Le 26 octobre 2017, Mario Draghi, président de la Banque Centrale Européenne (BCE), a annoncé un virage de la politique monétaire : la réduction du quantitative easing (QE), politique à l’oeuvre depuis mars 2015. Plus récemment, le 25 janvier 2018, M. Draghi a confirmé lors d’une conférence de presse que la politique de QE devrait prendre fin courant 2019.

Retour sur la définition du quantitative easing

Cette politique monétaire non conventionnelle consiste en l’achat d’obligations de pays en difficulté par la BCE, qui en contrepartie apporte de la liquidité en masse aux banques commerciales qui détiennent ces obligations : il s’agit d’une création monétaire ex nihilo. Face à la crise financière de 2008, l’usage de l’assouplissement quantitatif (Bernanke, 2004) s’était imposé aux banques centrales : en effet, les politiques conventionnelles de baisse des taux d’intérêt dans le but de faciliter l’investissement et la consommation ne fonctionnaient plus : l’économie se trouvait alors dans une trappe à liquidité car même des taux d’intérêt proches de zéro ne permettaient pas un regain de croissance.

Les canaux de transmission du QE sont moins clairs que ceux des politiques monétaires conventionnelles, mais on peut néanmoins distinguer cinq canaux de transmission (Carlin & Soskice, 2014). Le premier est celui de la confiance des agents économiques, qui affecte directement le prix des actifs. Le deuxième, sans doute le plus important, est l’effet de signal qu’envoie cette politique : en effet, lorsqu’une banque centrale décide d’appliquer le QE, elle influence les anticipations d’inflation de manière à éviter le risque déflationniste. Le troisième canal consiste en un rééquilibrage de portefeuille dans la mesure où l’apport de liquidité aux banques commerciales permet à ces dernières d’acquérir d’autres actifs financiers. Le quatrième canal de transmission du QE est l’apport de liquidité en masse que cette politique permet afin d’encourager l’investissement et la consommation, les deux clés de la demande globale. Enfin, le cinquième canal est la création monétaire qui favorise l’octroi de crédit par les banques, qui prêtent aux agents économiques plus facilement et pour une plus longue durée.

La décision de la Banque Centrale Européenne

En décidant de diviser par deux le montant des achats de titres mensuels ainsi ramené à 30 milliards d’euros par mois pour l’année 2018, la BCE envoie un signal fort. En 2015, le quantitative easing avait été instauré avant tout pour éviter un credit crunch et la déflation qui menaçait alors l’économie de la zone. Deux ans plus tard, Mario Draghi vient de déclarer que « les risques de déflation ont disparu » dans la zone euro, et la croissance anticipée par la BCE à l’horizon 2020 est de 1,7%. A croire que la croissance de la zone euro repart cette fois-ci pour de bon.

Mais pas si vite.

Le quantitative easing : un bilan mitigé

Un effet positif sur l’économie de la zone… 

Les 2000 milliards d’euros déversés dans l’économie de la zone euro depuis mars 2015 ont eu un effet positif : la croissance de la zone, soutenue par la politique ultra-accommodante de la BCE, est aujourd’hui sur une belle lancée. Au troisième trimestre 2017, le PIB de la zone a augmenté de 0,6%. Ainsi, la croissance de l’année 2017 devrait atteindre, selon Eurostat, 2,7%, soit 1 point supérieur aux perspectives de croissance publiées au début de l’année par la BCE (Projections macroéconomiques pour la zone euro établies par les services de la BCE, mars 2017).

L’effet positif de cette politique a été de participer à la dépréciation de l’euro. En effet, en fournissant plus de liquidité, la banque centrale augmente l’offre de monnaie disponible dans l’économie et fait donc baisser simultanément le prix de l’euro. Cette dépréciation de l’euro a permis de favoriser les exportations et de soutenir la stabilité des prix, objectif premier de la BCE. Par ailleurs, le chômage au sein de la zone euro est redescendu à 8,9% en septembre 2017, son niveau le plus faible depuis la crise financière. Plus encore, les études de l’OCDE pour l’année 2018 prévoient un « output gap » (écart de production) négatif : c’est-à-dire que la croissance potentielle reste bien au dessus de la croissance effective ; il n’y a donc pas à craindre une situation de surchauffe de l’économie car la croissance de la zone euro a une marge de progression considérable.

… mais la BCE se montre prudente 

Même si la croissance anticipée par la BCE est prometteuse, le taux d’inflation reste faible, et bien en dessous de l’objectif de la BCE qui est d’avoir une progression de l’Indice des Prix Harmonisés (IPH) inférieure à, mais proche de, 2% : en novembre 2017, le taux d’inflation atteignait 1,5% dans la zone euro (Eurostat). Mais ce qui est le plus alarmant est le niveau d’inflation sous-jacente qui est, selon l’INSEE, « un indice désaisonnalisé qui permet de dégager une tendance de fond de l’évolution des prix » : en effet, l’indice exclut les variations de l’indice des prix des matières premières, qui fluctue au cours du cycle, et de produits qui font l’objet d’une tarification sous la supervision de l’Etat (le tabac, par exemple). Or, l’inflation sous-jacente de la zone euro est coincée à 0,9% (0,5% en France) depuis plus de quatre ans : ceci est d’autant plus problématique qu’il s’agit d’une mesure précise de la santé de l’économie, car cet indice ne remonte que lorsqu’il est poussé par la montée des salaires.

Les défis de la BCE aujourd’hui

La BCE est indépendante du pouvoir politique et doit se montrer crédible dans ses actions. En effet, si la réduction du quantitative easing peut être interprétée par les investisseurs comme un signe de rétablissement de la santé de l’économie de la zone, l’institution de Francfort doit assurer les anticipations d’inflation, qui occupent une place importante lors du choix de la politique monétaire de la BCE. Celle-ci doit éviter les situations d’incohérence temporelle (Kydland & Prescott, 1977), qui peuvent décrédibiliser sa politique. En l’occurrence, l’annonce récente de Mario Draghi concernant le maintien du niveau actuel des taux d’intérêt « bien après » la fin de la politique de QE fait craindre chez les investisseurs une volatilité du marché financier, qui peut être un facteur d’instabilité de la croissance de la zone euro.

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