Analyse de sujet Géopolitique Démographie prépa ECG

L’enjeu démographique est un enjeu incontournable du XXIᵉ siècle. Par « dynamiques démographiques », j’entends regrouper, de manière volontairement vaste, l’explosion démographique, les migrations, le choc des cultures, qui sont des sujets brûlants de l’actualité. Ce thème pourrait tomber en sujet de concours en géopolitique en prépa ECG !

Si la question de la démographie en HGGMC n’a jamais fait l’objet d’un sujet aux concours, c’est une notion transversale indispensable qui balaye un bon nombre de sujets tombés. En effet, en 2015, comment ne pas aborder l’enjeu démographique pour traiter à l’ESSEC le sujet transversal Nourrir la planète : exigences paradoxales et nouvelle « géopolitique de la faim ». De même, l’aspect démographique de tous les sujets régionaux est essentiel pour briller aux concours. Par exemple, en 2017, aborder pleinement le sujet L’Union européenne face aux effets déstabilisateurs de la mondialisation passait évidemment par une étude de la question migratoire, enjeu brûlant de l’Union européenne.

Je te propose donc ici une analyse du sujet « Les dynamiques démographiques et leurs incidences économiques, sociales et géopolitiques » qui a, certes, peu de chance de tomber mot pour mot aux concours car les enjeux derrière les « dynamiques démographiques » sont sans doute trop complexes pour être traités pleinement en 4 h de dissertation, mais qui a le mérite de balayer un bon nombre de pistes et de thèmes transversaux qui te seront à 100 % utiles pour les concours !

Définition et analyse des termes du sujet

La démographie est une notion aux contours flous qui regroupe des réalités diverses. Ici, il convient de définir de manière exhaustive les « dynamiques démographiques ». Ainsi, sur un tel sujet, il faudrait traiter un moment où un autre la question de :

  • l’explosion démographique à relier au concept de transition démographique (fort taux d’accroissement naturel couplé à l’allongement de la durée de vie des populations) :
    • à l’échelle de la population mondiale : 1,5 milliard en 1900, 2,5 milliards en 1950 et 7,5 milliards aujourd’hui… 10 milliards en 2050 ?
    • à l’échelle des régions : ralentissement dans les années 70 pour les pays du Nord (fin de la transition démographique), accélération en Afrique et dans certains pays asiatiques depuis les années 80 ;
  • la généralisation du phénomène de vieillissement, pays du Nord essentiellement ;
  • les migrations internationales ;
  • les migrations internes de populations du Sud qui convergent vers les modes de vie des Occidentaux.

La problématique

Peut-on faire l’hypothèse que les dynamiques démographiques actuelles (voir définition au-dessus) sont une source d’opportunités économiques, sociales et géopolitiques ou bien faut-il privilégier une analyse malthusienne en considérant ces dynamiques comme un frein à un développement plus durable et plus soucieux de l’environnement ?

Concepts et auteurs pouvant être utilisés dans une copie de géopolitique

Bruno Tertrais – Le choc démographique (2020)

[Utilisation 1] Dans son ouvrage, le politologue B. Tertrais analyse comment l’explosion démographique va transformer les rapports stratégiques entre les puissances. Il analyse le cas particulier de la Chine : le poids numérique de l’Empire du Milieu joue un rôle prépondérant dans son émergence sur la scène géopolitique et économique.

[Utilisation 2] Dans son œuvre, B. Tertrais constate que l’Occident a peur du vieillissement et de l’immigration (notamment Europe). Les Occidentaux ont peur de se voir remplacer par des populations étrangères (explication de la montée croissante du populisme).

E. Boserup – Évolution agraire et pression créatrice (1965)

Selon l’économiste E. Boserup, la pression démographique pousse à dépasser les limites et incite à faire mieux que les autres. Elle décrit ce qu’on appelle l’effet Boserup : c’est la croissance de la population qui est à l’origine de la transformation des techniques agricoles, et in fine de l’augmentation de la production.

P. R. Ehrlich – The population bomb (1968)

Dans la lignée de Malthus, le biologiste P. R. Ehrlich alerte sur le risque entre l’accroissement de la population mondiale et la consommation croissante des ressources naturelles (alimentation, eau, énergie).

Plus encore, on pourrait élargir sur la question de la diffusion à l’échelle mondiale des modes de vie des PDEM qui reposent sur une consommation intensive de ces ressources.

