« Déboussolé par sept années d’une crise qu’elle n’a pas vu venir, ni su contenir, l’Europe est sur le point de commettre une faute historique : démanteler l’Etat-providence » Le bel avenir de l’Etat-providence (2014), Eloi Laurent

Aujourd’hui en France, le système de protection sociale représente environ 630 milliards d’euros, soit environ 32,5% du PIB, ce qui est énorme, d’autant plus que ce budget est remis en cause du fait de l’existence d’inégalités de plus en plus importantes.

L’Etat providence est une forme adoptée par certains Etats qui se dotent de larges compétences réglementaires, économiques et surtout sociales en vue d’assurer une panoplie plus ou moins étendue de fonctions sociales pour ses citoyens. Cette perception du rôle de l’Etat s’affranchit de la conception libérale, laquelle voit le rôle du gouvernement se résumer à un rôle limité d’ordre public et de sécurité.

Historiquement, plusieurs formes d’Etat-providence se mettent en place en Europe à des périodes différentes et selon des modalités distinctes. Mais si on devait définir ce qu’est l’Etat providence, il faudrait se concentrer sur l’Etat-providence selon le modèle français d’après guerre qui combine les deux modèles précédents et occupe une position originale et intermédiaire entre le modèle Bismarckien (fondé en Allemagne par les lois de 1880, ce modèle repose sur le principe des assurances sociales) et le modèle Beveridgien (qui nait au Royaume Uni après la Seconde guerre mondiale et qui est financé par l’impôt et fournit des prestations uniformes à tous les membres de la société).

Ainsi, ce modèle français d’après guerre combine :

  • Un objectif de protection sociale, d’assurance contre les risques et aléas de la vie.
  • Un objectif d’aides sociale et de justice sociale via certains mécanismes de redistribution des richesses.

Après avoir étudié brièvement l’histoire de ce modèle et ses principales composantes, étudions maintenant la crise qui affecte l’Etat-providence aujourd’hui.

I – La contre-attaque de la pensée libérale durant l’âge d’or de la protection sociale et du système d’Etat-providence

Avant tout, il est nécessaire de dire que la marche vers l’Etat social n’était pas de tout repos, cette marche s’est heurtée à l’opposition des libéraux pendant de longues décennies. C’est dans un premier temps l’Autrichien F.Hayek dans son ouvrage La route de la servitude (1944) qui va esquisser les premières lignes d’une ferme opposition envers l’Etat-providence. Il martelait que la socialisation de l’économie mène de manière sûre au totalitarisme (il prenait l’exemple des régimes soviétiques et fascistes). Il va alors dire que la planification est une menace sur la démocratie et sur les libertés économiques des citoyens.

Une vingtaine d’années plus tard, c’est Milton Friedman dans Capitalisme et liberté (1962) qui fera l’apogée de l’économie libérale et fera une vive critique de cette dangereuse utopie que représente l’Etat-providence. Ses thèses séduiront d’ailleurs M.Thatcher qui voudra faire évoluer le système britannique vers « une prise en main par chaque individu de sa situation », en d’autres termes, en un Etat libéral avec une très faible intervention Etatique.

Enfin, G. Gilder dans Richesse et pauvreté (1980) viendra affirmer qu’il faut éliminer l’idée d’un chômeur assisté, il faut qu’il soit remis directement au travail, c’est ce qu’on appelle le système du Supply Siders qui séduira aussi les idées de M.Thatcher et D.Reagan dans les années 1980’.

A partir de ce moment la, la pensée libérale prône l’inactivité de l’Etat comme principe de régulation sur le marché. le chômage est désormais vu comme étant quelque chose de naturel, l’inflation comme étant un phénomène purement monétaire et la concurrence comme étant le réel moteur de la croissance économique (Sujet ESCP 2015 bonjouuuur).

II – « La crise de l’Etat-providence », tourmente ou réelle triple crise ? (P. Rosanvallon, 1981)

C’est après la seconde guerre mondiale que l’Etat va progressivement prendre de l’ampleur au coeurs de nos économies (notamment grâce à la généralisation des systèmes de sécurité sociale et la mise en place de politiques de redistribution des revenus). Et c’est la ralentissement de la croissance dans les années 1970’ qui va susciter la remise en cause de cette intervention, notamment la remise en cause libérale comme on l’a vu dans la première partie de cet article.

C’est à cette période que P.Rosanvallon écrit le célèbre ouvrage La crise de l’Etat-providence en 1981. Il décrit la crise comme étant une triple crise (solvabilité, efficacité et légitimité).

1) La crise de solvabilité

La première crise touche donc le financement de la protection sociale qui est de plus en plus difficile. Pourquoi ? Car les besoins sociaux sont croissants dans une société de plus en plus inégalitaire, mais également avec le domaine de la santé (accroissement de l’espérance de vie, comportement de passager clandestin dans le système de santé ainsi de suite).

De plus, les dépenses d’allocation chômage et d’assistance aux chômeurs augmentent en raison de la hausse du chromage et de sa durée. Enfin, les dépenses de retraite augmentent également du fait de l’évolution démographique (exemple du Japon ou il y a plus de personnes ayants un âge supérieur à 75 ans que de personnes ayants un âge inférieur à 15 ans.

