La Révolution française fut mêlée d’une remise en question de l’hégémonie de la religion. Dans l’Ancien régime, on pensait les sociétés comme déterminées par des forces extérieures (religieuses). Dans ce contexte, on n’interroge pas le fonctionnement de la société. Mais dans les sociétés post-révolution industrielle, on voit que la société est construite par des individus, et on commence alors à envisager l’existence de lois de fonctionnement des sociétés. Pour Laurent Mucchieli, c’est comme si on faisait “La découverte du social” (1998).

Ce n’est qu’alors que la sociologie peut se constituer en discipline. Mais l’élaboration des principes de la sociologie passe par des débats et des points de vue différents sur son objet et les méthodes qu’elle doit adopter. Une des fractures les plus importantes est celle qui subsiste entre la sociologie quantitative et qualitative.

Aux origines de la sociologie qualitative : l’apport de Weber

Durkheim et Weber sont considérés comme des pères de ces deux types de sociologie, par leur volonté d’établir les principes de son fonctionnement. Durkheim fonde la sociologie holiste, qui se définit comme l’étude des déterminismes sociaux, considérant les phénomènes sociaux comme des faits sociaux (des choses étudiables, comme la chute des corps, qui sont extérieures aux individus et qui contraignent son comportement).

Mais face à ce courant se dessine, sous la plume de Weber, une sociologie qui souhaite partir de l’individu pour analyser les phénomènes sociaux. Il cherche à constituer la sociologie en discipline scientifique, et va donc chercher à lui donner une certaine rigueur.

Quel est l’objet de la sociologie ? Pour Weber, la sociologie est l’étude des activités sociales : “Nous entendons par activité un comportement humain (peu importe qu’il s’agisse d’un acte extérieur ou intime, d’une omission ou d’une tolérance) quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens subjectif. Et par activité sociale, l’activité qui d’après son sens visé par l’agent ou les agents, se rapporte au comportement d’autrui par rapport auquel s’oriente son déroulement” (Economie et société, 1922). On voit que ce qui interesse le sociologue est le sens subjectif d’une action, dont les individus peuvent rendre compte. Pour Weber, une action peut être effectuée 1) par respect de certaines valeurs (action rationnelle en valeur), 2) par respect des traditions, 3) par émotion, 4) par calcul coût/avantage (action rationnelle en finalité).

Weber dit que, pour comprendre le phénomènes sociaux, il faut expliquer et comprendre les phénomènes individuels en partant du sens que les individus attribuent à leurs actions. On part de l’individu pour arriver à la société. Par exemple : pour comprendre le capitalisme, il faut comprendre les capitalistes. C’est ce que fait Weber fait dans l’Ethique Protestante et l’esprit du capitalisme.

« Nous entendons par sociologie (…) une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets ». La sociologie doit chercher les motifs de l’action, voir ce qui a poussé les individus à avoir tel ou tel comportement en les replaçant dans leur contexte. Un point très important : les individus sont toujours vus par la sociologie qualitative par des êtres rationnels.

Remarque : Cela ne veut pas dire que pour Weber, la société n’influence pas les individus. Le simple fait que les individus croient en certaines valeurs montre que ces valeurs viennent de la société. Il pense simplement que le plus important est d’abord d’aller regarder les comportements individuels.

En plus de cela, Weber insiste, comme Durkheim, sur la nécessité d’écarter les prénotions (les préjugés en quelque sorte) en définissant les phénomènes que l’on étudie. Il fonctionne à partir d’un idéal type (représentation simplifiée et schématisée de la réalité qui sert d’outil de connaissance. On obtient un idéal-type en accentuant un ou plusieurs pionts de vue). C’est par l’idéal-type que l’on passe de plusieurs comportements individuels similaires à un phénomène social.

Des exemples de sociologie qualitative après Weber

Les apports de Weber ont donné naissance à plusieurs sous-courants de sociologie.

Les interactionnistes, comme Erwing Goffman et Howard Becker, construisent leur courant comme opposition au holisme : ils prennent le point de vue inverse. C’est un courant qui commence dans les années 50-60. L’idée des interactionnistes est également que pour comprendre les phénomènes sociaux, il faut partir de l’analyse des interactions entre les individus (on voit bien en quoi on est dans la lignée de Weber). Leur point de vue se distingue explicitement d’autres sociologies comme celle des culturalistes ou des fonctionnalistes qui est vu comme trop déterministe. Pour eux, les phénomènes sociaux résultent d’une multitude d’interaction entre individus.

