Bien que les formes de structure des organisations et leur processus de décision stratégique soit une nouveauté du programme instauré par la réforme de la filière en 2016, le sujet de management HEC de 2015 demandait déjà aux candidats de réfléchir quelles conséquences l’acquisition d’une autre entité pouvait avoir sur la structure interne de l’entreprise. Le sujet de 2017 demandait cette fois de « décrire le processus de décision stratégique ». Si une partie de la réponse devait mentionner les travaux de Learned, Guth, Andrews et Christensen de 1957 et leur modèle LGAC d’analyse de décision stratégique des entreprises, car ce sont leurs travaux qui démontré que cette analyse devait d’abord passer par un diagnostic externe de l’environnement puis un diagnostic interne de l’entreprise (qui n’étaient ici pas demandés), l’autre devait mentionner le caractère entrepreneur du dirigeant dans ses décisions, celui-ci n’ayant pas hésité à se lancer sur un marché de niche jusque-là totalement délaissé en France, avec pour volonté principale celle d’innover, ce mot étant martelé tout le long du sujet. Dès lors, les mots entrepreneurs et innovation étant mis côte à côte, le nom de Schumpeter est la première chose qui vient à l’esprit. Certes, c’est un auteur que l’on a plus l’habitude d’utiliser en économie, mais les épreuves de HEC s’inspirent grandement, depuis la réforme, d’éléments de sociologie des organisations directement tirés du programme d’ESH des ECE, en attestent les annexes théoriques sur Herbert Simon, Elton Mayo, Coase ou encore Williamson ces dernières années. Passons donc en revue (liste non exhaustive) quelques auteurs indispensables sur ces deux notions très liées qui sont encore assez mal maîtrisées par les candidats car récentes.

Structure et prise de décision : de quoi parle-t-on ?

Dans Structure et dynamique des organisations (1979), Henry Mintzberg définie la structure comme l’ensemble des règles et des moyens permettant au dirigeant de l’entreprise de répartir, coordonner et de contrôler l’exécution des activités au sein de l’organisation afin de les orienter dans un but commun : celui de réaliser les finalités de l’entreprise.

Dans La main invisible du manager (1973), Alfred Chandler distingue deux types de structure très récurrentes : Les firmes en U et les firmes en M (de nombreux autres auteurs ont par la suite théorisé d’autres structures mais nous nous concentrerons sur ce modèle).

La firme en U est l’organisation dans laquelle le pouvoir de décision est très centralisé. Peu de libertés et de marges de manœuvres sont laissées au personnel. La division des tâches et claire et précise et doit être rigoureusement respectée. La firme possède donc une structure très rigide qui est difficile à remettre en cause. Ce type de structure correspond généralement aux grandes entreprises. Seuls les dirigeants participent au processus de de décision, ceux en dessous dans la hiérarchie devant se contenter d’exécuter les décisions. La rigidité qu’entraîne ce type de structure est problématique lorsque l’entreprise se trouve dans un environnement instable car sa rigidité l’empêchera d’être réactive et de s’adapter rapidement aux évolutions du marché.

La firme en M, au contraire, est beaucoup plus souple. Bien qu’une répartition des activités soit présente, les activités ne sont pas hermétiques. Les salariés ne sont pas « enfermés dans des cases ». De plus, ceux-ci sont écoutés et peuvent influencer le processus de décision stratégique. De par sa souplesse, la firme en M est beaucoup plus réactive et bien plus en mesure de survivre dans un environnement incertain. Cependant, elle semble difficilement applicable aux grandes entreprises où le nombre de salariés est bien trop important, et convient donc parfaitement aux PME et TPE.

Ainsi, cette distinction entre firme en M et firme en U rappelle deux visions diamétralement opposées de la « bonne structure » d’entreprise entre deux auteurs phares : Max Weber et Joseph A. Schumpeter.

