Depuis une dizaine d’années, l’économie française est en déclin (décrochage de l’industrie et des exportations, faible croissance, augmentation du chômage, pouvoir d’achat en baisse, inégalités en hausse, etc.). Enfin bref, l’économie française peine à faire repartir sa croissance.

En 2014, trois économistes se sont penchés sur cette question, et estiment que notre modèle est désormais dépassé. Pour enrayer la spirale de ce déclin, il faut désormais un nouveau modèle de croissance. Un modèle qui serait tourné vers l’innovation. Pour eux, la France doit changer de modèle économique. Ambitieux, n’est-ce pas ? Il est vrai, mais il faut également dire que ces trois économistes ne sont pas n’importe qui. Avant d’analyser leur ouvrage, penchons-nous sur le parcours de ces trois hommes.

Les auteurs

Elie Cohen : économiste français diplômé de l’IEP de Paris, il est directeur de recherche au CNRS. Il est connu pour ses nombreuses publications sur la déréglementation et la libéralisation des marchés.

Gilbert Cette : membre du conseil d’analyse économique, spécialiste de l’emploi et de la productivité. Il est depuis 2005 directeur des analyses macroéconomiques et des prévisions de la Banque de France. Il a été récompensé du prix de l’économiste de l’année 1986, catégorie: « Aide à la décision publique : emploi ».

Philippe Aghion : diplômé de l’ENS Cachan, ancien professeur au MIT, à Oxford puis à Harvard (oui quand même il a un beau CV le monsieur…) et à l’école d’économie de Paris, il est depuis octobre 2015 le titulaire de la chaire « économie des institutions, de l’innovation et de la croissance » au Collège de France. Ses travaux de macroéconomie portent principalement sur les concepts d’innovation et de croissance. Il développe une nouvelle théorie de la croissance qui se rapproche beaucoup de l’analyse schumpeterienne de l’innovation. Pour lui, c’est la base de la croissance.

Enfin bref, avec ces trois petites biographies, nous pouvons dire que ces hommes sont assez qualifiés pour proposer des idées afin de changer de modèle. Et pour eux, cela se fera par le changement des mentalités. Il faut effectivement les adapter à une économie mondialisée, mettre l’accent sur l’innovation pour relancer la croissance en ne laissant personne sur le bord de la route. Ce nouveau modèle passera par la formation et l’innovation.

L’Etat doit relancer l’ascenseur social et lutter contre les inégalités via la réforme de l’éducation

Pour les trois économistes, c’est l’un des points les plus importants. Il faut absolument réformer l’école et notamment l’université française pour accroître la mobilité sociale. Le modèle français est inégalitaire et le milieu socio-économique joue un rôle de plus en plus important dans la réussite des élèves. C’est en cela que l’école reproduit les inégalités. De plus, notre système de sélection des élites est inégalitaire dans son ensemble. Les CPGE (classes préparatoires aux grandes écoles) et les grandes écoles bénéficient d’une plus grande aide que nos universités. Il est alors primordial d’investir dans le système universitaire pour créer des universités d’excellence.

On retrouve dans cette thèse les idées de Philippe Aghion. Il recommande ainsi de mettre en place une gouvernance équilibrée dans les établissements universitaires, s’appuyant sur les exemples de Harvard. Il admet également qu’il n’y a pas de modèle unique. En gros, il veut mettre en place des campus d’excellence universitaire sur le modèle des méga-universités américaines (Stanford, Princeton, MIT, NC States, etc.).

L’Etat doit faire une importante réforme fiscale

Dans ce domaine, c’est assez étonnant de lire ça de la plume de trois auteurs de gauche… Ils sont en faveur d’une dévaluation fiscale ! Pourquoi ? Parce qu’à long terme, cela doit provoquer « un choc de compétitivité », en augmentant l’excédent brut d’exploitation des entreprises, cela doit favoriser l’investissement dans la recherche et développement.

Il faut également arrêter de surtaxer le capital. Ils soulignent que la loi de finances de 2012 s’est traduite par un alourdissement de la taxation des revenus du capital, touchant les plus riches, ce qui provoque une fuite des capitaux et une baisse de l’investissement national.

Ils recommandent de s’attaquer aux niches fiscales, par exemple, la niche Girardin conçue pour favoriser l’investissement dans les DOM est devenue un moyen d’abaisser la fiscalité pour les hauts revenus, cela creuse les inégalités et représente un manque à gagner non négligeable pour l’Etat. C’est ce que montrent Piketty, Landais et Saez dans Pour une révolution fiscale (2011) : le taux de prélèvement des 5% les plus riches décroît avec le revenu, car les niches réduisent l’efficacité de l’impôt progressif.

Pour finir, ils évoquent la surtaxation de nos PME (petites et moyennes entreprises). Il est vrai que le taux d’imposition sur les sociétés en France est le plus élevé d’Europe. Or les PME, contrairement aux grosses entreprises, ne peuvent pas se refaire financièrement en produisant à l’étranger : il faut donc aider nos PME à produire moins cher en abaissant leurs taux d’imposition !

L’Etat doit réduire les dépenses et mener d’importantes réformes structurelles

La priorité doit aller à la réduction des dépenses publiques en France, car celles-ci sont de plus en plus inefficaces et cela passe par des réformes structurelles. C’est exactement ce que la Suède a fait dans les années 1990, et cela a parfaitement réussi quand on voit le moteur de croissance suédois à l’heure actuelle.