Se construisent dans ces interactions des identités, des rôles. Les normes et les valeurs elles-mêmes ne sont pas données d’emblée définitivement. Elles sont le résultat d’une construction sociale : on le voit avec l’évolution des normes. Lorsque de nouvelles normes apparaissent, c’est le résultat d’une multitude d’interactions. C’est un point de vue constructiviste : les phénomènes sociaux ne sont pas naturels, ni donnés, ils sont le résultat d’une construction de la société.

Plus précisément, on peut s’intéresser à l’apport d’Howard Becker dans Outsiders. L’idée est de montrer que la déviance est, dans une certaine mesure, créée par la société, qu’elle est une construction sociale. “Les groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la déviance”. De ce point de vue, la déviance n’est pas une qualité de l’acte commis par une personne, mais plutôt une conséquence de l’application, par les autres, de normes et de sanctions à un “transgresseur”. Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la collectivité attache cette étiquette”. Ce sont les législations, par exemple, qui ont fait de certaines pratiques des pratiques déviantes. Vendre et consommer de l’alcool à une certaine époque de l’histoire des Etats-Unis  (prohibition) était considéré comme un acte déviant. Historiquement, à certain moment, on va étiqueter certaines pratiques comme déviantes. La carrière déviante va se construire en plusieurs fois (ex: fumer une fois ne nous étiquette pas directement comme déviant). C’est une approche qui permet de comprendre les évolutions des formes de la déviance.

Plus récemment, Boudon perpétue la sociologie de l’action en reprenant ses méthodes, et en parlant d’effets d’agrégation individuels.

Il étudie la stratégie familiale, et le niveau de l’élève en fonction de l’habitus (l’héritage culturel). Il voit que, d’après les données statistiques, se sont les choix et les stratégies qui importent plus que le niveau de l’élève. Il voit qu’à niveau scolaire égal, les choix ne sont pas les mêmes. Pour lui, ce sont d’abord ces choix qui expliquent le niveau élevé des inégalités, et la reproduction des inégalités par l’école. La somme des choix individuels font des inégalités. Si on laissait moins la parole aux parents, mais plutôt aux institutions scolaires, on en aurait moins. La situation s’analyse en terme de choix rationnels.

On aurait pu ajouter d’autres auteurs dans la même lignée, notamment Crozier et Friedberg dans l’analyse du pouvoir dans les organisations bureaucratiques, ou Touraine dans l’analyse des mouvements sociaux.

Les méthodes utilisées

Les méthodes utilisées dans la sociologie qualitative diffèrent par nature de celles utilisées par la sociologie qualitative.

Comme la sociologie quantitative cherche à analyser les faits sociaux, elle a recours à des méthodes beaucoup plus abstraites, et, ainsi, quantitatives. On utilise notamment les questionnaires pour récolter des données mesurables servant à identifier des corrélations entre variables (c’est ce que fait l’Insee par exemple).

A l’inverse, dans la sociologie qualitative, on a recours à des méthodes plus qualitatives et permettant l’analyse du comportement des individus.

L’entretien : on interroge directement les acteurs concernés par le sujet. On cherche à obtenir un récit de la part des individus, qui peut porter sur des faits, des opinions. Il faut d’abord avoir définit son objet de recherche, puis construit une grille d’entretien (ensemble de questions que l’enquêteur veut voir traitées dans l’entretien). L’entretien peut être directif (beaucoup de questions) ou semi-directif (quelques grandes questions). Parfois même, l’enquêteur pose une question au départ, puis les questions suivantes se construisent au fil de la discussion. Le plus courant est l’entretien semi-directif. Souvent, dans la méthode qualitative, les échantillons sont plus petits que dans la méthode quantitative.

L’observation : on enquête directement sur le terrain pour observer les phénomènes sociaux que l’on cherche à étudier. Par exemple, Erving Goffman a travaillé sur les hôpitaux psychiatriques comme institution dans Asile. Ils font partie des institutions totalitaires, fermées. Il était censé être un adjoint du directeur de l’hôpital. C’est une observation à découvert, participante.

Conclusion

La sociologie qualitative et ses méthodes se construisent par opposition à la sociologie quantitative holiste.

Il ne faut toutefois pas exagérer les divergences. Certes, ces deux courants ont des désaccords sur la manière selon laquelle la société est construite et agit sur les individus, mais ils se complètent. On le voit notamment par rapport aux méthodes. Bourdieu, notamment, s’appuyait sur des données statistiques, mais aussi des entretiens (comme dans La Misère du Monde avec des entretiens biographiques des individus).

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