Les débats actuels autour d’une potentielle taxe sur les géants du numérique sont symptomatiques des difficultés rencontrées par l’Union européenne dans l’harmonisation de son système fiscal.

Les origines de la taxe GAFA

La particularité d’une entreprise du secteur du numérique, par rapport à une entreprise traditionnelle, est de pouvoir aisément implanter son siège social dans un pays différent de celui où résident ses clients. Or, pour être éligible à l’impôt sur les sociétés, une entreprise doit disposer d’un « établissement stable » dans le pays où est prélevé cet impôt.

Les géants du numérique réalisent d’importants bénéfices partout dans le monde notamment par la collecte et la vente de données (Facebook) ou par la mise en relation de particuliers (Airbnb), mais ils ont tendance à s’établir dans des pays où la fiscalité est avantageuse et qui, bien souvent, ne correspondent pas aux pays dans lesquels leur création de valeur ajoutée est la plus forte. Une fiscalité spécifique aux entreprises du numérique serait donc nécessaire pour une imposition plus juste des profits réalisés par ces dernières. Et, pour être pleinement efficace, sa mise en place devrait se faire à l’échelle internationale.

L’OCDE a tout d’abord affirmé en 2016 la nécessité d’une coopération renforcée pour repenser le droit fiscal international, afin de le rendre plus adapté aux nouveaux enjeux de l’économie numérique. L’Union européenne, souhaitant une action rapide, a décidé de prendre le dossier en main et de devancer l’OCDE en travaillant sur une solution temporaire unilatérale, qui aurait vocation à être remplacée une fois un accord trouvé au niveau mondial.

La problématique fiscale en Europe

Les États membres de l’UE sont très largement indépendants en matière de politique fiscale. Étant donné la diversité des modèles nationaux, des écarts importants dans les taux d’imposition pratiqués par les pays européens sont observables et ceux-ci ne tendent pas à se résorber. Ainsi, les recettes publiques représentent une part du PIB six fois plus importante en Suède qu’en Lettonie.

Le niveau d’imposition a un aspect stratégique dans la mesure où il joue sur la capacité d’un territoire à attirer les entreprises. Ainsi, certains pays européens n’hésitent pas à utiliser l’impôt sur les sociétés comme levier d’attractivité en le fixant à un niveau relativement faible. Il est particulièrement facile pour les géants du numérique de tirer profit de ces disparités sur le plan fiscal en implantant leurs filiales européennes dans les pays qui proposent les taux d’imposition les plus faibles. Le choix fait par Google de localiser son siège social européen à Dublin illustre très bien ce phénomène.

Afin de faire coïncider davantage le lieu d’imposition des profits avec celui de la création de valeur et d’amorcer la construction d’un système fiscal plus juste, la Commission européenne a proposé, en mars 2018, une réforme de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises du numérique. Il s’agirait de taxer à hauteur de 3 % le chiffre d’affaires, qui pourrait être calculé au niveau national (et non sur les seuls bénéfices comme c’est le cas actuellement) des grandes entreprises du secteur du numérique, c’est-à-dire celles dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros annuels au niveau mondial.

Cependant, la version européenne de la taxe GAFA est aujourd’hui dans une impasse. Si certains États, dont la France, y sont favorables, d’autres, tels que l’Irlande et le Luxembourg, s’y opposent. Or, l’unanimité étant de rigueur en matière fiscale au sein de l’UE, il ne pourra y avoir de taxe sur le numérique en Europe sans l’accord de tous les pays membres.

Perspectives pour la taxe GAFA

Face à cet échec – temporaire, du moins – au niveau européen, certains pays comme la France se préparent à mettre en place leur propre taxe sur les services numériques (TSN), dont la forme serait assez similaire à la proposition de la Commission.

Cependant, la taxe GAFA ne fait pas l’unanimité. En effet, certains craignent que les victimes de cette mesure soient in fine les consommateurs dans la mesure où les entreprises devraient très certainement répercuter la hausse des coûts générée par la nouvelle taxe sur leurs prix. Par ailleurs, la nouvelle taxe s’appliquerait sur le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise et non sur ses bénéfices, ce qui pourrait nuire aux PME européennes du secteur, qui ne sont pas encore profitables. C’est pourquoi le choix a été fait de fixer un seuil à partir duquel les entreprises seraient suffisamment grandes pour être éligibles à la TSN. Pour être certain d’éviter tout effet pervers à ce niveau, il serait peut-être judicieux de s’inspirer du modèle anglais : dans sa version britannique, la taxe devrait se limiter aux seules entreprises bénéficiaires.

Si les particularités du secteur émergent qu’est le numérique requièrent sûrement la mise en place d’un impôt spécifique qui soit à même de garantir davantage de justice sur le plan fiscal, il est primordial de veiller à ce que cette fiscalité ne devienne pas un frein au développement d’entreprises locales dans ce secteur dont l’on vante si souvent le potentiel.

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