course aux armements liée à la rivalité avec l’Union soviétique. Or, la course aux armements me paraît déterminée par l’action réciproque de la technique et de la politique, sans que l’initiative ait appartenu, en aucune circonstance, aux militaires. » Aron

 

Genèse de la construction européenne

Cette époque marque les débuts de la construction européenne : l’opinion publique était favorable à une Union européenne, mais pas passionnée. De leur côté, les responsables politiques ne parviennent pas à s’entendre. Néanmoins le plan Monnet-Schuman propose une solution « européenne » afin de faciliter l’inévitable contribution militaire allemande à la défense de l’Europe occidentale. En 1952 sont créées la Communauté européenne de défense et la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

L’URSS d’après la Seconde Guerre mondiale reste un régime toujours dictatorial, avec une épuration des bolcheviks. En réponse au plan Marshall est créé le Kominform comme outil de surveillance des PC européens et de propagande de la doctrine stalinienne. La guerre de Corée impose un changement de tactique de Staline, qui revient sur l’inévitabilité de la guerre entre communisme et impérialisme : une coexistence pacifique pourrait exister, « s’il existait un mutuel désir de coopérer», et initier un changement dans les relations avec les États décolonisés (XIXe Congrès du PC de l’URSS).

 

La guerre froide

Le concept de « guerre froide » est inventé par Lippmann (1947) pour désigner la tension américano-soviétique qui ne débouchait pas sur un affrontement militaire direct entre les deux géants. Cette guerre froide repose sur quatre principes essentiels : une négociation diplomatique inutile en raison du manque de confiance dans le partenaire, la sauvegarde de la paix dépendant de la puissance que l’on peut démontrer face à l’autre (autant économiquement que militairement), des territoires avec des limites globales à ne pas remettre en cause et une tactique du coup de force à but limité, seulement sur les marges du front.

Ehrenbourg parle de « dégel » de la guerre froide pour désigner la période suivant la mort de Staline, le 5 mars 1953. Eisenhower déclare le 16 avril 1953 : « Chaque fusil fabriqué, chaque arme, chaque obus tiré correspond, en fait, à un vol de ceux qui ont faim et ne sont pas nourris, à ceux qui ont froid et ne sont pas vêtus. ». Il exprime ainsi son désir d’arrêter la course aux armements. Les règles du jeu international changent alors : l’avènement de l’ère atomique, la modification du champ des puissances moyennes (entrée des États décolonisés ou accédant à l’indépendance), le partage du monde paraît alors définitivement acquis dans les zones vitales (Europe, Asie) et la coexistence pacifique devient indispensable.

 

Si cette première partie t’a plu, tu trouveras la suite de l’analyse, avec quelques citations et une frise chronologique de l’ouvrage !