goutte d'eau

« Pour la terre on fait la guerre, pour l’eau on négocie ». C’est par ces mots que le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou soulignait la délicate question que représente l’eau. En effet, si cette ressource est vitale et tend à se raréfier elle constitue de fait un enjeu entre les grandes puissances.

Pourtant, et c’est là tout le paradoxe, contrairement à la terre ou aux hydrocarbures, l’eau ne donne que très rarement lieu à un conflit armé à proprement parler. Dans quelle mesure alors cette nature si cruciale de l’eau qui en fait un enjeu aux réponses plus diplomatiques que conflictuelles ?

Une ressource aux multiples enjeux

Une répartition inégale

L’eau est loin d’être répartie uniformément sur la surface du globe. En effet, 5% des pays (Brésil, Russie, États-Unis, Canada, Chine, Inde, Indonésie, Colombie, Pérou) détiennent 60% des réserves. Ceci mène donc à des situations de grandes inégalités voire d’absurdité. L’Amazonie, qui représente 0,3% de la population mondiale détient par exemple 15% des ressources en eau, alors que l’Asie qui représente 60% de la population mondiale ne détient que 30% des ressources. Ainsi, 1/3 de la population mondiale vit avec moins de 5 litres d’eau par jour.

Outre les inégalités d’accès, c’est souvent le niveau de développement des régions qui permet ou non l’accès à l’eau potable. Les inégalités dépendent notamment du style de vie, entre rural et urbain. Au Maroc par exemple, 56% de la population rurale a accès à l’eau potable contre 99% de la population urbaine.

Une ressource précieuse souvent malmenée

L’accès à l’eau est de plus en plus problématique car lié à la pollution. L’augmentation des activités industrielles et des rejets de déchets toxiques, ainsi que l’accroissement du trafic fluvial et des activités agricoles dégradent la qualité de l’eau. Ainsi, en Chine, 60% des cours d’eau sont pollués.

Cela induit bien évidemment de graves problèmes sanitaires. Et ce, d’autant plus que 80% des eaux usées ne sont pas traitées. Finalement, les infrastructures ne sont pas nécessairement optimales. À Mexico ou au Caire, 70% de l’eau est perdue à cause des fuites.

Une ressource dont les besoins ne cessent d’augmenter

Au cours du 20ème siècle la population mondiale a été multipliée par trois et la consommation en eau par six. En outre, les prélèvements en eaux souterraines ont été multipliés par trois si bien que la Banque Mondiale estime qu’en 2025 45% de la population sera en situation de pénurie.

Découvre un exemple de rivalité géopolitique sur les fleuves : Le fleuve Amour, entre Chine et Russie

Une gestion à différentes échelles et à diverses conséquences

Du local au global, la difficile gestion de l’eau

À l’échelle locale, les conflits se font entre les différents secteurs. En moyenne l’agriculture capte 70% de l’eau, l’industrie 20% et l’usage domestique 10%. Il y a également un conflit d’usage entre les villes et les campagnes, notamment lié à l’urbanisation croissante et coûteuse en eau.

À l’échelle régionale, la gestion de l’eau reflète les disparités au sein même d’un pays. Plétore sont les exemples de ces défis. La résolution du conflit israélo-palestinien passe partiellement par l’eau car Israël maîtrise toutes les sources du Jourdain. C’est le cas également de la Chine par exemple. Au Nord se trouve 55% de la population, maîtrisant 80% des ressources en eau.

À l’échelle internationale, la question de l’eau se pose également. En 1986 est signée la Charte Européenne de l’eau qui stipule que « l’eau est un bien précieux indispensable à toutes les activités humaines et n’a pas de frontière ». En effet, certains cours d’eau et bassins sont partagés par plusieurs pays. C’est le cas pour le Tigre et l’Euphrate par exemple, principal motif du contentieux entre la Syrie, l’Irak et la Turquie. En effet, la Turquie a mis en place un gigantesque projet hydraulique, composé de 22 barrages qui diminuent d’un tiers le débit pour les pays en aval. C’est d’ailleurs ce qui avait mené Boutros Ghali, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, à dire : « le prochain conflit dans la région du Moyen-Orient portera sur la question de l’eau ».

Des situations tendues, des solutions encore limitées

L’eau est en effet un des facteurs majeurs d’entrée en guerre. L’ONU compte 70 points de tension sur l’eau dans le monde. Mais dans la plupart des cas cela reste des menaces verbales plus que de véritables affrontements. L’Égypte par exemple négocie avec le Soudan en 1959 pour le barrage d’Assouan, offrant une compensation au pays.

La guerre de l’eau est en effet à distinguer de la guerre pour l’eau. En parlant du Nil, le président égyptien Sadate aurait déclaré en 1979 : “L’eau est le seul mobile qui  pourrait conduire l’Égypte à entrer de nouveau en guerre.” 

Il apparaît donc comme nécessaire de mettre en place une gouvernance mondiale de l’eau. Le conseil de l’eau est créé en 1996. Son action vise notamment une collaboration entre ONG, gouvernements, organisations internationales et entreprises dans le but de résoudre les problèmes liés à l’eau. En 2005, l’UNESCO déclare la « décennie d’action ; l’eau source de vie », pour gérer à l’échelle internationale la question de l’eau et de fixer des objectifs. Ces actions internationales restent toutefois limitées.

Lire aussi : Le XXIe siècle sera-t-il le siècle des conflits de l’eau ?

