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Depuis la crise du « Great Lockdown », tous les économistes s’alarment sur le niveau prochain de la dette qui va exploser dans tous les pays atteints par la crise. Toutefois, une théorie originale est remise au goût du jour par certains économistes hétérodoxes : la Modern Monetary Theory (MMT). Retour sur une théorie qui fait couler beaucoup d’encre dans le milieu économique. 

Qu’est-ce que la Modern Monetary Theory (MMT) ? 

La Modern Monetary Theory (MMT) est bien plus qu’une théorie, c’est un renversement du fonctionnement de l’État. 

La vision classique du financement de l’État

La logique classique veut, en effet, que l’État se finance par l’impôt, et quand il n’y a pas assez d’argent qui rentre dans les caisses, par de l’endettement. 

Toutefois cette conception pose problème. Si l’État emprunte aux agents privés, il crée de la demande, et donc pour se stabiliser, le prix (ici le taux d’intérêt) augmente. De plus, la dette peut devenir un poids de plus en plus difficile à soutenir quand elle s’accumule. Se crée alors un financement à la Ponzi, où la dette s’auto-entretient dans un cercle vicieux : on s’endette pour payer les intérêts de la dette. 

Par quels moyens l’État peut-il juguler ces risques ? Il peut tout d’abord influer sur le taux d’intérêt. Si celui-ci diminue, le poids de la dette devient plus supportable pour l’État. Ensuite, il peut agir via la création monétaire : il crée la monnaie qui remboursera ses créanciers. Et enfin, il peut décider de ne pas rembourser ses créanciers. 

Le paradigme de la Modern Monetary Theory (MMT)

La conception de la Modern Monetary Theory (MMT) est toute autre, complètement inversée. Selon George Friedrich Knapp (The State Theory of Money, 1924) ou encore Warren Mosler (Soft Currency Economics, 1994), la monnaie est un monopole public. Les dépenses de l’État sont financées directement par la création monétaire. Par conséquent, il ne peut jamais être en faillite, car il pourra toujours être en mesure de faire tourner la planche à billets. Si la dette n’est donc plus la limite de l’action de l’État, quelle est-elle donc avec la MMT ? L’inflation. Injecter énormément de monnaie provoque effectivement une sur-circulation de monnaie sur place. Pour se stabiliser, les prix augmentent, le pouvoir d’achat de la monnaie diminue. Il s’agit alors pour éviter ce phénomène de retirer de la monnaie, et cela grâce à l’impôt. 

Ainsi, à une limite budgétaire au financement (le déficit), se substitue, avec la MMT, une limite monétaire (l’inflation). La fiscalité ne sert donc plus à financer les dépenses mais à contrôler l’inflation et les taux d’intérêts. Et la politique monétaire ne sert plus à juguler la dette par les taux d’intérêts, mais à répondre aux dépenses de l’État. 

Une solution viable aux problèmes actuels ?

Les problèmes structurels auxquels sont confrontés les pays

Lors des primaires aux élections présidentielles aux États-Unis, Bernie Sanders a remis le sujet sur la table. La MMT serait, selon lui, un formidable moyen pour financer la transition écologique et ses mesures sociales. 

En effet, depuis la crise du « Great Lockdown » (2020), les taux d’endettement des États explosent. La France devrait par exemple facilement passer la barre des 120%, avec une inflation quasiment nulle. Les États-Unis devraient, eux, connaître une dette autour des 100% et le Japon au-delà des 250%. Cependant le problème de la dette n’est pas du fait seul de la variable conjoncturelle qu’est la crise du Covid-19. Elle est un problème récurrent depuis de nombreuses années. Depuis 1975, la France n’a jamais connu un budget à l’équilibre. C’est-à-dire que la dette finance les dépenses de l’État tout en s’accumulant. De plus, depuis la crise de 2008, les outils monétaires traditionnels semblent être de plus en plus inefficaces. Le taux directeur est nul en Europe et au Japon. 

Bref, tout ceci conduit à penser qu’on assiste à une « japonisation » de l’économie : une dette qui s’emballe, une inflation quasiment nulle, des outils monétaires inefficaces. L’État subit donc sa situation. 

