Nous avons montré dans le premier article que les États, depuis qu’ils sont frappés par le poids de la dette, tentent à tout prix d’honorer leurs créances. L’austérité a été la solution privilégiée dans la majorité des cas et, pourtant, les théories qui viennent fonder cette politique sont très discutables. Aussi, nous avons parlé des théories récentes de l’endettement dont Olivier Blanchard et Lawrence Summers sont les initiateurs. Aujourd’hui, nous dépasserons la conception traditionnelle de la dette, tout en mettant en évidence l’intérêt particulier de ces théories.

Qu’est-ce que l’endettement d’un État ?

Tout d’abord, il est important de dissocier l’endettement d’un État et l’endettement d’un ménage. Immortel, l’État peut avoir une dette en permanence, il n’a pas à la rembourser ! Il se doit seulement de garantir qu’il pourra en servir les intérêts. Ce « roulement de la dette » lui permet donc de s’endetter autant qu’il le souhaite, tant que les prêteurs lui font confiance. D’ailleurs, les agents privés désirent détenir de la dette publique pour des raisons de liquidité et de sécurité. Les titres de dette publique permettent de se constituer un capital en vue de la retraite, par exemple. Leur risque de défaut de paiement est jugé quasi nul. En contrepartie, leur rendement peut être relativement faible.

Ainsi, en avril 2005, l’État français a émis une obligation assimilable du Trésor (OAT) à cinquante ans, arrivant donc à maturité en 2055. L’État français s’était engagé à en émettre pour six milliards d’euros. La demande a atteint 19,5 milliards. Aussi, le taux d’intérêt servi a été de 3,77 %, soit un niveau particulièrement bas. La dette publique française est donc demandée : les marchés font confiance à la signature de l’État français. Pour eux, la France est solvable et le taux d’intérêt sur la dette n’augmentera guère, même à très long terme. Tant que la dette apparaît désirée, qu’il est possible de l’émettre à de bas taux d’intérêt, qu’elle ne provoque ni tensions inflationnistes ni déficit extérieur, il n’y a pas de preuve qu’elle est excessive. On peut, une nouvelle fois, dédramatiser le passage très récent au-delà des 100 %.

Mais 100 % de quoi ?

Aussi, comprendre à quoi correspond ce « 100 % » est essentiel pour bien appréhender le sujet de la dette. L’endettement tel qu’il est mesuré aujourd’hui répond à la formule très simple : montant de la dette brute/PIB. Néanmoins, tout cela n’a que peu de sens d’un point de vue strictement comptable. La dette est un stock, alors que le PIB est un flux ; ils sont complètement différents de nature et donc incomparables. Il serait plus juste de comparer deux flux, soit le rapport intérêts de la dette/PIB. On peut aussi comparer deux stocks, ce qui est plus intéressant cette fois : dette (passif)/actif. Comme l’actif est structurellement supérieur au passif, on peut considérer sous cet angle qu’un jeune Français ne naît pas avec 34 000 euros de dette comme on peut souvent l’entendre, mais bien avec un patrimoine (routes, écoles, hôpitaux…). Cet héritage des administrations publiques baisse en valeur depuis plus d’une décennie, mais relevons tout de même que de ce point de vue, étant plus proche de la réalité économique du pays, nous pouvons relativiser nos craintes.

De plus, on considère généralement la dette des administrations publiques, mais trop peu la dette des entreprises et des ménages ! C’est la somme des trois vis-à-vis des acteurs extérieurs qui matérialise réellement la dette d’un pays. Enfin, pour continuer l’évaluation plus juste de la santé économique d’un pays, il est intéressant d’appréhender le solde courant – disponible après l’établissement de la balance courante, correspondant à la somme de la balance commerciale, de la balance des revenus et de la balance des transferts courants. La France connaît aujourd’hui un déficit de 1 %. Elle est donc devenue débitrice vis-à-vis de l’étranger. Le cumul des déficits de la balance courante n’est pas sain ni soutenable, et la France devra vraiment se pencher sur la question si elle veut réduire sa dette.

Un endettement soutenable

On peut dès lors reprendre le message délivré récemment par Olivier Blanchard. Depuis la crise financière, cet ancien économiste en chef du FMI pousse les économistes à revisiter leurs théories. Début 2019, il considérait qu’il était inutile aujourd’hui de s’inquiéter de la dette publique ! La raison est simple : le taux d’intérêt auquel s’endettent actuellement les États est très faible. Il est inférieur au taux de croissance de la valeur de la production (croissance « nominale » et non en volume). « Le ratio dette-PIB déclinera dans le temps sans qu’il ne soit jamais nécessaire d’augmenter les impôts ». Pas d’effet boule de neige ! Et dans un monde où les entreprises n’investissent pas à un rythme effréné, la montée de la dette publique ne les sevre pas de capitaux. Olivier Blanchard ajoute que « si la dette publique est nuisible, elle n’est pas catastrophique (…) elle peut être utilisée, mais à bon escient ».

On retrouve évidemment ici une touche keynésienne qui a pourtant disparu des politiques économiques depuis plusieurs décennies maintenant. Dès lors que l’endettement servira à réduire le déficit du solde courant, il sera très utile et non pas seulement soutenable. Évidemment, cela n’a rien d’évident, il s’agit d’un travail de longue haleine demandant de vraies transformations de l’économie et des choix politiques forts. Il faudra avant tout changer notre regard sur l’endettement et ne plus le considérer comme une faiblesse ou un manque de moyens…

La possibilité de s’endetter à des taux si bas est une réelle opportunité pour les États. Maintenant, ce qui détermine l’utilité de l’endettement, c’est l’utilisation de l’argent emprunté. Nous avons vu que la situation n’était pas si grave, et même largement rattrapable. 100 %, ce taux ne doit plus faire peur !

Cette deuxième partie de l’article vous sera particulièrement utile pour un troisième axe si un sujet sur l’endettement venait à tomber… Dépasser le débat actuel, nauséabond et bloqué par des préjugés, ne pourra qu’être apprécié par les correcteurs !