2) La crise d’efficacité

Les dépenses sont de plus en plus importants, le problème, c’est que les inégalités aussi. Effectivement nous sommes aujourd’hui dans une société ou l’Etat a un rôle prédominant mais ou les inégalités se creusent, ce qui pose la question de l’efficacité du système de lutte contre les inégalités (prélèvements et prestations).

Il est vrai que depuis l’ouverture des économies, l’équation keynésienne s’essouffle, les politiques de relance aggravent les déficits publics mais ne relancent pas nécessairement l’économie (à la lumière de la relance Mauroy en 1981). L’Etat social peine donc de plus en plus à couvrir certains risques sociaux et l’insécurité sociale augmente.

L’une des principales raisons de cette crise d’efficacité est le fait qu’en économie ouverte, l’Etat doit faire face à un dilemme. Soit sa fiscalité est lourde, auquel cas la protection sociale est élevée, et peut meme attirer de la main d’oeuvre étrangère, auquel cas cette politique risque de faire fuir les capitaux. Soit la fiscalité est plutôt faible, auquel cas les entreprises étrangères vont venir produire, ce qui est positif pour l’économie, mais la protection sociale sera faible.

3) La crise de légitimité

Cette troisième est plus une crise idéologique et philosophique que économique. Les mécanismes impersonnels de prélèvements et de prestations sociales ne satisfont plus les citoyens, qui sont à la recherche de relations moins anonymes, et d’une solidarité d’avantage individuelle. En d’autres termes, une partie de la population en a marre de payer des impôts pour refaire des ronds points et préféraient que ces capitaux aident l’innovation, la recherche, les minorités, les personnes en difficulté ainsi de suite.

III – Peut-on alors trouver des réformes pour lutter contre cette crise ?

1) La réforme fiscale

Avec la globalisation financière et la globalisation économique, la mobilité des capitaux est très important, les firmes peuvent alors délocaliser leurs profits et déstabiliser les systèmes de protection sociale. Dans la logique Bismarckienne, le financement de l’Etat se fait principalement par les prélèvements de cotisations sociales, patronales et salariales. Avec cette fuite fiscale, ces recettes sont plus faibles, l’Etat agit donc avec des moyens réduits.

Cependant un autre problème existe, celui du dumping social. Les Etats peuvent choisir une très faible fiscalité pour attirer les entreprises (ou retenir les entreprises) ce qui rend la production meilleur marché, mais rend les recettes fiscales plus faibles. Cela met alors les Etats en concurrence sociale. C’est pourquoi Thomas Piketty veut faire un impôt mondial pour éviter cette mise en concurrence sociale entre les Etats.

Cette augmentation de la progressivité de l’impôt à l’échelle mondiale irait dans le sens d’une plus grande justice sociale et d’éviter les mouvante de capitaux cherchant à esquiver l’imposition nationale. (Cf l’article sur les Panama Papers et les paradis fiscaux au XXIè siècle.)

2) La modification du système de retraite et de santé

Pour assurer la viabilité du système de répartition en France, en Allemagne mais également au Japon, on joue beaucoup sur les paramètres tels que l’âge de départ à la retraite, le mode de calcul de la pension, la durée minimale de cotisation etc.

Aujourd’hui, la pression démographique modifie clairement le système de retraite et de santé. Certains pays comme le Japon font d’ailleurs de cette problématique une extrême priorité.

Mais modifier ce système est très compliqué, il suffit de voir les vives contestations en France à propos du recul de l’âge de départ à la retraite qui est aujourd’hui de 62 ans et même de 67 pour bénéficier d’une retraite à taux plein (à partir de 2010) …

3) Changer de modèle ou changer sa conception du social ?

Aujourd’hui, on remarque qu’une révolution s’opère, notamment dans les pays anglo-saxons. Il s’agit de lutter contre la paresse et la dépendance des citoyens envers l’Etat. Sur les recommandations de Milton Friedman dans Capitalisme et liberté (1962), les USA mettent en place dés 1975 l’EITC (Earned Income Tax Credit), un impôt négatif qui incite très très très fortement les nouveaux chômeurs à retrouver un emploi, et rapidement. De plus, un certains nombre de programme sociaux vont disparaitre, la conception du social ne disparait pas totalement mais se libéralise grandement au profit de la sphère économique.

Au Royaume Uni, la même situation s’opère, on met en place le Working tax Credit en 1986 et en 1996, le salaire minimum sera supprimé. La France optera d’ailleurs à son tours pour la création d’un impôt négatif en 2001 avec la prime pour l’emploi.

Ainsi libéraliser l’Etat-providence serait-ce la bonne solution ? Pas nécessairement, on remarque que économiquement, cela est dans l’ensemble positif mais socialement catastrophique, rappelons que le niveau d’inégalité aux USA est revenu à son niveau d’avant 1929 …

Aghion, Cette et Cohen dans Changer de modèle (2014) et Aghion et Roulet dans Repenser l’Etat, pour une social-démocratie de l’innovation (2011) se mettent d’accord pour dire que l’investissement dans le capital humain et social (investissements dans l’éducation, la culture ainsi de suite est bien plus efficace pour lutter contre le chômage et les inégalités que les dépenses passives en indemnités chômage et en revenus d’assistances. Ils prennent pour cela l’exemple Danois d’un Etat s’appuyant sur la flexicurité. Mais la solution miracle n’existe pas, du moins pas pour le moment…

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