Ainsi, financer ses dépenses par la création monétaire serait une solution sans doute plus efficace que par une conception traditionnelle. De plus, le risque de l’inflation ne serait pas un problème, car le niveau actuel de progression des prix ne laisse pas envisager un dérèglement de l’inflation. Pour preuve, l’utilisation du QE aux Etats-Unis ou en Europe à la suite de la crise de 2008 n’ont pas ou peu influencé l’inflation. 

Un essai de ces politiques lors des dernières crises

Le quantitative easing (QE) ou l’assouplissement quantitatif peut être appréhendé comme un outil de la MMT. Il s’agit de la création de monnaie pour acheter des titres de dette publique sur les marchés financiers. Cette politique monétaire non conventionnelle a pour contrepartie l’augmentation du bilan de la Banque Centrale. 

Ainsi, d’une certaine manière, lorsque la Banque Centrale mène un QE en rachetant de la dette publique, il offre de la monnaie sans contrepartie aux États. C’est comme si la création monétaire finançait directement les dépenses de l’État. D’un certain point de vue, la FED a fait cela entre 2012 et 2014, lors de son troisième QE, via l’achat d’actifs obligataires pour un montant de 85 milliards € par mois. 

Dans une moindre mesure, la BCE a également mené cette politique. Ses QE officieux de 2010 et 2011 ont permis d’acheter l’équivalent de 56 milliards d’euros de titres grecs, et 71 milliards d’euros des autres PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain). Et enfin le QE officiel de la BCE, l’Asset Purchase Programme, confirme l’achat de 2000 milliards d’euros d’obligations souveraines des États. Enfin, en 2020, la BCE n’a pas hésité à faire fonctionner la planche à billets en adoptant un plan d’urgence de 1 350 milliards d’euros, le Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP), pour racheter essentiellement des obligations d’État. 

Quelques revendications pour son utilisation

Ainsi, de nombreuses idées fleurissent de toute part alors pour son utilisation. Par exemple, dans le People’s Quantitative Easing de Jeremy Corbyn, l’État investit dans les infrastructures via un QE. Pour Bernie Sanders, cet outil permettrait de financer une garantie d’emploi pour tous les citoyens américains. Grâce au MMT, Warren propose d’annuler la dette étudiante. Ou encore, Yanis Varoufakis, ancien ministre des Finances grec, émet l’idée d’un QE pour financer un revenu universel. 

La « monnaie hélicoptère » est également souvent évoquée comme moyen de soutien direct à l’économie par la création monétaire. Il s’agit de transferts directs de monnaie de la Banque Centrale aux agents économiques, afin de doper la demande de biens et services. C’est comme si, la Banque centrale vous mettait directement de l’argent dans votre compte en banque. Une étude menée par Jézabel Couppey Soubeyran dans une note au Veblen Institut en 2020, propose que la BCE donne 140€ par mois pour les 15 ans et plus. Parmi trois scénarios, le moins optimiste des trois prévoit que le « drone monétaire » impacterait positivement le PIB à hauteur de 2,5 points. 

Les critiques de la MMT

Le problème de l’indépendance des Banques Centrales

En poussant la création monétaire pour les dépenses nationales, la MMT remet en cause l’indépendance de la Banque Centrale, dogme économique depuis de nombreuses décennies. En effet, selon les Nobels 2004 Kydland et Prescott (« Rules rather than Discretion : the Inconsistency of Optimal Plans », 1977), l’indépendance des banques centrales est une condition sine qua non au maintien de taux d’intérêts faibles. Les banques centrales se doivent effectivement d’être crédible pour que les agents économiques agissent conformément aux politiques prévues par la banque centrale et aux anticipations d’inflation. C’est pourquoi l’interdiction dans les traités européens de la monétisation de la dette publique est instituée depuis sa création. Puisqu’elle serait un outil pour financer les dépenses, toute application de la MMT reviendrait donc à subordonner la banque centrale à l’État.

