La Renaissance correspond à la période qui s’étend entre le XVe et le XVIe siècle. Il s’agit d’une période de transition entre le Moyen-Âge et les Temps Modernes. De nombreux changements politiques, économiques, sociaux, mais aussi intellectuels font d’elle une période en rupture avec le Moyen-Âge. En effet, la chute de l’Empire byzantin a joué un rôle de catalyseur dans cette renaissance intellectuelle ; elle a provoqué la fuite de nombreux intellectuels vers l’Europe occidentale. Ces derniers ont amené avec eux idées neuves et manuscrits antiques. La généralisation de la  pratique de la dissection permet des progrès en médecine, et plus généralement, une meilleure perception du corps et de ses proportions, ce qui n’est pas sans conséquence dans la façon de représenter le corps en art, notamment le corps nu.

Toutefois, la Renaissance n’est pas totalement en rupture avec la période du Moyen-Âge et ses idéaux. L’idéal du Moyen-Âge est un idéal d’unité or, avec l’introduction de la perspective en peinture, la recherche d’une certaine harmonie et l’idée d’une forme de convergence vers un unique point restent présentes.  Par ailleurs, la mise en avant de corps nus désirables n’est pas tant liée à une libéralisation des moeurs – les nus de Raphaël et Léonard de Vinci, par exemple, sont dans des poses qui suggèrent la retenue – qu’à un changement idéologique. En effet, la doctrine franciscaine est de plus en plus influente, elle considère que le corps, en tant que création de Dieu, doit être admiré et célébré sous toutes ses formes.

Notons enfin que la Renaissance est avant tout l’âge d’or de l’humanisme, philosophie qui place l’être humain et ses valeurs au centre de la pensée – ainsi l’homme sert de référentiel dans toutes les disciplines, de la science naturelle à l’architecture ! L’humanisme est également caractérisé par un retour aux textes antiques. Paradoxalement, la Renaissance n’est donc pas seulement un temps du renouveau, et même si le nu est mis à l’honneur l’enjeu à cette époque est de montrer que le corps est beau parce qu’il est l’oeuvre du divin – la Renaissance voit les débuts de la mode, art de l’habillement… La Renaissance est donc bel et bien le trait d’union entre amour profane – du corps, en continuité avec l’Antiquité – et amour divin – en continuité avec le Moyen-Âge.

Rien de tel que des oeuvres de l’époque pour mettre en lumière ces caractéristiques, on commencera avec les Carnets  de Léonard de Vinci.

Léonard de Vinci,  Extrait des Carnets

« J’ai imaginé toutes ces machines parce que j’étais possédé, comme tous les hommes de mon temps, par une volonté de puissance. J’ai voulu dompter le monde.
Mais j’ai voulu aussi passionnément connaître et comprendre la nature humaine, savoir ce qu’il y avait à l’intérieur de nos corps. Pour cela, des nuits entières, j’ai disséqué des cadavres, bravant ainsi l’interdiction du pape. Rien ne me rebutait. Tout, pour moi, était sujet d’étude. La lumière, par exemple, pour le peintre que j’étais, que de recherches passionnantes ! (…)
Ce que j’ai cherché finalement, à travers tous mes travaux, et particulièrement à travers ma peinture, ce que j’ai cherché toute ma vie, c’est à comprendre le mystère de la nature humaine. »

Peintre, inventeur, ingénieur, scientifique, humaniste, philosophe du XVIe siècle, Léonard de Vinci nous a laissé en héritage de nombreuses inventions majeures : pompe hydraulique, métier à tisser, canon à vapeur, char d’assaut, scaphandre sous-marin, bateau à aubes et engins volants (hélicoptère, parachute etc.). Voyons à présent, à travers un extrait de ses Carnets du XVIème, en quoi il est ce que l’on pourrait appeler l’homme de la Renaissance.


Léonard de Vinci est un humaniste convaincu

Il place l’homme au coeur de sa recherche et le considère, comme les Anciens, « à la mesure de toute chose ». En effet, comme le montrent ses divers travaux en anatomie et mathématiques, et en particulier, l’Homme de Vitruve (1490), il fait de l’homme le microcosme d’un plus vaste univers. Sa quête est « comprendre le mystère de la nature humaine », et il s’adonne lui-même à des travaux de dissection « des nuits entières » ! On pourrait ainsi être tenté de catégoriser Léonard de Vinci comme étant atomiste. Les atomistes sont les premiers scientifiques athées de l’Antiquité ;  pour eux, il n’y a pas d’âme humaine, seulement des mécanismes à comprendre. Ainsi, pour eux, la Nature prenait le pas sur Dieu et il fallait se tourner non pas vers Dieu, mais vers elle pour comprendre notre corps. Léonard de Vinci n’est pas plus partisan de la thèse opposée – la thèse aristotélicienne – et aurait adhéré à une théorie intermédiaire : la théorie corpusculaire. Ce primat de l’homme chez Léonard de Vinci se traduit également par sa « volonté de puissance », de dompter le monde. Une telle volonté place l’homme comme maître du monde, référentiel.  En effet, dans ses Carnets, Léonard de Vinci étudie non seulement l’anatomie (III), mais aussi l’anatomie comparée (IV), la physiologie (V), les proportions de l’Homme (VII) et la Médecine (VIII).

Léonard de Vinci incarne l’écartèlement entre théories païennes et valeurs religieuses

 La rupture avec des pratiques et valeurs propres au Moyen-Âge ne fait pas l’unanimité. En témoigne la querelle du Jugement Dernier – à propos de la fresque de la chapelle Sixtine peinte par Michel-Ange et jugée « inappropriée» – et l’indignation de Castiglione – dans son Livre du Courtisan, il critique les pratiques très répandues qui consistent à se farder, aller au bain, soit à mettre en valeur son corps, qu’il juge de mauvais goût, et qui altèrent selon lui la beauté naturelle -. Léonard de Vinci lui-même est écartelé entre modernité et valeurs traditionnelles. Très créatif, il innove sans cesse et « bravant ainsi l’interdiction du Pape », il dissèque des cadavres. En accord avec le renouveau pictural, il invente la technique dit du « sfumato » et considère que «Tous ceux qui ne prennent pas comme modèle la nature, cette éducatrice de tous les maîtres, s‘efforcent en vain de faire de l’art ». Il prête attention à la perspective, or la perspective « artificielle » est instituée à la Renaissance – c’est, avec la technique de la peinture à l’huile, l’innovation du siècle – grâce à Filippo Brunelleschi. Toutefois, pour lui, la beauté continue d’être incarnée au masculin, et il se montre critique face à l’érotisme qui émane de certaines oeuvres de ses contemporains…

On retiendra que :

  • Léonard de Vinci est un humaniste, et il place l’homme au coeur de ses travaux et comme référentiel.
  • Malgré ses nombreux travaux de dissection et ses convictions humanistes, Léonard de Vinci n’est pas atomiste, donc n’est pas absolument athé.
  • Il incarne l’écartèlement entre théories païennes – qui ne font pas l’unanimité à l’époque – et les valeurs religieuses traditionnelles – contestées : il innove mais se montre critique face à certaines nouveautés comme l’érotisme de certaines oeuvres de l’époque.