géants

Voici la seconde partie de la fiche de lecture de l’ouvrage La Loi des géants, écrit par René Girault, Robert Frank et Jacques Thobie. La première partie traitait des relations internationales et de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que des relations internationales au temps de la guerre froide (1947/1955).

 

Les géants refont la loi (1955-1956) : la coexistence

La décolonisation

La décolonisation désigne un processus dynamique complexe par lequel les populations des territoires dominés et occupés par une puissance étrangère reconquièrent ou conquièrent leur identité nationale, leur liberté d’action à l’intérieur, leur souveraineté internationale.

 

Plusieurs facteurs exogènes expliquent ce phénomène

D’abord, l’ambiance idéologique, c’est-à-dire la tradition libérale et démocratique véhiculée par les colonisateurs, qui produit des textes émancipateurs, mais aussi par les socialistes, élevés contre la colonisation au nom des intérêts de la classe ouvrière, et par les communistes, qui appellent les peuples colonisés à secouer l’exploitation capitaliste.

Ensuite, l’impact des guerres mondiales, qui ont affaibli les grandes puissances, et la mobilisation des colonies pendant les conflits, qui a permis aux peuples colonisés de prendre conscience des faiblesses et des contradictions des puissances. De plus, le rôle des Nations unies est important, à travers la conférence de San Francisco, la « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux » (1960), ou encore le Comité de décolonisation.

 

Il y a aussi des facteurs endogènes

Le poids de l’évolution économico-commerciale (l’émergence d’un mouvement ouvrier, de luttes sociales, la formation d’élites : Hô Chi Minh, Nasser…), le ressourcement à l’histoire politique et culturelle (asiatisme, réveil de l’islam, africanisme), les réactions aux politiques métropolitaines (stratégie de décolonisation appliquée uniquement par la Grande-Bretagne).

Lors de la conférence de Bandung émerge le tiers-monde (expression de Sauvy). Il s’agit d’un réveil des « peuples colonisés » (Guitard). Sont signés 10 principes, qui portent une tonalité neutraliste : reconnaissance de l’égalité des races et des nations, respect du droit de chaque nation à se défendre…

Par ailleurs, la conférence des États non engagés donne naissance au mouvement des non-alignés, mais se solde par un échec, à cause de politiques et idéologies parfois antagonistes et de conflits locaux.

 

Le rôle et la position de l’URSS

Face à l’arrivée de nouvelles forces, l’URSS décide de revoir la doctrine stalino-jdanovienne (en 1956 au XXe Congrès du PC de l’URSS). Démarre alors une véritable lutte d’influence des deux géants auprès des pays du tiers-monde, qui consiste à jouer de l’aide économique ou militaire pour s’y assurer des positions utiles. Ce phénomène est appelé « coexistence encadrante » par les auteurs.

Ces derniers s’intéressent aussi à la loi des armes nouvelles ou à la coexistence militarisée. Les Russes ont un avantage dans la course aux armements (grâce à Spoutnik, 1er satellite). Cependant, la tendance est au désarmement : les « Atomes pour la paix » d’Eisenhower, la commission de l’ONU, l’arrêt de tous les essais nucléaires en URSS (1958), à cause du coût trop élevé. Il s’agit donc d’une coexistence militarisée.

Le sort de l’est de l’Europe est soldé dans les années 1950 et 1960, alors que l’ensemble ouest-européen se consolide grâce au boom économique et au développement du tourisme de masse. Néanmoins, l’est de l’Europe ne parvient pas à se sortir du sous-développement, en raison d’une dépendance trop forte à l’URSS et de planifications trop volontaristes.

En octobre 1956, Khrouchtchev reconnaît les erreurs de Staline, légitime des voies diverses pour aller vers le socialisme et admet la nécessité de changements dans les relations entre États frères. Cela traduit sa volonté de développer l’Europe de l’Est.

