Culture générale

Lors de l’année écoulée, les élèves des prépas ECS, ECE et ECT ont étudié le thème original et très contemporain de l’animal. Pour cette année 2021-2022, vous vous apprêtez à étudier le thème “aimer”, au sujet duquel on peut d’emblée faire les remarques suivantes.

D’abord, dans la vie et la culture en général, il est extrêmement commun et intemporel : il n’y a rien, semble-t-il, de plus universel que l’amour. Il a également ceci de spécifique qu’il renvoie à des expériences vécues qui comptent parmi les plus importantes et les plus bouleversantes dans la vie d’un être humain. Ensuite, et probablement pour cette raison même, il est extrêmement répandu dans la littérature et l’art. Par conséquent, vous n’aurez aucun mal à accumuler les références culturelles sur l’amour (romans, poèmes, chansons, tableaux, sculptures, films, etc.).

Enfin, et à l’inverse, il semble moins souvent un objet d’étude pour la philosophie ou les sciences : par exemple, la notion « amour » n’est pas au programme du cours de philosophie de terminale (bien que la notion de désir y figure). Nous verrons cependant que ces deux derniers groupes de disciplines ont bel et bien des choses à nous dire à son propos.

Une autre chose à remarquer, évidemment, est sa formulation : « aimer ». Il s’agit d’un verbe à l’infinitif et non du substantif « amour ». Il faudra accorder une attention toute particulière à ce libellé déroutant.

Major-prépa, cette année encore, souhaite vous accompagner au mieux dans la révision du thème CG de l’année : nous vous fournirons aussi bien des articles sur les classiques incontournables du monde de l’art que des articles sur les études philosophiques ou scientifiques de l’amour, connues ou méconnues. Nous vous aiderons également à appréhender cet étrange infinitif.

Il n’est pas inutile de noter également les liens évidents ou plus souterrains qu’entretient le thème « aimer » avec les thèmes des années précédentes. L’animal peut lui être lié en tant qu’il est un objet potentiel d’amour (l’animal de compagnie ou l’animal en tant qu’objet de l’éthique). Le désir, quant à lui, est très étroitement lié à l’acte d’aimer : celui-ci s’accompagne, dans certains cas sinon dans tous, d’un désir corrélatif qui nous pousse vers l’objet aimé.

Avant d’envisager une définition plus complète du verbe aimer et certains des axes de réflexion auxquels il invite, rappelons pour commencer ses définitions les plus évidentes et son étymologie.

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Étymologie et définition du verbe aimer

Le verbe français « aimer » vient du latin amare. Son étymologie est incertaine, mais elle permet de dégager les significations importantes du verbe aimer :

1° Amare renvoie d’abord à l’idée d’union. L’amour et l’union sont étroitement liés, dans la mesure où l’un des objectifs suprêmes de l’amant est de ne faire qu’un avec l’aimé : on reconnaît là un thème extrêmement classique dans le traitement artistique de l’amour. On peut aussi penser à l’union physique momentanée en quoi consiste le rapport sexuel, et à l’union officielle que représente le mariage.

2° Amare renvoie ensuite à l’idée de l’amour maternel. L’amour d’une mère envers son fils, en effet, constitue l’archétype d’une certaine forme d’amour, l’amour altruiste, sacrificiel, qui vise à satisfaire les besoins et désirs de l’aimé même au détriment des siens.

3° Amare renvoie enfin au terme « prendre ». Celui-ci possède à son tour trois sens différents : premièrement, un sens juridique qui renvoie à l’idée d’union officielle qu’on a déjà mentionnée en 1, et qui viendrait de l’expression « prendre pour époux ». Deuxièmement, un sens guerrier et conquérant, dans la mesure ou « prendre » est synonyme d’« enlever » et évoque le rapt des femmes des peuples voisins. Troisièmement, un sens physique, qui renvoie à l’acte sexuel, donc à l’union physique déjà citée en 1, mais sur un mode plus ou moins vulgaire (« prendre par derrière »).

