puissances mondiales

Voici une carte extraite de l’ouvrage de Matthieu Alfré et Christophe Chabert “Le monde en cartes, Méthodologie de la cartographie”, ouvrage que vous pouvez vous procurer via ce lien. Elle aborde une thématique tout à fait transversale dans le programme de géopolitique des ECG, celle de la configuration des puissances mondiales. Tu peux également retrouver nos autres articles de cartographie ICI !

Le mot de Matthieu Alfré

J’ai à vous raconter une belle histoire qui montre pourquoi j’aime tant Major-Prépa. Au cours du mois février 2018, Dimitri des Cognets, ami et co-fondateur de Major-Prépa, m’appelle pour partager son enthousiasme. Il vient de publier l’interview d’un jeune passionné de géopolitique qui a eu un parcours similaire au mien : une formation à HEC, une mobilité à l’international, une expérience en conseil et, surtout, une immense envie d’aider les étudiants à comprendre le monde. Près d’un an et demi plus tard, Christophe Chabert de Mind The Map et moi-même publions un atlas de géopolitique destiné aux étudiants ambitieux. Nous avons fait tenir tous les enjeux du programme en 30 cartes commentées et 1 méthodologie explicative pour les faire soi-même. Bref, Major-Prépa est aussi l’entremetteur des jeunes auteurs, donc, c’est aussi pour cela qu’on l’aime !

Analyse, carte et légende

Sélection du sujet de la carte

Le concept de puissance structure toute la géopolitique contemporaine. Selon Raymond Aron, dans Paix et guerre entre les nations (1962), la puissance se définit par « la capacité d’une unité politique d’imposer sa volonté aux autres unités  ». Plus concrètement, la puissance géopolitique provient de l’aptitude à atteindre ses objectifs, défendre ses intérêts et asseoir sa suprématie dans le contexte de rapports de pouvoir. Elle mobilise des attributs pour peser sur le système international.

Pour Joseph Nye, la puissance géopolitique provient d’une combinaison de « hard power » et de « soft power » (Power and interdependence, 1977). Selon ce théoricien américain des relations internationales, le « hard power » se définit par l’aptitude à exercer des pressions économiques ou conduire une guerre avec ses forces armées tandis que le « soft power » provient de la capacité à présenter au monde un modèle attractif afin d’influencer les nations sans l’usage de la force. Si ces définitions de notions apparaissent intemporelles, la configuration des puissances mondiales, elle, est assujettie à des évolutions qu’il importe de caractériser.

Justification de la problématique

Dans la deuxième moitié du xxe siècle, la période de guerre froide se traduit par une structuration bipolaire du monde. Certes, l’implosion de l’URSS pourrait donner à penser que le monde devient unipolaire sous l’égide des États-Unis. Incontestablement, ils sont la première puissance mondiale, par leur poids économique, leur force de frappe militaire ou leur culture attractive. Toutefois, plusieurs facteurs propres aux États-Unis contribuent à nuancer la transition d’un monde bipolaire à un monde unipolaire à la fin du xxe siècle. Car ils ne sont pas dénués de vulnérabilités qui mettent en question jusqu’à leur leadership dans le monde libre tout comme le pense Emmanuel Todd (Après l’empire : Essai sur la décomposition du système américain, 2004). La première faiblesse est politique puisque le système de démocratie indirecte frustre en profondeur des pans de l’électorat qui s’excluent du jeu démocratique.

La deuxième faiblesse est sociologique puisque les relations entre les groupes sociaux se tendent. La troisième faiblesse est économique tant les ÉtatsUnis entretiennent des déficits jumeaux (déficit public et déficit de la balance commerciale) ce qui prépare de futures crises. La quatrième faiblesse est géopolitique puisqu’ils ne parviennent plus à s’imposer sur les théâtres d’opérations militaires. Cette absence de bipolarité et d’unipolarité pose la question fondamentale du réel pouvoir des puissances aujourd’hui. La configuration des puissances dans le monde permet-elle la résolution des défis pour la stabilité mondiale ?

Construction de la légende et de la carte

Dans une carte concernant une thématique aussi vaste, il est important de faire preuve de recul et de clarté. Afin d’atteindre cet objectif, le plus efficace reste de construire une typologie qui fasse un panorama complet des principaux pôles de puissances mondiales. Il s’agit donc de singulariser les États-Unis et la Chine compte tenu de leurs poids géopolitiques sur la scène internationale. Pour catégoriser les autres puissances, plusieurs options sont possibles dont la reprise de groupes établis, comme les BRICS, ou la construction de groupes ad hoc, à l’instar des « puissances historiques » et des « grands émergents » de la carte. Pour que ni la légende ni la carte ne soient trop statiques, il faut s’intéresser aux stratégies d’alliance et aux bilans contrastés des puissances.

Commentaire de la carte

La configuration des puissances mondiales fait apparaître un éclatement et une dispersion. En effet, plusieurs catégories de puissances se détachent qui disposent chacune de leurs valeurs, de leurs intérêts et de leurs potentiels. Tandis que les États-Unis aspirent à garder leur prédominance mondiale, la Chine ne cache plus ses ambitions à atteindre une nouvelle forme d’hégémonie. Pendant que se déroule cette lutte de pouvoir, les acteurs historiques (Union européenne, Japon) recherchent les moyens de ne pas trop décliner tandis que les acteurs émergents (Inde, Mexique, Indonésie, Brésil, Chili, Afrique du Sud) comblent leurs lacunes pour les rattraper.

De toute évidence, cette situation donne lieu à des alliances continentales ou régionales dans le but de peser sur la hiérarchie mondiale. Par exemple, héritière de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1963, l’Union africaine (UA) de 2002 cherche à donner une voix forte à des nations désunies et confrontées à des problématiques communes.

Pour autant, ces stratégies et ces tactiques ne suffisent pas à combler les insuffisances de la gouvernance mondiale pour relever les défis globaux. Les menaces terroristes, les tensions diplomatiques, les conflits géopolitiques et les préoccupations environnementales sont autant de défis à surmonter. La configuration des puissances dans le monde risque de décevoir ceux qui aspirent au rétablissement de l’ordre mondial.

Perspectives sur le sujet

Dans ce contexte, la configuration des puissances mondiales se traduit par une mise en cause paradoxale de la puissance traditionnelle. Comme le désigne l’intellectuel Bertrand Badie, dans son essai L’Impuissance de la puissance (2004), « la puissance n’est plus ce qu’elle était [parce que] la fin de la bipolarité, les échecs du développement, la prolifération de formes nouvelles et disséminées de violence ont eu raison des certitudes de naguère ». Cette situation géopolitique qui caractérise l’aube du xxie siècle conduit même l’auteur à estimer que les « menaces les plus diverses […] échappent à tout espoir de contrôle ».

Face à un tel constat d’impuissance, la configuration des puissances montre combien s’impose peu à peu cette apolarité où « cette dispersion de la puissance a dissous la polarité » comme le disait Laurent Fabius, l’ancien ministre français des Affaires étrangères et du Développement international (Revue internationale et stratégique, « La France, le monde », 2015). C’est ainsi que l’échec des puissances à structurer un ordre mondial risque de finir par révéler toute leur impuissance.