Le sujet est à retrouver ici : sujet de contraction HEC 2018.

Les statistiques de l’épreuve

Le rapport de jury

Barème, attentes du jury

Le texte soumis cette année à l’attention des candidats constituait l’avant-propos d’un essai que Michel Jeanneret a consacré, en 2003, à l’érotisme dans la littérature du XVIIe siècle. Rigoureusement composé, rédigé dans une langue à la fois nette et suggestive, l’extrait permettait pleinement de satisfaire aux exigences de l’épreuve, qui demeurent inchangées : restituer fidèlement la démarche argumentative de l’auteur, proposer des reformulations pertinentes dans une langue correcte et condensée. Brassant des notions étudiées en première, voire en deuxième année de classes préparatoires (le Grand Siècle, le dualisme), le texte était donc très accessible.

Plutôt qu’à sa virtuosité logique ou conceptuelle, la spécificité du passage tenait à sa densité, menant parfois les copies à des oublis ou de criants déséquilibres, ainsi qu’à son sens de la nuance : le jury attendait que les grandes étapes de la démonstration – mais aussi quelques bifurcations plus fines – fussent rigoureusement identifiées, individualisées sous forme de paragraphes et dûment articulées. La capacité à saisir la trajectoire globale de la réflexion fut également un critère d’évaluation décisif. Dilapidant leur réserve de mots (et de temps) dans la première moitié du passage, maints candidats se sont trouvés fort dépourvus vers la fin du texte : erreur ordinaire, aggravée cette année par la richesse des derniers paragraphes, dont le jeu de présentation et de réfutation de trois thèses contemporaines a donné lieu à nombre de schématisations, d’inexactitudes, de versions lacunaires.

Concernant l’orthographe, le jury a appliqué les pénalités usuelles : un point de quatre à six fautes, deux entre sept et neuf, trois entre dix et douze, quatre au-delà. Quant au non-respect du nombre de mots admis, il entraîne une pénalité d’un point par dizaine entamée, aggravée de deux points lorsque le décompte annoncé sur la copie est fautif : c’est le cas de plus de 10% des copies. Ces critères combinés suffisent généralement à rendre compte des notes les plus basses.

Remarques de correction

La méthode de l’exercice est globalement respectée par les candidats, qui sont une infime minorité à ajouter un titre à leur résumé ou à bouleverser la situation d’énonciation (« L’auteur estime que… »). Ils sont plus nombreux à multiplier à l’excès les paragraphes – ce qui trahit une incapacité à percevoir la ligne du raisonnement – ou à l’inverse à faire du texte un indéchiffrable monolithe dépourvu de scansions internes. Les paragraphes n’ont pas une visée ornementale mais bien un sens logique : maintes copies proposent des délimitations fautives, isolant des idées présentées comme solidaires par Michel Jeanneret.

Dans leur détail, les enjeux et les articulations du texte furent très inégalement saisis et restitués par les candidats. Une erreur fondamentale consistait à occulter tout simplement la référence au XVIIe siècle, qui constituait, non pas une illustration contingente, mais le sujet même de l’ouvrage, comme le rappelaient explicitement une note de bas de page ainsi que le titre de l’essai. La remarque finale du texte, visant à reconsidérer la conception culturelle simpliste que nous avons héritée du classicisme français, fut très rarement restituée, alors qu’elle précisait le but même de la démarche. Cédant aux sirènes d’une abstraction « horssol », maintes copies se sont perdues dans des généralités sur les vertus de l’érotisme, là où le texte articule, en particulier dans sa seconde moitié, différentes strates temporelles, ménageant des différences, des échos, des évolutions. Plusieurs candidats confondent la Renaissance, le Grand Siècle et les Lumières, projettent Molière et Descartes dans les temps les plus divers, confondent libertins et libertariens, avancent que L’Histoire de la sexualité de Michel Foucault a pour principal objet Mai 68 – à la faveur d’une confusion entre les adjectifs « moderne » et « contemporain ». Ce dernier épisode a fait l’objet de jugements de valeur inopportuns et de remarques parfois déconcertantes, laissant à penser qu’il n’était tout simplement pas connu de certains candidats.

D’autres passages ont occasionné des confusions : le début de l’extrait a donné lieu à des généralités discutables sur le déclin de l’Occident et la responsabilité des « littéraires » (pour les lettrés ou les écrivains), le paragraphe sur « l’Eros cosmique » est souvent mal compris, tout comme l’idée paradoxale selon laquelle science et religion se rejoignent pour alimenter, au XVIIe siècle, une ontologie dualiste. Le passage le plus malmené demeure les paragraphes 15 à 18 qui reprenaient, pour mieux les réfuter ou les nuancer, les argumentaires de Mikhaïl Bakhtine, Michel Foucault et Jean-Claude Guillebaud. Poliment contournés, maladroitement survolés ou sauvagement amputés, ces paragraphes correspondent pourtant à une étape cruciale de la démonstration de Michel Jeanneret qui s’emploie à réhabiliter la puissance séditieuse de l’érotisme dans une historiographie trop souvent encline à la minorer voire à l’ignorer. Les candidats ont fréquemment compris l’inverse des thèses de ces trois auteurs et l’inverse du regard que porte Jeanneret sur ces trois thèses, ce qui aboutit à un millefeuille de contresens. Les meilleures copies ont néanmoins été sensibles aux inflexions argumentatives du texte, au point de rendre certaines distinctions subtiles entre l’érotisme, la littérature en général et la littérature érotique en particulier.