A cela s’ajoute le fait que l’assurance maladie française est le régime le plus coûteux des pays de l’OCDE après celui des USA, d’où la nécessité de le réformer. Pour cela, les dépenses de santé doivent être mieux contrôlées, en passant par une refonte du système du tiers-payant. Autrement dit, il faudrait définir une palette de soins totalement couverts pour tous et laisser les autres non remboursés pour éviter les remboursements partiels qui sont très (trop) coûteux. Il faut également mettre en concurrence les médicaments pour diminuer les prix.

Et pour finir, le système des retraites est à revoir. Il est trop « généreux » et « inégalitaire ». Mais il est surtout inefficace. Ils proposent de reculer l’âge de départ en retraite. Ils s’appuient sur l’exemple de la Suède en soulignant que ces derniers ont mis en place un système de retraite par points qui incite à travailler plus longtemps et qui fonctionne.

Prendre un tournant idéologique important et innover dans notre mode de pensée

Ils prônent une rupture avec le keynésianisme… Nous sommes désormais dans une ère mondialisée, la croissance est tirée par l’innovation, la relance par la demande perd de son efficacité, car avec l’ouverture des économies, la propension marginale à importer vient alimenter la propension marginale à consommer et fait perdre au multiplicateur son efficacité. Il convient donc de mettre en place une « dévaluation fiscale » qui à long terme est profitable en améliorant la compétitivité. Aujourd’hui, ce changement semble avoir lieu, à travers le Pacte de compétitivité (CICE). Hollande se tourne vers l’offre et non plus vers la demande. Le 14 janvier 2014, il prononce d’ailleurs : « C’est sur l’offre qu’il faut agir. » Notons cependant que le keynésianisme « hydraulique » fonctionne aux USA.

Enfin, ils affirment leur volonté de favoriser la concurrence en déréglementant le marché des biens et des services. Certaines professions comme le monde des taxis ou des opticiens par exemple, entretiennent d’importantes barrières à l’entrée. Pour y remédier, le rapport Attali voulait notamment libéraliser le marché des taxis via l’initiative publique Autolib’ (bof… Uber et ses VTC ont mieux fonctionné). Pareil pour les opticiens : la loi Hamon (2014) permet de vendre des lunettes en ligne, c’est ce qu’ils appellent « la concurrence saine «. Notons que cela reste modéré car seuls les opticiens diplômés peuvent exercer.

Ainsi il faut casser les idées reçues et agir sur trois leviers, la formation (et la lutte contre l’échec scolaire), rendre le marché du travail et des biens plus concurrentiel et développer un État efficace et économe qui réduit les impôts et lutte contre la rente.

La nécessaire relance de l’économie à travers une nouvelle politique industrielle tenant compte de l’écologie

La subvention des champions nationaux est néfaste : l’économie est en perpétuel mouvement et il faut innover. Pour ce faire, quoi de mieux que de relancer une nouvelle ère industrielle en tenant compte de l’impératif écologique ? D’abord, il faut mettre en place une politique sectorielle pro-innovation qui favorise la concurrence et qui évite les ententes, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables afin de gérer des externalités positives sur l’ensemble de l’économie. Pour nos trois économistes, l’innovation permet de faire sans cesse reculer les limites de la croissance grâce à la découverte de nouvelles sources d’énergie par exemple et d’échapper à la stagnation séculaire (c’est ce qu’on peut expliquer à la lumière de l’histoire à travers les révolutions industrielles, la première était celle du charbon, la seconde est celle du pétrole, de l’électricité, la troisième, celle de l’énergie verte ?).

Plutôt que de se plaindre de la croissance zéro, il convient désormais de rediriger le progrès technique vers l’innovation verte. Par exemple, les USA après 2008 ont relancé l’économie à travers d’importantes subventions sur le gaz de schiste. Énorme erreur… Il fallait se servir de la crise pour relancer l’économie vers un modèle beaucoup plus durable car cela enlise les USA dans une nouvelle énergie fossile.

Cependant, changer de modèle à l’échelle nationale c’est bien, à l’échelle internationale, ne serait-ce pas mieux? Le problème est la question de la coordination au niveau mondial de la lutte contre le réchauffement climatique. Les PED (pays en développement) ne veulent pas entendre parler de ça : pourquoi se priver d’une croissance importante (et polluante) alors que les PDEM (pays développées à économies de marché) en profitaient hier?

C’est donc aux pays développés (et donc à la France) d’initier le premier pas vers l’innovation des secteurs non polluants (le solaire en Allemagne, l’éolienne en Norvège, l’hydraulique dans certaines régions en Chine, etc.) et de subventionner les nouvelles technologies propres vers les pays en développement (par exemple, la solaire partait de l’innovation des pays développés, aujourd’hui, le leader mondial dans ce secteur, c’est la Chine !).

Conclusion

Le modèle français souffre, alors que les Etats-Unis ont su faire repartir leur économie en assainissant leur système bancaire, et en favorisant la reprise via la politique des bas taux de la FED et la mise en place de Quantitative Easing. L’Europe souffre et adopte des mesures dans l’ordre inverse ou avec beaucoup trop de retard. Ainsi, Aghion, Cette et Cohen, dans Changer de modèle (2014), appellent de leurs vœux la définition d’une nouvelle politique industrielle orientée « verte ». Notons qu’en France, les « emplois verts » progressent 2,5 fois plus vite que l’emploi total. Ainsi, grâce à cet ouvrage qui est assez engagé, des pistes de réflexion sont données aux politiques, à eux de les appliquer désormais. Mais comme le disait Junker, « on sait tous ce qu’il faut faire, mais on ne sait pas comment se faire réélire après ».

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