M. De Blasi – Environnement, population, niveau de vie : le triangle des incompatibilités (2019)

Dans cet article, l’auteur évoque un triangle d’incompatibilité entre croissance démographique, préservation de l’environnement et niveau de vie matériel. Il insiste sur le fait qu’en 2019, nous consommons chaque année 1,7x les ressources renouvelables de la planète. Il montre ainsi que l’augmentation de la population et celle du niveau de vie ne peuvent aller que dans le sens d’un accroissement des prélèvements sur les ressources terrestres, et donc ne sont pas pérennes. Il nuance ainsi l’effet Boserup (cf. ci-dessus).

Jared Diamond – Effondrement (2004)

Parmi les causes profondes du génocide rwandais de 1994, la pression démographique (le Rwanda est un des pays les plus densément peuplés d’Afrique) et la compétition pour les terres ont joué un rôle essentiel, dans un contexte de sécheresse et de production agricole qui stagnait. J. Diamond évoque explicitement une crise malthusienne.

Sylvie Brunel – L’Afrique est-elle si bien partie ? (2014)

Il est indéniable que la croissance en Afrique est réelle, mais elle se concentre sur un nombre réduit de territoires et de métropoles. L’Afrique est un « continent riche, peuplé de pauvres », selon la spécialiste des questions de développement en Afrique, Sylvie Brunel. Le problème étant que dans le contexte d’explosion démographique du continent, les inégalités ainsi créées sont un moteur pour les frustrations – elles sont d’autant plus insupportables qu’avec l’essor d’Internet, les modes de vie occidentaux sont visibles par tous. Il existe ainsi en Afrique une jeunesse de plus en plus importante (en 2050, 2/3 des Africains auront moins de 30 ans selon certaines estimations de l’ONU), privée des bienfaits de la croissance, qui côtoie sans cesse une richesse de plus en plus visible. Par exemple, à Nairobi, dans le quartier de Loresho, des logements haut de gamme et sécurisés jouxtent des bidonvilles.

S. Smith – La ruée vers l’Europe (2018)

Sujet de multiples controverses, la thèse du professeur S. Smith d’une « ruée vers l’Europe » du continent africain est à prendre avec des grosses pincettes. Certains professeurs de prépa conseillent même de ne pas la mentionner en copie, mais je vous la délivre tout de même pour comprendre le schéma de pensée d’une partie croissante de la population européenne.

Selon S. Smith, l’explosion démographique du continent africain va entraîner des migrations massives vers l’Europe, qui va « s’africaniser ». Il estime que 25 % de la population européenne sera d’origine africaine en 2050. Cette thèse est à mettre en relief avec les estimations des démographes de l’ONU et du FMI qui considèrent que cette proportion sera plutôt d’environ 3 à 4 %. On voit ici que l’écart entre ces deux estimations est immense et révèle bien l’opposition des deux points de vue qui s’affrontent concernant l’immigration africaine en Europe.

P. Veltz – La société hyper-industrielle (2017)

P. Veltz est un auteur pertinent, à mobiliser pour faire un constat assez simple : la surexploitation et la pression sur les ressources terrestres vont croissant. Il rappelle d’ailleurs que le « overshoot day » (jour de dépassement) des ressources avance chaque année (29 juillet 2019).

G. Giraud, Illusion financière (2014)

Dans Illusion financière, l’économiste G. Giraud propose des pistes pour amorcer une transition écologique :
1° Réduire la consommation énergétique via la rénovation thermique.
2° Transformer les mobilités et repenser le modèle urbain – problème des voitures, des bus, des camions qui représentent 20 % des émissions de GES.
3° Passer à des énergies décarbonées – transition énergétique.

On pourrait ajouter aussi le défi de la transition alimentaire. Dans un contexte de consommation croissante de viande, le fait que la production de 1 kg de bœuf nécessite 13 000 l d’eau, 45 kg de CO2 et 7 kg de céréales pose la question de la viabilité de l’alimentation bovine pour la planète.

Suggestion de plan détaillé

I – Les dynamiques démographiques, une source d’opportunités ?