Ces remarques valent encore pour les articulations entre les idées, qui se résument parfois à des conjonctions mécaniques ou des adverbes factices (le chronologique « ensuite », le très polyvalent « en outre »). Une confusion récurrente : comprenant mal la dernière phrase du paragraphe 14, plusieurs candidats ont estimé, en un saisissant raccourci historique, que la lutte des libertins avait directement débouché sur Mai 68. Une simple analogie, qu’il n’était pas absolument nécessaire de restituer, devenait ainsi lien de causalité historique.

Conseils aux futurs candidats

L’épreuve de contraction ne consiste pas en une reformulation myope des mots du texte, encore moins en un montage de citations juxtaposées, mais bien en la constitution d’un ensemble organique, clair, articulé, qui doit viser, sinon l’élégance, du moins la plus grande fluidité. Aussi normée soit-elle, la contraction de texte est aussi un exercice d’écriture.

Dans les travaux les moins convaincants, les expressions du texte-source sont au contraire reprises sans distance : « les droits du corps et la force du désir », « la honte du génital », le « raidissement des mœurs », les « complices du pouvoir », « sévérité théorique et tolérance pratique », « névrose collective de culpabilité », « l’art purifie la violence primitive », autant de malheureux greffons qui furent inlassablement recopiés et maintenus dans leur irréductible étrangeté au lieu d’être incorporés et reformulés.

Trop de candidats manquent en outre de rigueur syntaxique : des phrases souvent fort longues emmêlent les idées dans des relatives dont on perd l’antécédent et dans des juxtapositions de subordonnées sans principale. Les correcteurs rappellent à ce titre que les subordonnants « tandis que », « si bien que », « alors que », « même si », « bien que » (suivi du subjonctif, ce que maints candidats oublient) ont vocation à introduire des propositions subordonnées, qui par définition doivent dépendre d’une principale, n’en déplaise à un certain style oral ou journalistique (« Alors que la théorie était bien différente dans la pratique. ») L’accord du verbe avec un sujet pluriel, postposé ou non, est fréquemment incorrect (« S’ensuit des siècles de conflit », « c’est l’art et la littérature »). Les verbes « impacter », « impulser », « cibler » ou encore « légitimiser », tout comme l’adjectif « sociétal » – qui semble avoir définitivement détrôné l’humble « social » – alourdissent considérablement certains travaux, qui abusent en outre des phrases nominales.

A l’inverse, les candidats doivent se méfier des métaphores inutiles (« la censure se durcit, si bien que tout explose en Mai 68 ») et s’interdire les barbarismes, aussi suggestifs soient-ils («*l’exhultoire », « les sauvageresques désirs », la « *puritanie »). Le jury note encore une série de confusions entre libidinal et libidineux, inconscient et inconscience, réprimer et réprimander, luxurieux et luxuriant, libéralisation et libération, chrétienté et christianisme. Mentionnons enfin quelques fautes d’orthographe récurrentes, pourtant aisées à corriger : la confusion entre « peut-être » et « peut être », « ancré » et « encré », « *échappatoir » (le plus souvent au masculin), « *héro », « *rebel », « *malgrés », « public / publique », « *taboo », la conjugaison des verbes « créer », « requérir » et « régner », le participe passé des verbes du second groupe (« il est *définit ou *régit »). La ponctuation est parfois fantaisiste, en particulier lorsqu’une virgule vient s’intercaler arbitrairement entre le sujet et le verbe de la phrase (« Cependant, l’exemple de Mai 68, montre que…). On ne saurait trop conseiller aux candidats d’écrire simplement mais rigoureusement, en bannissant cette langue semi-étrangère faite de citations mal digérées ou de généralités auxquelles ils ne croient guère. De belles réussites montrent, cette année encore, que l’épreuve est à la portée de la grande majorité des étudiants.

Corrigé type

Plan du texte

I – Préambule en forme d’avertissement : notre époque ne parvient plus à apprécier la portée transgressive de l’érotisme (§1)

1. Rien ne semble pouvoir heurter notre époque apathique et accommodante, qui peine d’autant plus à trouver des sujets d’indignation qu’elle renonce à la sévérité des normes. Aussi risquons-nous d’occulter tout ce que, par le passé, l’érotisme voire la littérature elle-même ont dû hasarder dans leur lutte face aux interdits.

