Malgré la domination du dollar américain, il semblerait que la stabilité monétaire internationale soit menacée par la concurrence d’autres grandes monnaies et par l’irruption des monnaies électroniques, comme par exemple le Bitcoin qui ne cesse de faire parler de lui ces derniers temps. De plus, la suprématie américaine et de sa monnaie sont de plus en plus contestées dans le monde entier. « Le privilège exorbitant », pour reprendre la citation de Barry Eichengreen (Exorbitant Privilege: The Rise and Fall of the Dollar and the Future of the international monetary system – 2011) à propos du dollar, est donc plus contesté que jamais.

Depuis 2008, on entend un petit peu partout que les USA sont une super puissance en déclin et que le dollar américain est en train de perdre de sa puissance, mais est-ce vrai ? Le dollar reste une monnaie super-puissante et une monnaie qui possède toutes les fonctions que l’on attend d’une monnaie mondiale. Seul l’euro, parmi les autres devises, pourrait potentiellement faire de l’ombre à la monnaie américaine. Cependant, le dollar reste roi avec 87% des transactions mondiales en 2015.

Etudions alors la réelle place du dollar américain dans l’économie mondiale en 2016 et dressons-en un bilan.

I – Qu’est-ce qu’une monnaie internationale ?

Avant tout, il est important de se questionner sur la réelle définition d’une monnaie internationale. Comme pour une monnaie domestique, une monnaie internationale est définie par les fonctions qu’elle rend. Et c’est parce que le dollar s’impose depuis plus de 90 ans dans ces fonctions qu’il est aujourd’hui considéré comme étant une monnaie internationale.

La fonction de moyen de payement

Une devise joue ce rôle lorsqu’elle permet à son détenteur d’acheter des biens ou des services partout dans le monde. C’est donc un moyen d’échange reconnu et accepté par plusieurs acteurs comme par exemple les banques, les ménages, les sociétés, les Etats, ainsi de suite.

La fonction d’unité de compte

La fonction d’unité de compte est très importante car elle permet à une monnaie d’exprimer le prix d’un bien ou d’un service et donc de renvoyer une information aux clients.

La fonction dite de « réserve de valeur »

Elle permet aux détenteurs de la monnaie de pouvoir investir demain, de la placer, ou même de la thésauriser (même si M. Keynes n’était pas trop d’accord avec ça, mais c’est un autre débat…). Du fait de la mondialisation financière et de son accélération dans les années 1970, cette fonction prend de l’ampleur, car être une monnaie dans laquelle les investisseurs placent leurs richesses et celle dans laquelle les banques centrales placent leurs réserves de change vous met au coeur des stratégies publiques et privées du monde entier.

Convertibilité totale

La monnaie peut être achetée et vendue librement et en tout temps sur le marché des changes, il ne faut pas qu’il y ait de contrôle des changes.

II – Place du dollar dans l’économie mondiale au XXe et XXIe siècle

Cela fait maintenant près de quatre-vingt-dix ans que le dollar américain domine le système monétaire international (SMI) (Michel Aglietta et V. Coudert, Le dollar et le système monétaire international, 2014). Et même si la fin de son règne a été annoncée un grand nombre de fois (1970 et la suppression de la convertibilité-or sous Nixon, crise des subprimes, etc), il n’en est rien. Même si le dollar américain a été menacé, il tient encore aujourd’hui son rôle de monnaie internationale dominante.

Ainsi, le dollar reste la monnaie mondiale dominante. L’euro a certes trouvé sa place dans le clivage économique mondial mais reste bon deuxième derrière les Etats-Unis (un peu comme la Chine aux JO, mais c’est encore une autre histoire…).

On peut alors se demander comment les USA ont réussi à conserver une telle suprématie ?

Pour cela, il faut d’abord s’interroger sur les différents acteurs au coeur du SMI. Car si les USA émettent cette monnaie qui permet la réalisation des transactions, il est bon de savoir qui utilise ce moyen de paiement. En avril 2013, sur les 5200 milliards de dollars d’échanges quotidiens, le dollar était présent dans 87% des transactions.

Concernant le rôle d’unité de compte pour la facturation dans le commerce mondial, on peut voir que les Etats-Unis sont le seul pays du monde à pouvoir commercer pratiquement exclusivement avec le dollar américain. Effectivement, la quasi-totalité des exportations et des importations américaines sont facturées en dollars, une situation qui tient à la fois à leur poids important dans le commerce mondial et au fait que la très grande majorité des pays émergents utilisent le dollar dans la facturation de leurs échanges.

Enfin, la monnaie américaine possède un atout qui fait d’elle une monnaie internationale dominante. Elle est capable d’attirer les placements des investisseurs financiers et des banques centrales dans le monde entier (et c’est pourquoi plusieurs pays d’Amérique du Sud ont fait le choix d’ancrer leurs monnaies nationales sur le dollar, pour gagner en crédibilité monétaire et pour pouvoir attirer les capitaux au coeur de leurs pays). On peut noter que 72 monnaies sont ancrées sur le dollar américain, contre 26 pour l’euro et une seule pour le yen…

Ainsi, le dollar reste dominant dans le clivage économique et monétaire au XXIe siècle, mais l’avenir reste incertain. La position de la FED à propos de son taux directeur est floue, et l’incertitude politique actuelle pourrait bien venir perturber cette situation dominante. On peut alors se demander si le dollar est la seule devise capable d’assumer le rôle de monnaie internationale ou si, dans un proche avenir, d’autres monnaies « conventionnelles » ou « non conventionnelles » pourront venir épauler, voir remplacer la suprématie du dollar américain.