A – Le poids du nombre comme levier géopolitique

Dès le XVIᵉ siècle, le philosophe Jean Bodin clamait le dicton suivant : « Il n’est de richesse que d’hommes ». En effet, force est de constater qu’historiquement, la démographie se révèle être un puissant facteur de puissance géopolitique et économique. Hier, l’Empire britannique (1/4 de la population mondiale au XIXᵉ siècle) et l’Empire français dominaient le monde. Aujourd’hui, l’explosion démographique des puissances comme la Chine, le Brésil ou encore le Nigéria joue un rôle prépondérant dans l’émergence de ces pays sur la scène géopolitique.

Voir ci-dessus : Bruno Tertrais – Le choc démographique [Utilisation 1]

B – Une des conséquences de cette explosion démographique, la jeunesse : une source d’opportunités économiques

Une des conséquences positives de l’explosion démographique est le dividende démographique (situation dans laquelle le nombre d’actifs devient supérieur au nombre de retraités). Le dividende démographique a culminé aux États-Unis dans les années 20, en Europe dans les années 60, en Chine dans les années 2000.

Ce dividende démographique est une véritable opportunité économique, car il rime avec une main-d’œuvre abondante et donc des salaires compétitifs, mais aussi avec un marché intérieur grandissant qui attire les investisseurs.

Le dividende démographique de chaque pays rééquilibre ainsi les rapports Nord/Sud depuis les années 2000 en faveur des pays émergents dont la population va croissant. Un exemple concret de cette attention grandissante des investisseurs vers des pays à forte croissance démographique est celui de la marque de cosmétique américaine Elizabeth Arden qui adapte ses gammes en fonction du marché chinois.

Voir ci-dessus : Ester Boserup – Évolution agraire et pression créatrice

C – L’accélération des migrations et la multiplication des diasporas du Sud rééquilibrent les rapports géopolitiques et économiques Nord/Sud

Depuis quelques décennies, les migrations Sud-Sud ont dépassé les migrations Nord-Nord, ce qui a donc mécaniquement rééquilibré les rapports de force entre les pays concernés. On peut ici évoquer les phénomènes de « brain drain », « brain gain » et citer par exemple Amartya Sen, prix Nobel d’économie qui vit aux US tout en étant resté citoyen indien.

Au Sud, il y a eu une multiplication des diasporas qui favorisent l’émergence et la visibilité des pays émergents. Un chiffre clé sur ce phénomène : en 2017, les remises (argent des diasporas) étaient de 450 milliards de dollars dans le monde, soit plus que l’aide internationale (150 milliards de dollars).

À cet égard, l’Inde possède la première diaspora du monde, véritable relais de l’influence du sous-continent asiatique. Un exemple concret : en 2014, Nina Davuluri a décroché le titre de Miss America, devenant ainsi la première femme d’origine indienne à remporter le concours outre-Atlantique.

II – Pour autant, de nombreuses externalités négatives persistent dans un contexte d’explosion démographique et de convergence des populations vers un mode de vie occidental

A – L’incompatibilité entre croissance démographique, préservation de l’environnement et niveau de vie matériel

Voir ci-dessus : P. R. Ehrlich – The Population Bomb (lignée de Malthus)

Voir ci-dessus : M. De Blasi – Environnement, population, niveau de vie : le triangle des incompatibilités

Ici, il serait possible de faire une petite étude de cas sur l’Afrique, là où la question malthusienne se pose le plus. En effet, il conviendrait de se poser la question suivante : l’explosion démographique peut-elle déboucher sur une guerre pour les ressources ?

Voir ci-dessus : J. Diamond – Effondrement

Sinon, on pourrait aussi évoquer la grande sécheresse en Syrie avant qu’éclate la crise en 2011, qui a mal été gérée par Bachar al-Assad, et qui a donc provoqué le mécontentement des populations par rapport à l’utilisation des ressources du pays.

B – L’essor croissant d’une jeunesse frustrée privée d’emplois, source d’instabilité politique

La question de la jeunesse est cruciale – la part des 10-24 ans représentant 25 % de la population mondiale (surtout dans pays en développement [PED] et les pays les moins avancés [PMA]).

On pourrait ici évoquer la théorie de « youth bulge » selon laquelle la jeunesse représente une menace pour la paix. En effet, dans un contexte d’explosion démographique, l’incapacité de créer des emplois pour les jeunes dans les PED et PMA constitue une source d’instabilité politique. Par exemple, une étude de l’ONU montre que l’Inde devrait croître de 6 %/an pour que tous les jeunes puissent parvenir sur le marché du travail. On remarque ainsi que les pays dans lesquels les parts des jeunes sont les plus importantes sont plus marqués par la violence politique, voire la guerre civile, que dans les pays plus « vieux » qui sont empiriquement plus démocratiques et plus pacifiques.

