En 2014, la Russie a fait les gros titres en raison du krach de sa monnaie, le rouble. Sa dévaluation entraîne une grave récession et fait bondir l’inflation de 15,5%, mettant en péril l’économie toute entière. Erreur de politique monétaire ? Resserrement des taux américains ? Rien de tout cela n’explique cette crise, dont les causes sont inhérentes à la position de la Russie sur le plan géopolitique et économique. Relation tumultueuse avec l’Occident, hyper-dépendance aux hydrocarbures figurent parmi les explications du débâcle de la Russie en 2014. Où en est le pays aujourd’hui ?

La Russie de Poutine repart 

Une conjoncture positive… 

La Russie voit sa croissance repartir à la hausse après quelques année de tourment. La COFACE estime ainsi que la croissance devrait approcher les 1,8% en 2018, contre 1,5% en 2017. Ceci s’explique par une consommation des ménages dynamique provenant d’une hausse des revenus. Par ailleurs, le rouble est désormais stabilisé et s’est apprécié, ce qui permet aux entreprises de se fournir sur le marché mondial à un prix moindre, et favorise l’investissement. Ses comptes publics sont également au beau fixe, puisque les recettes pétrolières ont permis de les ramener à l’équilibre et d’augmenter les réserves de change. D’autant que le pays a récemment promulgué une loi exigeant que les dépenses primaires n’excèdent pas la somme des revenus pétroliers, ce qui illustre une volonté politique d’assainir les finances publiques. 

… stimulée par des facteurs naturels 

Le pays dispose de nombreuses ressources. Celles-ci sont tout d’abord naturelles puisque la Russie possède la 8ème plus grande réserve de pétrole au monde, et la 2ème plus grande réserve de gaz. Ces réserves sont exploitées par des entreprises d’envergure mondiale comme Gazprom, classée 3ème mondiale en terme de capitalisation boursière. Le pays dispose enfin d’un quart des réserves de bois au monde. Logique, puisqu’il s’agit du plus grand pays au monde. 

Avec 140 millions d’habitants, la Russie dispose d’un vivier d’actifs important, d’autant que la main d’oeuvre y est qualifiée. 

Sa situation géographique lui permet également d’être une puissance régionale et d’avoir une relation privilégiée avec les pays qui appartenaient à l’URSS. 

Enfin, la perspective de l’apparition d’une route maritime reliant l’Europe à l’Asie a mis le Kremlin sur les rails, ce dernier ayant déjà commencé à se déployer en Arctique afin de profiter d’une nouvelle manne financière non négligeable. En effet, cette route serait plus rapide que celle aujourd’hui empruntée. 

Des zones d’ombres subsistent 

Corruption, environnement des affaires et étatisme 

La Russie est classée 133ème sur 176 pays en terme de corruption par Transparency International ( 2012 ). En effet, des institutions faillibles empêchent l’investissement en cela qu’elles créent un environnement des affaires défavorable à l’arrivée d’IDE. 

La Russie de Poutine est également caractérisée par l’omniprésence de l’Etat. Les entreprises appartenant à l’Etat produisent ainsi les trois quart du PIB. On peut notamment citer Gazprom. Initié par Poutine, le développement du champ d’action de l’Etat est passé par l’éviction d’oligarques dissidents. Ceci s’accompagne de restrictions aux investissements étrangers sur 40 industries désignées comme critiques. En cadenassant l’industrie nationale, la Russie se prive du transfert de technologie mais aussi d’une ressource budgétaire non négligeable.

Quelle politique monétaire adopter ? 

Le chômage est à un niveau relativement faible ( 5,5% ), ce qui favorise l’inflation, d’autant que la productivité n’augmente pas aussi vite que les salaires. Ici, la politique monétaire doit donc être davantage restrictive afin d’endiguer l’inflation potentielle. Cette hausse des taux est également justifiée par le resserrement progressif des taux US : afin d’éviter une fuite des capitaux, la banque centrale augmente ses taux d’intérêt pour rester attractive. Ceci illustre ce que vit également le Vietnam. 

