NB : cet article n’est pas une colle à proprement parler, dans la mesure où nous avons cherché à expliciter certaines choses plus qu’il n’en faut. Il a vocation en revanche à  fournir des exemples ainsi qu’à donner des pistes de réflexions. Bonne lecture!

Pourquoi s’intéresser à l’Amérique latine ? Même Georges Couffignal, auteur de « la nouvelle Amérique latine » (ouvrage de référence paru en 2013 chez Sciences Po Presses et dont Major-Prépa vous proposera un bref résumé prochainement)  s’interroge sur la pertinence de son étude.

A l’inverse du Moyen-Orient, l’Amérique latine est une région largement pacifiée, dénucléarisée. A l’inverse de l’Asie, elle ne connait pas une croissance phénoménale depuis plus de vingt ans. A l’inverse de l’Afrique, ce sous continent ne souffre pas de l’extrême pauvreté (un seul PMA en Amérique : Haïti).

L’Amérique latine a néanmoins de singulier son rapport ambigu et très particulier à la mondialisation. D’une part, elle embrasse ses idéaux. On peut penser à Pinochet qui, au milieu des années 1970, a converti son économie au libéralisme pur et dur sous la coupe des « Chicago Boys ». Les « multinatinas » -entreprises d’envergure mondiale- sont aussi très nombreuses, jetez-y un coup d’œil. D’autre part, le continent latino-américain fait sans doute partie, à l’heure du bilan, des perdants de la mondialisation. Mondialisation qui s’est d’ailleurs imposée en partie par la capacité coercitive du FMI, nous le verrons dans le développement.

Historiquement, l’Amérique latine a vu l’arrivée des Européens décimer des sociétés ancestrales pour mieux s’emparer des territoires qu’elles occupaient (au Mexique, 80% de la population indigène disparaît en une seule génération). Si cette soumission de l’Amérique latine au profit du vieux continent date de l’époque qui s’apparente à la première mondialisation, qu’en est-il de celle que nous connaissons aujourd’hui ? Dès le milieu des années 1960, Raùl Prebisch, premier secrétaire générale de la CNUCED (Conférence des nations unies sur le commerce et le développement) mettait en garde les Etats latino-américain contre ce qu’il appelait la « détérioration des termes de l’échange » (succinctement, il avançait l’idée que le modèle exportation de matières premières et importations de produits manufacturés très répandu en Amérique du Sud garantissait l’échec économique de ces pays). Il admettra publiquement, après avoir démissionné en 1969, que l’alternative qu’il proposa, l’ISI (industrialisation par substitution) couplée au modèle auto-centré, avait échoué à apporter un véritable développement.

Dès lors,  la mondialisation entrave-t-elle l’Amérique latine dans son souci de développement? Quelles sont les perspectives à terme ?

I- Le début de la mondialisation contemporaine correspond à « la décennie perdue du développement »

  • Pierre Salama « les 40 glorieuses de l’Amérique latine » 6% de croissance du sous-continent entre 1935 et 1975, puis 1,5% dans la décennie 1980.
  • Les Etats, enfermés dans une économie rentière et endettés subissent pleinement cette libéralisation à marche forcée imposée par le FMI (« effet tequila » de 1982, Plan d’ajustements structurels  pour des pays qui ne peuvent faire face à leur dette. Faible capacité à exporter car pas de devises disponibles…)
  • Le tiers-monde apparaît largement victime du poids de la dette qui les accable d’autant plus à partir de 1979 et l’instauration par Paul Volker (président de la FED) de taux d’intérêt élevés : entre 1970 et 1980, la dette du tiers monde passe de 87 à 755 milliards de dollars ; 40% de cette dette est contractée par des pays latino-américains.
  • Ce modèle libéral a des effets mitigés pour les populations : en plus de la faible croissance, les écarts entre les franges de la population s’accentuent considérablement. Le développement n’est pas au rendez-vous.
  • La CEPAL (commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes)  estime que le recul de niveau de vie est de 20% en Argentine dans cette décennie perdue. Plus généralement, les classes moyennes sont laminées, passent sous le seuil de pauvreté…
  • La dissymétrie des rapports de force est flagrante entre une Asie qui sait s’industrialiser et une Amérique latine qui voit son modèle autocentré tomber en désuétude face à la logique mondialiste (manque de compétitivité). En 1980, le PIB de l’Amérique latine était sept fois supérieur à celui de la Chine, aujourd’hui celui de la Chine est plus important : clairement l’Amérique latine est du côté des perdants, tant économiquement que dans son dessein de développement social.