Plus encore, il existe une fracture générationnelle dans ces pays où la part des jeunes est plus importante. Les attentes différentes entre les élites âgées au pouvoir et les jeunes sont définitivement source de tensions.

Voir ci-dessus : S. Brunel – L’Afrique est-elle si bien partie ?

C – Des migrations tous azimuts, facteurs de tensions géopolitiques et sociales

Voir ci-dessus : Stephen Smith – La ruée vers l’Europe (à relativiser)

Ces migrations tous azimuts posent en effet la question du repli identitaire des populations du Nord qui refusent l’essor de ces déplacements croissants des populations du Sud. Un signe explicite de ce repli identitaire est la montée des partis d’extrême droite en Europe qui change le paysage politique des PDEM (montée du RN en France, de la Ligue en Italie, de Viktor Orbán en Hongrie…).

Voir ci-dessus : Bruno Tertrais – Le choc démographique [Utilisation 2]

On pourrait ici évoquer la crise migratoire de l’UE en 2015, devenue une véritable crise géopolitique qui fragmente l’unité européenne. La permanence des accords de Dublin I et Dublin II (2003) et du système « one stop, one shop » est au cœur de la désunion des Européens quant aux problématiques migratoires. On peut citer par exemple la décision unilatérale de la Hongrie en 2016 qui érige un mur au sein de l’espace Schengen avec la Slovénie pour des raisons migratoires.

III – En réalité, ces dynamiques démographiques posent de nouveaux défis pour le XXIᵉ siècle : concilier croissance démographique et développement durable ?

A – Le défi de la transition écologique

La convergence des modes de vie énergivores par une population qui ne cesse de croître pose la question d’une transition écologique. D’après la commission de l’UE, le coût de la transition écologique pour l’UE serait de 3 000 milliards d’euros sur 10 ans, c’est-à-dire 2-3 % PIB/an.

Voir ci-dessus : P. Veltz – La société hyper-industrielle

Voir ci-dessus : G. Giraud – Illusion financière

B – Le défi du vieillissement

Le vieillissement des sociétés (surtout dans les PDEM) est un phénomène non négligeable : la part des plus de 60 ans devrait passer de 605 millions en 2000 à 2 milliards en 2050 (22 % de la population mondiale).

Il serait intéressant de dresser une typologie des différents défis que doit relever chaque région :

    • pour les PDEM : le défi de la dépendance des personnes âgées, de la viabilité de l’État-providence actuel, de la question sensible des régimes des retraites (cf. crise politique en France 2019-2020), des solidarités intergénérationnelles, etc. ;
    • pour les PED : la question d’être riche avant d’être vieux ? Quand en 2050, la Chine pourrait avoir 1/3 de ses habitants qui ont plus de 60 ans, quel système de retraite peuvent-ils assurer ? Comment maintenir la croissance de la Chine si le dividende démographique n’est plus favorable comme dans les années 2000 ?

Certains États réagissent à la vieillesse des populations en la transformant en opportunité économique : c’est l’essor de la silver economy. Le cas du Japon est ici assez remarquable. Des entreprises japonaises comme Hitachi ont lancé Ropits, le taxi robotisé, ou encore Fujitsu, qui a développé Raku-Raku, un téléphone spécifique pour les personnes âgées.

C – La métropolisation : le défi des inégalités internes et du développement durable comme facteur d’accroissement des inégalités

L’accroissement de la population rime souvent avec les phénomènes de métropolisation et d’urbanisation (87 % de la population des PDEM est urbanisée). Cette métropolisation accentue indéniablement les inégalités sociospatiales et les difficultés pour atteindre un développement durable (Rapport Brundtland, 1987). On peut citer l’exemple de la métropole parisienne où les fractures sociales sont plus fortes qu’ailleurs en France : l’écart entre les 10 % les plus aisés et les 10 % les plus pauvres est de 6,7 à Paris contre 3,5 en moyenne France – sans parler de la pollution et de la saleté des rues.

J’espère que cette analyse de sujet très détaillée te sera utile ! N’hésite pas à consulter nos articles de méthodologie en géopolitique et dans les autres matières en cliquant ici !