Pour ce qui est des définitions communes du verbe « aimer » en français, les voici :

1° éprouver une forte attirance pour quelqu’un ou quelque chose. On notera que cette définition est large en ce que l’attirance n’est pas forcément amoureuse, et en ce que l’objet aimé n’est pas forcément un sujet, c’est-à-dire une personne, mais peut être une chose.

2° être amoureux. Ici, on a donc affaire au contraire à l’amour-passion pour une personne.

3° Accomplir l’acte sexuel.

4° faire preuve de charité, de bienfaisance envers autrui. Ici, l’amour se caractérise moins par un état affectif, moins par un sentiment que par une disposition à agir d’une certaine manière. L’amour, en ce sens, est une disposition à servir les intérêts d’autrui, éventuellement en négligeant les siens propres (cas de l’amour maternel).

Enfin, on citera une définition importante du substantif « amour » :

5° Principe d’union universelle. Ici, l’amour n’est ni l’état affectif d’un sujet, ni la disposition à agir d’une certaine manière d’un sujet, mais une entité métaphysique qui permet la cohésion des choses qui existent dans le monde. On retrouve cette notion notamment chez le philosophe antique grec Empédocle, selon lequel l’Amour et la Haine sont deux forces fondamentales qui régentent le cosmos.

Il faut aussi penser aux notions voisines et aux antonymes. L’amour est proche de notions comme celles de l’amitié, de l’amour platonique, de la charité, du désir, de la sexualité et de la passion. Il s’oppose au contraire à la haine, l’indifférence et l’égoïsme.

Aimer =/= amour

Venons-en maintenant à la question : quelle est la différence entre « aimer » et « amour » ? Une première réponse est que le verbe renvoie à des objets plus nombreux que le substantif. Quand on entend le mot « amour », sans précision supplémentaire, on pense directement à l’amour-passion, à l’amour de Roméo et Juliette, tandis que le verbe « aimer » semble s’appliquer à une plus grande diversité d’objets : on peut « aimer les abricots », « aimer les voyages en train », « aimer la pluie ». La seconde différence importante est que le terme « aimer » peut renvoyer à un attachement d’une intensité faible (on peut aimer les abricots sans en être fou), tandis que l’amour indique un sentiment d’une très forte intensité (avoir l’amour des abricots serait avoir une passion très forte pour les abricots, qu’on a en général plutôt dans le cadre d’une relation amoureuse).

Mais la différence la plus remarquable est la suivante : le verbe « aimer » exprime un acte, tandis que le substantif « amour » exprime une chose. Le verbe met donc l’accent sur l’amour en tant que dynamique et vécu à la première personne, tandis que le substantif met l’accent sur l’amour en tant que statique et considéré à la troisième personne. La question « qu’est-ce qu’aimer ? » appelle ainsi plutôt une réponse artistique ou phénoménologique (= décrivant l’expérience vécue du sujet), tandis que la question « qu’est-ce que l’amour ? » invite plutôt à un traitement scientifique.

Deux principes de classification liminaire : la manière et l’objet

Des considérations précédentes, on peut déduire qu’une bonne manière d’appréhender l’acte d’aimer est de lui appliquer deux principes de classification conjoints : quelle est la manière d’aimer considérée ? Quel est l’objet aimé ?

Ainsi, la « manière » d’aimer, dans l’amour-passion, inclut un attachement très intense et (le plus souvent) le désir sexuel. L’objet aimé est (traditionnellement, mais pas toujours) une personne du sexe opposé.

Dans l’amour maternel au contraire, quoique l’attachement soit très intense, il est bien distinct d’un désir sexuel, se caractérise par l’abnégation et porte sur une personne qui se caractérise non par son sexe, mais par son lien de filiation avec la personne qui aime.

La tripartition classique de la notion d’amour

Les réflexions précédentes nous amènent à exposer la tripartition classique de la notion d’amour. On distingue en général trois formes d’amour :

1° Éros, l’amour sexuel. C’est l’amour qui naît du besoin sexuel et porte sur un être avant tout considéré comme objet de satisfaction sexuelle. Il cesse avec la satisfaction du besoin.

2° Agapé, l’amour-charité. C’est une forme d’amour étrangère à toute forme de désir sexuel. C’est l’amour altruiste, qui consiste dans le don, dans le souci désintéressé et sacrificiel d’autrui (le cas de l’amour-maternel).

