Amis ECE (ou curieux ECS, ECT et khâgnes), voici une tribune publiée dans notre magazine Le Major de décembre 2018, rédigée par Emmanuel Combe, qui n’est autre que le co-concepteur de l’épreuve d’ESH ESCP. Il évoque dans celle-ci l’illusion protectionniste, qui selon lui n’est qu’une solution simpliste et surtout délétère pour la sauvegarde des emplois – notamment industriels. Bonne lecture !

Le retour au protectionnisme ne sauvera pas l’emploi

Par Emmanuel Combe, vice-président de l’Autorité de la concurrence et professeur à SKEMA Business School.

Depuis son élection, Donald Trump se pose en défenseur de l’emploi industriel, avec un diagnostic et une recette qui ont le mérite de la simplicité : la cause des destructions d’emplois aux Etats-Unis serait à rechercher du côté de l’importation de produits chinois ; le remède serait donc de taxer fortement les importations pour stimuler la production domestique. Mais c’est oublier que la relation entre protectionnisme et emploi est plus complexe qu’il n’y paraît.

En premier lieu, la vraie question n’est pas tant de savoir si le protectionnisme sauvera des emplois mais s’il est un moyen efficace de les sauver. Comme le protectionnisme fait monter les prix pour les consommateurs, les emplois sauvés doivent être mis en regard de la perte de pouvoir d’achat supportée par 325 millions d’Américains. Les études empiriques sont sans appel : un emploi sauvé par le protectionnisme coûterait en moyenne 230 000 dollars par an, si l’on en croit une étude de la Réserve Fédérale de Dallas. Dans le cas du protectionnisme sur les pneumatiques chinois en 2009, le coût par emploi sauvé atteint même 900 000 dollars par an. Il y a à l’évidence d’autres moyens, moins dispendieux, de préserver des emplois.

En second lieu, les emplois sauvés ne le sont qu’à titre temporaire : le protectionnisme ne s’attaque pas aux causes profondes du déclin industriel –à savoir l’insuffisante compétitivité hors-prix des produits américains – et n’incite pas les entreprises protégées à devenir plus efficaces, précisément parce qu’elles sont désormais à l’abri de la concurrence internationale. La protection ne fait que décaler dans le temps les destructions d’emplois. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder ce qui s’est passé dans le secteur du textile-vêtement : le protectionnisme des pays riches vis-à-vis des pays pauvres durant 30 ans n’a pas empêché la disparition progressive des productions d’entrée de gamme.

En troisième lieu, le discours protectionniste entend recréer des emplois dans des secteurs où les Etats-Unis ne sont parfois plus présents, à l’image des produits électroniques grand public. C’est oublier qu’une fois les compétences industrielles perdues dans un secteur, il est illusoire de vouloir revenir dans la course, sauf en cas de saut technologique. Pense-t-on sérieusement que si l’on taxait demain les ordinateurs importés d’Asie, la production américaine retrouverait des couleurs ? Le protectionnisme ne ferait qu’augmenter les prix à l’importation, sans créer le moindre emploi.

En quatrième lieu, le protectionnisme sera contourné par les entreprises chinoises, qui iront s’implanter dans des pays tiers : suite aux droits anti-dumping imposés en 2012 sur les panneaux solaires, les producteurs chinois ont réagi en exportant à partir de Malaisie et du Vietnam. Quand on empêche les produits de circuler, ce sont les usines qui se déplacent. Le contournement direct, consistant à venir assembler ses produits aux Etats-Unis n’est pas toujours une bonne nouvelle : le concurrent étranger va concurrencer les entreprises américaines de manière frontale.

En dernier lieu,  les emplois sauvés dans les secteurs protégés seront compensés par des emplois détruits ailleurs. Les pays ciblés par le protectionnisme vont riposter en taxant à leur tour les produits américains (le soja par exemple), réduisant ainsi les débouchés à l’exportation. N’oublions jamais que le commerce international marche dans les deux sens. De même, le protectionnisme va renchérir les coûts de production des industries situées en aval : lorsque l’on taxe les importations de produits sidérurgiques, c’est toute l’industrie automobile américaine, grande consommatrice d’acier et d’aluminium, qui souffre. Ainsi, les taxes imposées par Georges Bush sur l’acier en 2002 ont sauvé 3500 emplois dans la sidérurgie mais détruit… entre 12 000 et 43 000 emplois en aval.

Moralité : sauf à être utilisé de manière tactique et temporaire, le protectionnisme est rarement une bonne nouvelle pour l’emploi du pays qui se protège.