Pour le premier, la meilleure structure d’organisation est la bureaucratie. Dans Economie et société (1925), il affirme que « la bureaucratie est le moyen le plus rationnel que l’on connaisse pour exercer un contrôle impératif sur des êtres humains ». Selon lui, l’organisation doit être constituée de règles strictes qui doivent être rigoureusement respectées, même si cela doit passer par la sanction. On retrouve alors la firme en U décrite par Chandler.

Pour Schumpeter, au contraire, la bureaucratie est ce qui risque de mener le capitalisme. Dans Capitalisme, socialisme et démocratie (1942), il affirme que seul l’entrepreneur, qui est un « risk-taker » et qui n’a donc pas peur d’enfreindre certaines règles internes, est capable d’innover. L’entrepreneur n’a pas peur de sortir des sentiers battus pour saisir les opportunités au contraire du bureaucrate, et n’a pas peur de se lancer lorsque son instinct lui dit que ce marché a un potentiel. Au sein de son organisation, il accepte la souplesse car il sait que la rigidité est ce qu’il y a de pire pour une petite organisation car c’est ce qui l’empêchera d’innover. Le processus de décision n’est pas centralisé. Cette structure, qui correspond à la structure en M de Chandler, peut aboutir à trois sortes d’innovations : les innovations de produit, de processus et de procédés.

Ainsi, pour prendre un exemple concret, on remarque que dans le sujet 2017, le dirigeant de l’entreprise correspond clairement à l’entrepreneur tel que le décrit Schumpeter. C’est un « risk-taker » dont la volonté d’innover est sa principale motivation. Son organisation est donc une firme en M où le processus de décision stratégique est décentralisé et motivé selon ses valeurs et son instinct. Ce type de structure lui permet de prendre des décisions en adéquation avec son environnement instable car cela lui permet d’être réactif. En outre, la souplesse est bien plus pertinente dans une PME que la bureaucratie car cela entraînerait des rigidités dans le processus de décision stratégique inutiles.

Les facteurs influençant la structure de l’organisation

En cas de question explicitement orientée vars la structure de l’entreprise, après l’avoir décrit, il est tout à fait pertinent de s’appuyer sur des auteurs pour comprendre quels éléments l’ont ou pourraient l’influencer.

Commençons par le plus évident qui est celui de la taille. En effet, comme nous l’avons déjà vu, la firme en U semble indispensable pour les grandes entreprises tandis que la firme en M est beaucoup plus pertinente pour des organisations plus petites. Mais la firme en U entraînant souvent de la rigidité, ce qui peut causer la perte de l’entreprise dans un environnement toujours plus instable et concurrentiel où la réactivité est clairement un facteur clé de succès, les firmes ont de plus en plus tendance à limiter leur taille pour éviter de devoir adopter une structure en U comme le décrit Ernst Schumacher dans Small is beautiful (1973).

L’environnement est également un facteur qu’il faut nécessairement prendre en compte. Burns et Stalker, dans The management of innovation (1961) affirment que si la firme en U ne pose pas de problème dans un environnement stable et prévisible où l’entreprise est un leader incontestable, sa rigidité l’est beaucoup plus lorsque l’environnement exige de devoir s’adapter en permanence pour survivre sur le marché.

Selon Masahiko Aoki dans The cooperative game theory of the firm (1984), la nationalité de l’entreprise influence également la structure. Celui-ci constate notamment que les entreprises japonaises adoptent plus souvent une structure en M tandis que les occidentaux préfèrent la bureaucratie (il parle de firme en J pour la firme en M et de firme en H pour la firme en U mais les caractéristiques essentielles sont identiques).

Enfin, selon Chandler, d’autres facteurs internes à l’entreprise peuvent faire évoluer sa structure. Par exemple, l’acquisition de nouvelles technologies peuvent rendre la firme dépendante de celle-ci et la rigidifié. La culture de l’entreprise peut également plus ou moins inciter les salariés à participer aux processus de décision.