III – Le dollar, seule devise capable d’assumer le rôle de monnaie internationale ?

Si le dollar est la monnaie qui remplit le mieux les critères pour pouvoir être une monnaie internationale (cf. plus haut), la baisse progressive de l’économie américaine dans le PIB mondial (notamment depuis la crise de 2008) et la persistance des déficits courants et publics des USA auraient pu altérer la domination américaine dans le système monétaire international. Mais il n’en est rien, et cela représente un réel paradoxe. En 1960, dans son ouvrage Gold and the Dollar Crisis: The future of convertibility, l’économiste Robert Triffin a mis en avant l’existence d’un paradoxe qui existe entre le besoin de l’économie mondiale de se reposer sur une monnaie forte et unique et la nécessité que l’économie émettrice soit en mesure de proposer une offre nette de liquidités suffisante. Ainsi ce paradoxe rend nécessaire le déficit de la balance courante des USA pour alimenter le monde entier en moyens de paiement internationaux (le dollar américain). Pour Triffin, une telle situation contribue à un affaiblissement progressif de la confiance des agents économiques étrangers envers la monnaie de référence. Les besoins importants de l’économie mondiale en une devise fiable et internationale aboutissent donc paradoxalement à la perte de confiance envers cette monnaie.

Mais dans la réalité, même si les Etats-Unis ont connu à plusieurs reprises des déficits de leurs balances courantes, la confiance du reste du monde envers le dollar reste cependant importante. Ce qui explique cela, c’est la présence de fortes externalités sur les marchés des changes ainsi que la polarisation très forte autour du dollar depuis plusieurs décennies.

Ainsi le dollar, malgré ce paradoxe, reste la seule monnaie réellement internationale aujourd’hui (87% des transactions de change contre 33% pour l’euro et 23% pour le yen) (61% en termes de réserve de change contre 24% pour l’euro et 4% pour le yen).

IV – Peut-on alors dire que le dollar sera à terme la seule monnaie internationale ?

Dans le rapport du CAE de septembre 2001 (La réforme du SMI, écrit par J. Mistral), on peut lire que depuis une petite vingtaine d’années, nous sommes entrés dans un « non-système monétaire international ».

Pourquoi ? Car une pluralité de systèmes de change cohabitent dans le paysage économique mondial. Par exemple, les grands pays avancés ont eux des monnaies flottantes (USA, Japon ou encore zone euro) tandis que les pays en développement (les PED) choisissent eux l’ancrage ou les currency boards (ce n’est pas systématique mais ça permet de refléter la situation actuelle).

De plus, depuis une vingtaine d’années, quelque chose de nouveau se produit, à savoir l’explosion des réserves de change chinoises. Si les grands pays développés sont dans une logique de libéralisation des mouvements de capitaux et de flottement des monnaies, la Chine, elle, soutient un certain contrôle des changes et une logique de réserve de monnaie très importante. Le pays n’a pas totalement libéralisé les mouvements de capitaux, ce qui lui permet de garder une certaine autonomie en matière monétaire et de ne pas systématiquement s’aligner sur ce que font la banque centrale européenne ou encore la FED.

Ainsi, avec son essor économique, la Chine a progressivement constitué des réserves de change massives pour empêcher le marché des changes d’augmenter la valeur du yuan par rapport au dollar et donc de faire perdre en compétitivité-prix la Chine. De plus, la Chine a acquis massivement des titres de la dette publique américaine (environ 3500 milliards en 2016). Elle dispose ainsi d’un certain pouvoir dans la mesure où ces réserves lui évitent de passer par l’émission de monnaie nationale, ce qui lui permet de maintenir à la baisse son taux de change et de pouvoir continuer de bénéficier d’une croissance tirée par des exportations à coûts compétitifs.

Conclusion : vers un système monétaire pluri-devises ?

Avec la crise de 2008, le dollar reste la monnaie dominante et la seule réelle monnaie internationale mais son rôle est cependant controversé. Côté demande, les besoins mondiaux de liquidités croissent rapidement et se polarisent autour de certaines régions géographiques, ce qui posera sans doute à terme un problème pour l’équilibre de la balance courante des Etats-Unis. Côté offre, la baisse du poids de l’économie américaine pourrait mener lentement à un rééquilibrage du système monétaire international autour de plusieurs devises. Enfin, même si cela reste marginal à l’échelle mondiale, notons que de nouvelles monnaies apparaissent et pourraient peut-être, à terme, concurrencer le dollar américain : c’est la thèse de Philippe Herlin dans son ouvrage Apple, Bitcoin, PayPal, Google, La fin des banques.

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