europe arlésienne

Emmanuel Macron, Angela Merkel et les dirigeants de quatre autres pays européens ont appelé l’Union européenne à tirer les leçons des failles dans la réponse européenne face à l’épidémie. Selon eux, la crise sanitaire, qui a fait 184.256 victimes dans l’UE, invite à s’interroger sur le niveau de préparation, et souligne le besoin d’une approche à européenne. Ainsi, la pandémie a mis exergue les insuffisances du modèle social européen, dont il convient aujourd’hui de questionner l’existence.

Les avancées de l’Europe sociale

L’Europe est la région du monde où la protection sociale est la plus importante. La politique sociale a longtemps été délaissée, le projet européen étant d’abord et surtout un projet économique. Toutefois, dès la fin des années 1980, des avancées dans le domaine social ont vu le jour. En 1987, l’Acte unique étend les compétences communautaires à la santé et à la sécurité au travail. Le traité de Maastricht (1992) consolide la politique sociale européenne en faisant de l’emploi une priorité. Le traité d’Amsterdam (1997) propose une stratégie européenne pour l’emploi ayant pour objectif principal la création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité dans toute l’Union Européenne. Le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000) propose d’inclure la lutte contre la pauvreté et l’exclusion aux objectifs de l’Union Européenne, en s’appuyant sur une méthode ouverte de coordination. En décembre 2000, le Conseil européen de Nice adopte une Charte des droits fondamentaux, qui réunit les droits politiques, économiques et sociaux des citoyens de l’UE. Toutefois, la charte n’a pas de valeur contraignante pour les États membres. Ainsi, si des avancées indéniables ont été réalisé dans le domaine social, la composante sociale du projet européen reste encore largement insuffisante.

L’Europe sociale, une arlésienne ?

En effet, jamais les pays européens n’ont autant divergé que depuis la création de la zone euro, en particulier en termes de dettes publiques. Dans de nombreux Etats membres de l’Union européenne, le taux de chômage des jeunes (moins de 25 ans, hors étudiants) dépasse le seuil des 15 %. Et au-delà des chiffres du chômage, d’autres indicateurs témoignent de grandes disparités européennes sur les questions sociales. Parmi eux, le montant du salaire minimum par exemple. Son montant varie de plus de 2000 € brut au Luxembourg à environ 280€ en Bulgarie.

Ainsi, de nombreux observateurs à l’instar de Yannick L’Horty affirment que « l’Europe sociale n’existe pas. Tout d’abord, de nombreux domaines de la protection sociale varient en fonction des sensibilités nationales de sorte qu’aucun modèle ne puisse être dégagé. Ensuite, les avancées en matière sociale sont non seulement limitées, mais aussi non contraignante. Enfin, la faiblesse de la politique budgétaire et l’hétérogénéité des politiques nationales posent avec une acuité singulière la question de l’existence du modèle social européen.

Certains semblent même convaincus que l’Europe sociale ne peut avoir lieu, pour des raisons intrinsèques : le projet européen serait libéral par essence, et la composante sociale est par conséquent incompatible avec le projet initial. C’est l’idée que défendent Denord et Schwartz qui comparent l’Europe sociale au monstre du Loch Ness : un mythe qui soulève les passions sans que jamais son existence n’est pu être prouvée…

Consolider le contrat social

Ainsi, la mise en place d’initiatives visant à développer l’Europe sociale semble plus que jamais nécessaire. Dans Civiliser le capitalisme (2019), Xavier Ragot, président de l’OFCE et directeur de recherche au CNRS évoque l’idée d’une assurance chômage européenne. L’assurance chômage est un stabilisateur automatique : en cas de crise, les chômeurs disposent d’un revenu leur permettant de consommer et d’alimenter l’économie nationale. Une telle assurance permettrait de gérer de chocs, sans exiger des transferts permanents entre l’Europe de Nord et l’Europe du Sud. Il s’agit d’une caisse commune de réassurance qu’on abonde en temps normal et qui fonctionne en temps de crise. Ce modèle s’inspire du système américain où le système fédéral étant le droit des chômeurs lorsqu’un Etat subit une crise. Toutefois, bien qu’il soit inspiré du système fédéral américain, ce système serait compatible avec les souverainetés nationales et permet de contourner la question du saut fédéral. L’Europe sociale n’est donc pas seulement l’ajout d’une dimension sociale dans l’Europe actuelle mais la condition de survit de la zone euro.

Conclusion

En somme, si l’Europe sociale a connu de maigres avancées ces dernières années, les mesures mises en place reste encore beaucoup trop insuffisantes. Alors que les pays européens font face à une crise économique, sociale et sanitaire, l’Europe sociale semble avoir un rôle majeur à jouer dans la réponse à ces défis. En effet, cette dernière pourrait remédier à la déliquescence des capitalismes européens en consolidant le contrat social. Comme le rappelle Xavier Ragot à la fin de son ouvrage : « L’homme et la femme sont techniquement de grands singes avec de moins en moins de poils, cherchant à vivre ensemble en communicant autour de fictions utiles comme celle du contrat social. Mais tout cela nous mène trop loin, commentons par un assurance chômage européenne. »