II – La libération d’Éros : l’érotisme et l’art comme levée fantasmatique des inhibitions (§2-4)

2. Or, pour faire valoir ce monde de désirs, la littérature n’a qu’à le représenter : il s’affirme de lui-même, dans sa capacité à ébranler l’ordre quotidien avec lequel il se mêle. En s’ouvrant aux pulsions communément prohibées, l’œuvre d’art accomplit selon Freud un processus de compensation par la fiction qui, par la libre expression des désirs, permet de contrebalancer les privations et les rigueurs de la vie sociale. En faisant la part de l’ombre et du rêve, la littérature accorde l’homme avec ses profondeurs et enrichit la vie.

3. Intimement lié à l’art, et à la littérature – qui se nourrit de désirs qu’elle remodèle – l’érotisme a précisément le pouvoir d’exhiber la pulsion sexuelle en donnant la parole à l’organique, à la part d’animalité tapie en chacun. Par la représentation littéraire, il émeut tout à la fois le corps et l’esprit du lecteur.

4. Ce faisant, l’érotisme rejoint l’antique conception cosmogonique de l’Amour, divinité originaire responsable de la création du monde, de la conciliation sympathique des contraires et de l’harmonie cosmique. Distinct de son pendant graveleux, l’érotisme ne saurait légitimement soustraire la sexualité à ce substrat mythique qui symbolise l’origine même de la vie.

III Les contraintes de l’émancipation : la nécessaire médiation des formes (§5-8)

5. Or, ce n’est que par le truchement de la mimesis que la brutalité de l’instinct, transfigurée par l’art, peut révéler ses vertus cathartiques et devenir principe de jouissance.

6. Ainsi l’érotisme, aussi ambivalent que précaire, n’est-il jamais aussi puissant que lorsqu’il assujettit ses forces ardentes au travail de la forme, selon un mouvement dialectique ininterrompu rappelant le jeu du désir et de l’obstacle.

7-8. En témoigne l’échec d’un certain libertarisme issu de Mai 68, exaltant naïvement l’illimitation du désir, la jouissance sans entrave et le refus des normes, alors que l’émancipation ne saurait authentiquement faire l’économie de la détermination.

IV Les enjeux propres au xviie siècle : le raidissement des autorités et l’essor d’une plume licencieuse (§9-14)

9. En réalité, de telles normes fluctuent selon les lieux, les discours et les époques, ce qui requiert un effort de contextualisation.

10. Ainsi le xviie siècle se caractérise-til, en réponse aux crises qui ponctuent la période, par une tendance à la normalisation, par l’affermissement des autorités politiques, religieuses ou linguistiques, mais aussi par la floraison de voix dissidentes, portées par des écrivains

11. volontiers licencieux, qui entendent concilier les libertés du corps avec celles de l’esprit.

12. C’est qu’il faut répliquer à la pruderie ambiante, qui jette l’anathème sur la sexualité, appelle illusoirement à la maîtrise de soi et à l’inhibition des désirs ;

13. d’autant que les sciences contemporaines tendent vers un dualisme similaire, en prônant avec Descartes une vision mécaniste et dévitalisée de la matière, loin de la conception léguée par la Renaissance d’une nature habitée par l’esprit.

14. L’érotisme littéraire est donc signe d’insoumission et d’hétérodoxie, préfigurant le libertinage des Lumières. En un mouvement de surenchère, ses outrances sont une réplique à la sévérité du temps.

V L’érotisme minoré : discussion des analyses récentes de trois intellectuels (§15-18)

15. Or cet érotisme subversif est injustement ravalé par les historiens au rang de pratique mineure ou anodine.

16. Selon Bakhtine, le rire carnavalesque cher à Rabelais n’est ainsi qu’une parenthèse inoffensive, contribuant paradoxalement à pérenniser l’ordre qu’il revivifie. Or, le climat change au xviie siècle, qui considère désormais cet exutoire comme déplacé.

17. Dans le contexte polémique de Mai 68, où certains exagèrent la portée de leur insoumission, Foucault montre bien que la modernité, loin de marginaliser la sexualité, en a fait un objet de connaissance à destination d’un large public. N’en oublions pas, néanmoins, que les tenants de l’érotisme se sont historiquement attiré la réprobation des autorités.

18. De même Guillebaud rappelle-t-il que les rigidités affichées au xviie siècle autorisent des ajustements et masquent des pratiques autrement plus souples : cela n’ôte rien à l’âpreté des querelles contemporaines.

VI Conclusion : l’érotisme révèle la vitalité et les tensions du xviie siècle (§19)

19. De la transgression ouverte aux manœuvres plus retorses, l’érotisme mobilise donc tout un nuancier de techniques discursives pour s’affirmer face au pouvoir, avec lequel il faut néanmoins ruser, transiger, dans des proportions à chaque fois singulières. Théâtre de drames et de controverses, le Grand Siècle n’a rien de monolithique.