L’inflation et la hausse des taux d’intérêts

Paul Krugman, prix Nobel 2008, se montre également critique dans un article au Washington Post. Pour lui, la MMT conduirait soit à une forte inflation ou une hausse des taux d’intérêts. En effet, selon la théorie classique, la création monétaire mène à l’inflation, car elle génère une hausse de la demande. Cette hausse de la demande, pour se stabiliser, est compensée par une hausse des prix (déplacement de la courbe de la demande vers la droite), soit de l’inflation. De plus, un effet d’éviction peut apparaître à cause de la création monétaire et provoquer une hausse des taux d’intérêts. Cet effet naît lorsqu’un État, en empruntant sur le marché financier, détourne l’épargne disponible des autres emprunteurs privés. Cela se traduit par une hausse de la demande d’emprunt, et donc par conséquent une hausse du prix de l’emprunt pour les emprunteurs « évincés », soit une hausse des taux d’intérêts. Autrement dit, les dépenses publiques par la création monétaire sont compensées soit par une baisse de la consommation (hausse de l’inflation), soit de l’investissement (hausse des taux d’intérêts). La politique perdrait alors de son efficacité. 

La dépréciation de la monnaie

Si on pense la MMT d’un point de vue global, dans une économie fermée, ce type de raisonnement peut avoir des effets néfastes sur le pouvoir d’achat de la monnaie à l’étranger. On mesure ce pouvoir d’achat par le taux de change avec les monnaies étrangères. Si la quantité de monnaie progresse (i.e. l’offre de monnaie) sans que la demande de monnaie n’augmente à la même vitesse, alors son taux de change (i.e. son prix) diminue. Donc plus il y a de création monétaire, plus le pouvoir d’achat de la monnaie, donc son taux de change, diminue. La monnaie se déprécie avec son lot de conséquences néfastes : le prix des importations augmente (donc inflation par les importations), le prix de la dette également si elle est libellée en devise étrangère (très souvent le cas pour les pays peu développés). Ce sont des conséquences auxquelles les pays peu développés ne peuvent faire face, et pour lesquelles elles sont particulièrement vulnérables. C’est donc une politique que seuls les pays développés avec un fort pouvoir de marché ou très peu exposés au marché international peuvent se permettre (par exemple les États-Unis ou l’Union Européenne).  

La crainte d’une mauvaise gestion des dépenses

Enfin, être riche comme Crésus ne signifie pas être un bon gestionnaire de sa fortune. Avoir accès à des ressources quasi illimitées peut être préjudiciable à l’État. On le voit bien depuis une cinquantaine d’années, bien que nous soyons limités par des ressources, l’État n’arrive pas à bien gérer ses dépenses. Alors qu’en sera-t-il si l’État peut faire fonctionner la planche à billets ? Tout d’abord, l’État peut concurrencer les acteurs privés et créer un effet d’éviction comme on l’a vu précédemment. Ensuite, l’État peut créer des bulles financières en injectant beaucoup trop d’argent dans une subvention. Par exemple, en subventionnant très fortement l’accès à l’immobilier, l’État peut générer une hausse artificielle des prix de ces biens meubles, qui s’auto-accélère pour former enfin une bulle. Et enfin, l’État peut recourir à des dépenses inutiles, voire non rentables, que le marché n’aurait pas créé.  

Conclusion sur la MMT

La MMT propose une approche très utile pour opérer un retournement des valeurs dans un sujet en troisième partie. Sachez toutefois que cette théorie est particulièrement hétérodoxe, elle est donc à utiliser avec parcimonie.  

Que retenir de la MMT

Le fonctionnement de la MMT : L’État se finance par la création monétaire. Mais cela crée un déséquilibre : l’inflation. L’impôt permet alors de remédier au surcroît de monnaie. 

Pourquoi la mettre en place aujourd’hui ? Nous sommes dans une situation où l’inflation est particulièrement faible, sans doute structurelle. Donc la MMT aurait peu d’effet sur l’inflation. Elle serait donc un formidable outil pour financer la transition écologique. 

Que disent les détracteurs ? On oppose 4 risques à cette théorie : la fin de l’indépendance des banques centrales, l’inflation, la dépréciation de la monnaie, et enfin une mauvaise gestion de l’argent. 

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