Démographie

Il peut parfois arriver de tomber sur des sujets hors-du-commun en ESH. C’est pourquoi Major-Prépa a eu l’idée de créer cette série d’articles dans laquelle nous allons analyser certains sujets originaux. Les sujets que nous traiterons ensemble sont volontairement larges, le but n’est pas tant de traiter un sujet en particulier mais plutôt d’aborder des thèmes au programme qui font rarement l’objet de sujets mais dont on ne peut pas dire pour autant qu’ils ne tomberont jamais. Le sujet d’aujourd’hui est centré autour de la thématique de la démographie. 

La démographie, une notion complexe

La question de la démographie en ESH a fait rarement l’objet d’un sujet aux concours cependant il y a déjà eu par le passé des sujets sur la démographie. En effet, en 2002, 2 sujets sont tombés sur la démographie (ESCP 2002 : Les changements démographiques conditionnent-ils le changement social ? et Ecricome 2002 : Les déséquilibres démographiques mondiaux et leurs conséquences sur le développement). Il est donc important de ne pas négliger le thème des transformations démographiques d’autant plus que cela fait presque 20 ans que de tels sujets ne sont pas tombés.

La démographie désigne selon l’ONU “une science ayant pour objet l’étude des populations humaines, et traitant de leur dimension, de leur évolution et de leurs caractères généraux, envisagés principalement d’un point de vue quantitatif” (1958). Les problématiques liées à la démographie sont anciennes et encore toujours d’actualité. Pourtant il y a un réel tabou encore aujourd’hui autour de ces questions. Par exemple, la question de la gestion des flux de population ne figure pas dans les ODD (Objectifs du Développement Durable) des Nations Unies. Nous allons donc voir au travers de notre analyse qu’il est délicat d’aborder cette notion et que la nuance sera de rigueur si un sujet d’ESH venait à aborder ces problématiques. 

Les problématiques démographiques sont anciennes mais toujours d’actualité

L’étude des populations est relativement ancienne et la démographie est souvent liée à d’autres notions telles que la croissance, le développement ou encore l’environnement. Toutefois, c’est avec le célèbre économiste classique Malthus que cette thématique va prendre une autre dimension. En effet, ce dernier dans son célèbre ouvrage Essais sur le principe de population (1789) dresse un constat plutôt alarmant sur la croissance démographique que connait son pays (L’Angleterre). Selon lui, l’amélioration du niveau de vie est inéluctablement limitée par la croissance démographique. La population connait une croissance dite géométrique (i.e. elle augmente de manière homogène) alors que les subsistances qui assurent la survie des hommes connaissent une croissance arithmétique (i.e. les productions agricoles varient fortement selon les périodes mais aussi et surtout selon le rendement de la terre qui est décroissant (cf Ricardo)). Ainsi, pour Malthus, il est important de limiter volontairement la croissance démographique et cela passe donc par des contraintes morales (abstinence par exemple) mais aussi matérielles (abrogation des Poor Laws en 1834 qui assuraient des subsistances minimales aux ménages les plus pauvres). 

La doctrine malthusienne s’est éteinte un temps (suite à des erreurs de calculs de Malthus que nous aborderons plus tard) mais est revenue dans les années 70 avec l’arrivée des problématiques environnementales et du vieillissement des populations. C’est Paul Ehrlich avec son célèbre ouvrage La Bombe P en 1968 qui va déterrer les vielles problématiques malthusiennes. Ce dernier affirme qu’il est impossible d’avoir une croissance démographique non-maitrisée couplée à un mode de consommation occidental. Cette affirmation est à l’époque appuyée par différents rapports (celui de Meadows en 1972 et de Bruntland en 1987) et est encore aujourd’hui utilisée par les scientifiques pour alerter de la dangerosité d’une croissance démographique non-maitrisé pour notre futur. Le modèle IPAT de Barry Commoner démontre la relation existante entre le niveau de population et l’impact environnemental (I (impact environnement) = P (niveau population) x A (niveau de vie) x T (émissions de GES)).  En plus de l’impact environnement néfaste liée à l’augmentation future de la population (possiblement 10 milliards d’individus sur Terre en 2050) il y a aussi la problématique du vieillissement de la population.

En effet, pour les pays développés, la tendance universelle observée est celle que la population devient de plus en plus vieillissante (liée aux générations baby-booms qui vieillissent et à la hausse de l’espérance de vie liée au développement économique). Or, c’est un problème pour la croissance future (érosion du K humain et de l’innovation) mais aussi pour les systèmes de retraite en vigueur notamment en France. En effet, dans un système de retraite à répartition comme le nôtre, c’est la population active qui cotise pour payer la retraite de la population devenue inactive (les retraités). Or, mathématiquement, s’il y a plus de retraités que de personnes actives, notre modèle n’est plus soutenable. Enfin, la question des flux migratoires pourrait être rattachée à ces problématiques mais nous ne le développerons pas ici. 