 

La construction européenne

Les auteurs terminent par un bilan de la construction européenne. Après l’échec de la CED est créée l’Union de l’Europe occidentale (en octobre 1954), mais elle échoue aussi. Cela permet la création de la CECA de neuf membres. En 1957, la création de la CEE et l’Euratom permettent de combler les failles qui demeuraient dans la CECA : une commission exécutive qui possède un double pouvoir de faire exécuter les décisions prises et de proposer les décisions à prendre.

Le pouvoir réel de choix est détenu par le Conseil des ministres (17 membres), ce qui permet d’utiliser les ententes pour tenter de faire relever la tête à l’Europe, face aux géants.

 

Analyse et citations clés

Cet ouvrage aborde sous un angle nouveau, celui des relations internationales, un pan de l’histoire que l’on a l’habitude d’étudier en lycée et en prépa. Néanmoins, les bornes chronologiques inhabituelles, ne correspondant ni à la Seconde Guerre mondiale ni à la guerre froide, permettent de comprendre tous les enjeux des événements majeurs du XXe siècle. De la Seconde Guerre mondiale à la construction européenne, en passant par l’affrontement entre Américains et Soviétiques, les buts recherchés par chacun des acteurs sont ainsi expliqués et clarifiés par les auteurs.

Les auteurs relient les relations internationales, la politique et l’économie, et produisent une analyse précise et complète des mécanismes régissant le XXe siècle dans le monde. Ce qui permet de mieux comprendre notre monde actuel.

Les limites que l’on pourrait reprocher à l’ouvrage sont peu nombreuses. Le choix de la borne chronologique de 1961 n’est pas forcément expliqué par les auteurs et pourquoi ne pas terminer l’ouvrage sur la chute de l’un des géants, l’URSS, le 25 décembre 1991 ?

 

L’information à retenir absolument

La Seconde Guerre mondiale peut être considérée comme gagnée par les Alliés dès la fin 1941. Les trois ans supplémentaires de guerre concernent surtout la libération stratégique de l’Europe occupée. Libération effectuée par les Américains, les Britanniques et les Soviétiques.

 

Quelques citations

« Rétrospectivement, on peut dire qu’Hitler a perdu la guerre dans la deuxième semaine de décembre 1941. » C. Bloch

« Les États-Unis se doivent de soutenir les peuples libres qui résistent aux tentatives d’asservissement, qu’elles soient le fait de minorités armées ou de pressions extérieures. » Truman (1947) ⇒ théorie de l’endiguement

« Il est clair que les choses ont changé. […] L’empire des Soviets, la dernière et la plus grande puissance coloniale de ce temps, voit contester, d’abord par les Chinois, la domination qu’il exerce sur d’immenses contrées de l’Asie, et s’écarter peu à peu les satellites européens qu’il s’était, par la force, octroyés. […] De toutes ces données nouvelles, il résulte que la répartition de l’univers entre deux camps, respectivement menés par Washington et par Moscou, répond de moins en moins à la situation réelle. […] Il apparaît que l’Europe, à condition qu’elle le veuille, est désormais appelée à jouer un rôle qui soit le sien. » — De Gaulle (23 juillet 1964)

 

Chronologie succincte

7 décembre 1941 : attaque de Pearl Harbor

1942 : Bataille de l’Atlantique

Février 1945 : conférence de Yalta

Juillet-août 1945 : conférence de Potsdam

1945 : création de l’ONU

4 avril 1949 : pacte Atlantique

1951 : plan Marshall est remplacé par une Mutual Security Agency

27 mai 1952 : traité de la CED

10 août 1952 : création de la CECA

1946-1954 : guerre d’Indochine

1950-1963 : guerre de Corée

Avril 1955 : conférence de Bandung

1956 : affaire de Suez

1957 : création de la CEE

1961 et 1962 : crises de Berlin et Cuba

16 septembre 1961 : conférence des États non-alignés