II – Ces stigmates sont aujourd’hui encore visibles

  • L’Amérique latine ne représente que 4% des exportations mondiales pour 9% de la population mondiale.
  • Par ailleurs, ce chiffre est largement gonflé par les exportations de matières premières : le pétrole représente 96% des entrées de devises au Venezuela, pays au bord de l’agonie économique (30% d’inflation par an dans un contexte de transition Post-Chavez difficile). La baisse du cours du soja dans les années 1990 a fragilisé l’économie Argentine qui sombre en 2001. D’une manière générale, une économie peu diversifiée et rentière, donc sensible aux aléas des cours sur lesquels elle n’a aucune emprise, est caractéristique de celle d’un Etat qui subit la mondialisation.
  • La crise argentine est le meilleur exemple d’une libéralisation déraisonnée qui ne sait pas tirer parti de la mondialisation : une privatisation de l’eau, du métro de Buenos Aires… tient plus de la braderie du pays que du réel tournant économique (on peut considérer que le consensus de Washington n’a pas été viable en tant qu’il a été imposée sans préavis, à l’inverse d’un gradualisme chinois qui a été savamment préparé par le pouvoir). Pourtant, comme contre-exemple, la thérapie de choc en Europe de l’Est a fonctionné ! (cf la Pologne)). Actuellement, l’Argentine ne peut payer sa dette encore une fois à cause de la globalisation financière, plus précisément du fond vautour ELLIOT, qui rachète des dettes sur le marché avant d’obliger les Etats à payer l’intégralité de la dette qu’ils avaient contractée. Ainsi l’Argentine a été condamné à deux reprises par la justice américaine à payer ce fond d’investissement. La situation se complique puisque les autres créanciers refusent le rééchelonnement de la dette si celui-ci n’est pas équitable pour tous les créanciers de l’Argentine.
  • On estime que l’ALENA a ruiné les producteurs de maïs mexicains, les subventions US desservent la production mexicaine qui n’est plus compétitive. D’ici 2020, le Mexique importera 80% de sa nourriture des Etats-Unis, elle a perdu son indépendance alimentaire à cause de cette mise en concurrence. (Au passage le Mexique est devenue le pays « le plus gros du monde » avec 36% d’obèses). Ajoutez à cela les difficultés des maquiladoras depuis l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001.

III- Néanmoins, il y a des facteurs qui laissent penser que l’Amérique latine peut tirer parti de la mondialisation pour atteindre ses objectifs, et les perspectives peuvent inciter à l’optimisme.

  • Les déboires économiques des années 1980 ont causé un « virage à gauche » dans bon nombres de pays de l’Amérique latine, qui s’affranchissent des diktats (et des dictateurs tout court d’ailleurs!) que la mondialisation libérale leur imposait. Par exemple, le Brésil et l’Argentine s’efforce de rembourser le FMI par anticipation pour le mettre hors-jeu. Ces pays comptent appliquer leur propre vision de la mondialisation, c’est-à-dire un libéralisme tinté de justice sociale, comme l’exprime le consensus de Buenos Aires (2003).
  • Alors que la première manifestations altermondialiste se déroule à Seattle en 1999, c’est bien l’Amérique latine – le Brésil en tête- qui s’impose comme le lieu de l’altermondialisme (forum sociale mondial à Porto Allègre en 2001, Belém en 2009…). De plus en plus les populations, les Etats… se battent avec les outils de la mondialisation (une preuve qu’ils ne sont plus passifs !) trois exemples :
    – Groupe des CAIRNS crée en 1986 se bat contre les subventions agricoles (fait valoir ses droits à l’ONU)- Le Brésil est le champion des procès à l’OMC, en témoigne son action avec l’Inde pour la fin des brevets longue durée sur les médicaments qui visait NOVARTIS (groupe pharmaceutique suisse). C’est le pays de l’AL le plus inséré dans les institutions mondiales (OMC + FAO dirigé par des brésiliens) (2013)
    – Les minorités indiennes encore primitives, par essence victime de toutes les mondialisations (celle contemporaine a grignoté leur territoire pour des raisons économiques et mis en péril leur mode de vie) savent aujourd’hui tirer parti des outils de la mondialisation à leur disposition : chef indien qui vient à Paris défendre à l’UNESCO l’abandon de la construction du barrage de Belo Monte.
    – L’insurrection Chiapas est aussi un bon exemple, la médiatisation permise par la mondialisation (figure du sous commando Marcos) a obligé l’Etat mexicain à entamer une réforme agraire en 1994.
  • La mondialisation a aussi structuré les réseaux informels : le PIB bolivien provient à hauteur de 20% de la culture du coca (elle est le 3ème producteur mondial)
  • L’ALBA en 2001 (Cuba, Equateur, Nicaragua…) est un pied-de-nez au modèle états-uniens qui incarne selon eux la face sombre de la mondialisation libérale.
  • Enfin en 2015, on peut voir que ce sont bien les pays les plus ouverts sur les dynamiques mondiales qui s’en sortent vraiment : les dernières prévisions de croissance pour les signataires du TPP (traité transpacifique) (Pérou + 5,1%, Chili +3,3%, Mexique +3,2% et Colombie +4,5%) démontrent que ces pays tirent la croissance du sous-continent. Une belle performance, surtout pour le Chili et le Pérou qui pâtissent de la baisse du cours du cuivre (-20% depuis janvier!) dont ils sont des exportateurs majeurs (1er et 3ème respectivement).

Conclusion:

Si la réponse au libellé du sujet aurait indéniablement été oui dans les années 1980, celle-ci est bien moins manichéenne aujourd’hui. Certes certains pays à l’instar du Venezuela peinent à s’insérer avec viabilité dans les échanges internationaux, révélateur d’un asservissement au modèle. Néanmoins le constat est globalement plus positif pour le sous-continent,  qui a su depuis la « décennie perdue » tirer parti des institutions, de l’attractivité de son marché intérieur (pour le Brésil notamment)… Pour autant, ce succès relatif apparaît finalement en demi-teinte : La quasi absence sur l’ensemble de l’Amérique latine d’exportations de produits industrialisés porte l’emphase sur ses difficultés. Face à une Asie pacifique qui faisait face aux mêmes enjeux de développement (la pression démographique en plus) et qui semble avoir eu une stratégie de développement idoine, le sous contient américain fait pâle figure.

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