Alors, sommes-nous réellement trop nombreux ?

Avec toutes les problématiques et incertitudes que nous avons évoquées précédemment, il serait légitime de se dire que l’on atteint un seuil insoutenable de population et qu’il faut prendre à l’image de la Chine il y a peu de temps encore des mesures visant à limiter les flux démographiques (cf la politique de l’enfant unique). 

Cependant, comme nous l’avons évoqué précédemment, les problématiques liées à la démographie nécessitent une réponse nuancée. En effet, il n’y a pas que du mauvais dans cette croissance démographique et nous ne sommes pas forcément condamnés à restreindre les flux démographiques. La solution à ces problématiques démographiques réside pour beaucoup dans les innovations et le progrès technique. Pour répondre aux lois de population malthusiennes évoquées plus haut, Malthus avait commis une erreur importante dans son analyse. Avec la Révolution Industrielle et les innovations qui l’ont accompagnée, la production agricole a pu être décuplée pour subvenir aux besoins d’une population toujours plus nombreuse. C’est toujours le cas aujourd’hui, avec le progrès agricole, ce secteur qui ne représente que 4% du total des emplois permet de nourrir l’entièreté de notre pays. Ainsi, les famines ont pu être définitivement écartées et la population a pu croître. 

De plus, d’autres arguments viennent étayer l’idée que nous ne sommes pas trop nombreux. C’est le cas de l’économiste Ester Boserup qui a démontré qu’une hausse démographique exerçait une pression créatrice, ainsi plus de population signifie plus de “génies” donc plus d’innovations susceptibles de répondre aux enjeux environnementaux notamment. Les techno-optimistes sont ainsi d’accord pour dire que dans le modèle IPAT, une baisse du facteur T (i.e., les émissions de CO2) par les innovations permettrait de faire baisser I (i.e., l’impact environnemental) tout en conservant à leur niveau les facteurs A (niveau de vie) et P (niveau de population). De plus, une croissance démographique signifie aussi une croissance économique tout court avec l’extension des marchés et une hausse de la demande, c’est le cas en Inde et en Chine par exemple avec des classes moyennes désireuses d’accéder à la société de consommation. Plus de personnes c’est aussi plus de main d’œuvre, on pense ici à la fameuse phrase de Mao “Un homme c’est une bouche à nourrir mais c’est aussi surtout des bras”.

Le problème du vieillissement peut lui aussi être nuancé. D’une part, la population mondiale tend à se rajeunir grâce en grande partie à la croissance démographique africaine qui vient largement compenser le vieillissement des populations des pays développés dans le contexte d’une économie globalisée. D’autre part, ce serait se tromper que de dire que les personnes âgées sont inactives économiquement parlant. En effet, de nombreuses études ont montrés que les générations les plus vielles appréhendaient de mieux en mieux le progrès technologique. De plus, les personnes âgées sont aussi indirectement responsables des perspectives de croissance future. En effet, le concept de “silver economy” tend à se développer de plus en plus. Les personnes âgées requièrent des biens et services adaptés, il y a donc une demande forte, ce qui pousse en définitive les entreprises à y répondre et à employer de la main d’œuvre pour produire. Enfin, le vieillissement de la population est aussi indirectement responsable de l’accélération de la robotisation et de l’algorithmisation dans les pays développés afin de combler le déficit de main d’œuvre. Cela a donc un impact positif sur la croissance économique. 

Conclusion

Pour conclure, il est assez difficile d’apporter une réponse simple à un problème si complexe. La démographie dépend d’énormément de facteurs et de caractéristiques propres aux pays. De plus, la question reste encore aujourd’hui assez taboue, elle n’est presque pas abordée par les décideurs, tout simplement parce qu’il est compliqué de venir dire aux nouvelles générations (et donc aux nouveaux électeurs) qu’ils ne pourront peut-être pas avoir d’enfants et construire une famille à l’avenir pour préserver notre planète. Ce sujet autour de la démographie a au moins le mérite de mettre en lumière la complexité de la notion de bien commun. Pour conclure, nous pourrions donc dire comme Alfred Sauvy que “chaque pays doit trouver son optimum de population” et qu’il est difficile d’apporter une réponse universelle à la question sommes-nous trop nombreux.