Enfin, même si le pétrole est aujourd’hui à un prix élevé, la dépendance à cette ressource peut desservir d’autres secteurs : c’est la “maladie hollandaise” ou “dutch disease”. Observé au Pays-Bas pendant les années 1960, ce phénomène caractérise les pays dépendants de l’exploitation d’une ressource naturelle. En période de forte activité, l’augmentation des exportations entraine l’appréciation de la devise nationale, ce qui détériore la compétitivité de l’industrie manufacturière. Pour contrer ce phénomène, il faut alors de baisser les taux directeurs afin de rendre la devise plus attractive. La politique monétaire russe fait face à ce dilemme.

La Russie souffre de sa position internationale 

En annexant la Crimée en 2014, la Russie s’est attirée les foudres de l’Occident, ce qui s’est soldé par des sanctions économiques portant notamment sur le financement, l’énergie, l’agro-alimentaire … Or le principal client de la Russie étant l’Union Européenne (44,7% des exportations), ces sanctions ont et vont irrémédiablement freiner la croissance de la Russie, d’autant que la substitution de produits nationaux est peu efficace. De manière générale, les relations entre la Russie et l’Occident sont nocives pour l’économie, car elles se traduisent par une intégration moindre aux traités de libre échange. Elle ne fait partie de l’OMC que depuis 2012 et appartient à la CEI ( communauté des Etats indépendants) qui regroupe des pays issus de l’ex-URSS. Or cet accord est “lâche” car il est supplanté par des accords bilatéraux. L’accord de partenariat et de coopération signé avec l’Union Européen en 1997 est quant à lui quasiment caduque du fait des sanctions actuelles. 

Enfin, la dépendance aux exportations d’hydrocarbures a déjà montré ses limites en 2014, puisqu’elle a contribué à la crise du rouble. Il s’agit donc pour la Russie de modifier sa spécialisation pour la diversifier et ainsi éviter de subir des chocs à chaque fluctuation des prix des hydrocarbures. 

Inégalités territoriales et économiques 

Il subsiste de très forte disparités entre les régions russes. La région de Moscou et de Saint-Pétersbourg est la plus développée et dispose de nombreuses infrastructures de transport. Elle contient la plus grande densité de population. A l’extrême, les périphéries sont délaissées, à l’instar de la Sibérie, qui souffre d’un climat extrême et d’une moindre insertion dans le réseau de transport. Deux Russies coexistent alors : une Russie dynamique et une Russie en marge du développement économique. 

Les inégalités sociales et se sont également accrues ces dernières années. Pour Filip Novokmet, Thomas Piketty et Gabriel Zucman (2017), les inégalités ont atteint un niveau semblable à l’ère Tsariste, après avoir beaucoup diminué durant l’ère Soviétique. Alors que 10% des Russes les plus riches détenaient entre 20 et 25% du revenu national pendant l’ère Soviétique, ils ont aujourd’hui en leur possession entre 45 et 50% du revenu national : comme en 1905. 

Résumé 

La bonne santé actuelle de la Russie est encore trop dépendante des hydrocarbures et aussitôt qu’un retournement de ce marché s’opérera, la situation se détériorera. Ceci souligne à quel point le pays doit assainir sa croissance en la faisant reposer sur des secteurs plus diversifiés, un environnement des affaires plus sain, une bonne réputation internationale et enfin une inclusion des territoires et de leurs populations. Vladimir Poutine, qui est reparti en début d’année pour 6 années de règne, va-t-il faire de ces sujets son cheval de bataille ? 

Sources : 

Andréa Goldstein et Francois Lemoine, L’économie des BRIC

Alternatives Economiques, Les inégalités ont explosé depuis la fin de l’ère Soviétique 

COFACE, Russie / Etudes économiques 

Doing Business, Russie 

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