3° Philia, l’amour-amitié. C’est une forme d’amour qui ne se caractérise ni par le désir sexuel, ni par l’asymétrie du sacrifice, mais au contraire par les échanges égalitaires (solidarité, activités communes, etc.).

Les principaux axes de réflexion sur le thème aimer

Pour terminer, nous pouvons exposer quelques-uns des principaux axes de réflexion auxquels le thème de l’année nous invite, et qui seront traités sur le site au cours de l’année.

Aimer est-il le souverain bien ?

Il faut s’interroger sur la question de savoir où se situe l’amour dans la hiérarchie des biens humains. Les artistes, notamment les poètes (comme Aragon avec Elsa) et les chanteurs populaires (exemplairement, L’Hymne à l’amour d’Édith Piaf), exaltent l’amour et en font souvent la plus belle chose de la vie humaine. Mais on peut au contraire concevoir l’amour comme un bien secondaire par rapport à d’autres (la vérité, le bonheur, etc.), ou comme un instrument permettant d’arriver à des biens plus importants (l’harmonie sociale par exemple). On peut aussi poser la question de la hiérarchie des formes d’amour : ne vaut-il pas mieux pratiquer une sexualité sans sentiment que vivre l’amour-passion, comme le soutiennent Lucrèce dans l’Antiquité ou, plus radicalement, Sade à l’époque moderne ? Ou préférer l’amitié à ces deux formes d’amour ?

Est-il rationnel d’aimer ?

L’amour, surtout l’amour-passion apparaît comme un sentiment profondément irrationnel, qui jaillit des profondeurs de notre âme et s’applique à des êtres qu’on croirait peu enclins à le susciter (« il est laid et méchant mais je l’aime »). Cet axe de réflexion est exemplairement illustré par la manière populaire (et en réalité erronée, mais c’est une autre histoire) de comprendre la fameuse citation de Pascal : « le cœur a ses raisons que la raison ignore ». Mais on peut aussi envisager qu’il existe une rationalité cachée (biologique et sociologique, par exemple) aux sentiments d’amour.

Peut-on aimer plusieurs personnes à la fois ?

Cette question porte avant tout sur l’amour-passion. Celui-ci est traditionnellement considéré comme ne pouvant porter que sur un seul être, qui l’accapare tout entier. Mais la diversité des cultures, avec la polygamie, et la vogue contemporaine de schémas amoureux alternatifs comme le polyamour, interroge ce présupposé. Ne pourrait-on pas aimer d’amour plus d’une personne ?

L’aimé est-il unique et irremplaçable ?

L’amour-passion non seulement consiste à aimer un seul être, mais encore à la considérer comme unique et irremplaçable. L’unicité prêtée à l’aimé est-elle bien réelle ? Ou bien est-ce une illusion engendrée par l’affect, comme le défend le philosophe pessimiste Schopenhauer ?

Aimer, est-ce être injustement partial ?

Quand on aime une personne, son amoureux, sa famille, ses proches, etc., on se soucie davantage de leurs intérêts que de ceux des personnes avec lesquelles on n’a aucun lien affectif. Cette partialité est si ordinaire qu’elle ne paraît pas problématique. Mais la philosophie éthique nous invite à interroger sa légitimité : n’est-on pas injuste en privilégiant les nôtres plutôt que les autres ? Aimer nous place-t-il au-dessus de la morale ? La tradition utilitariste, notamment, propose une réflexion approfondie sur cette question.

Aimer, est-ce être en lutte ?

On célèbre communément les vertus unificatrices et altruistes de l’amour, que ce soit celles de l’amitié ou de l’amour-passion. Mais toute relation d’amour ne comporte-t-elle pas, également, une dimension agonistique ? On peut songer au conflit violent qui oppose des amants qui ne voient pas leur relation de la même façon, ou à la rivalité souvent sous-jacente aux relations d’amitié.

Tu retourneras également dans le dernier numéro de notre magazine Le Major, un article au sujet de l’épreuve de culture générale aux concours :

À bientôt sur le site pour le plan de travail de l’année !