Trois exemples originaux sur l’eau en géopolitique

1. L’accusation de « pillage » : les multinationales de l’eau à Cordoba en Argentine

Le contexte du conflit

L’eau est décentralisée depuis la dictature, et est privatisée depuis les années 1990 en Argentine par le gouvernement justicialiste de Menem. A cette époque, la province de Cordoba est la deuxième du pays avec 3 millions d’habitants. La crise de 2001 induit alors une remise en cause du modèle libéral de Menem, et le péroniste Kirchner arrive au pouvoir en 2003.

Rivalités politiques locales et nationales autour de la privatisation

Dans les années 1990, le maire social-démocrate de Cordoba s’oppose aux privatisations impulsées par le gouvernement fédéral de Menem. Il cède en 1997 et concède la gestion de l’eau au consortium Aguas Cordobesas (ACSA) dominé par la multinationale française Suez. La gestion privée est plus efficace (une augmentation de 20% de raccordements à l’eau potable), notamment car la gestion publique décentralisée avait été désastreuse.

Après 2003, les rivalités se cristallisent à différents échelons de pouvoir du système fédéral argentin entre : le gouverneur justicialiste qui renégocie un accord en 2005 favorable à Suez (+ 50% des tarifs). Le maire populiste de gauche Luis Juez en profite pour mener l’opposition à Cordoba et organiser une consulte populaire en 2006. Le président Kirchner soutient Luis Juez, désigne les acteurs privés étrangers comme les responsables de la crise (il parle de « pillage privé étranger »), et parvient à faire capoter l’accord. Suez finit par quitter l’Argentine en 2007.

Un enjeu sur un territoire morcelé

La gestion décentralisée avait laissé une grande inégalité dans l’accès à l’eau (70% d’accès à l’eau potable, 15% ont accès à un système d’assainissement). La gestion par le privé l’a réduite mais a également créé de nouvelles fractures. D’une part, les bidonvilles, installations précaires ont été totalement délaissés. D’autre part, les countries, des quartiers fermés, sont l’objet de toute l’attention des opérateurs privés, qui concentrent les investissements et canalisent l’eau potable vers ces quartiers.

Après la crise de 2001, alors que 60% des habitants sont pauvres, les compagnies privées refusent tout tarif social aux carenciados, coupant l’eau ou marquant les maisons des usagers fraudeurs d’une croix rouge. 

Un enjeu international ?

La mobilisation citoyenne vient du local, du maire populiste, des médias locaux, du syndicat des employés (SIPOS) et vise avant tout la multinationale française Suez. Le maire de Cordoba n’a pas hésité à utiliser des réseaux internationaux de militants pour lutter contre la privatisation de l’eau.

2. Contentieux slovéno-croate autour de la baie de Piran

Le contexte du contentieux

En pleine mer Adriatique, deux pays ont accès à la haute mer : l’Italie et la Croatie. La Slovénie, quant à elle, n’a accès qu’au golfe de Trieste. Pourtant, les trois pays possèdent un accès maritime. La raison derrière ces inégalités ? Par rapport au droit de la mer défini en 1982 par la convention de Montego Bay, les eaux territoriales de chaque pays correspondent à 12 miles marins depuis la côte. Or, les eaux territoriales croates bloquent l’accès de la Slovénie à la haute mer.

Les tensions maritimes autour de la baie

De cette situation délicate est né un contentieux autour du droit d’accès à la haute mer, qui est hautement stratégique. En effet, en plus des ressources halieutiques (poissons) présentes, il est possible d’exploiter les gisements offshores potentiels présents dans les eaux territoriales. Ainsi, Slovènes et Croates ont une revendication territoriale antagoniste sur la baie de Piran (ou Savudrijska Vala en croate) de près de 19 km2.

Afin de résoudre cette situation, la Commission d’arbitrage Badinter en 1991 a repris le tracé des anciennes Républiques Yougoslaves, condamnant la Slovénie à un accès secondaire à la mer par rapport à la Croatie. Selon le droit de la mer appliqué à la lettre, la Croatie devrait donc garder son accès actuel. 

Conséquences géopolitiques du conflit et résolution

Les populations locales se sont emparées de ce contentieux pour en faire un enjeu identitaire. En 2004, un groupe de nationalistes slovènes avait franchi illégalement le poste de frontière de Plovanja pour affirmer la souveraineté slovène sur le cap de Savudrijska.

En outre, la Slovénie a freiné l’adhésion de la Croatie à l’Union Européenne depuis 2005. En 2010, sur proposition de l’Union Européenne, les gouvernements Croate et Slovène, s’entendent sur un arbitrage international ratifié par référendum par le peuple slovène. Cette résolution a permis à la Croatie de rejoindre l’Union Européenne en 2014.

3. Le contrôle de l’Antarctique, première réserve d’eau du monde

L’Antarctique, un continent méconnu

L’Antarctique est un des derniers territoires non occupés du globe. Sa spécificité est en effet de n’appartenir à aucun pays ! Ce qui ne l’empêche pas d’être l’objet de nombreuses convoitises.

Ce continent méconnu est le dernier à avoir été découvert (en 1820 !) et investi par des populations humaines. Aucune population autochtone n’a d’ailleurs pu s’établir dans ce climat extrême. Il faut attendre 1911 pour qu’un homme foule le sol du point le plus au Sud du globe.

L’Antarctique est aujourd’hui utilisée comme base scientifique et est occupée majoritairement par des chercheurs, ainsi qu’une poignée de touristes. Par exemple, la base française Dumont d’Urville est gérée par l’Institut Paul Emile Victor, et accueille des dizaines de chercheurs chaque année.

La coopération inédite pour une gestion pacifique du continent

La taille de cet immense continent glacé double pendant l’hiver, ce qui en fait la toute première réserve d’eau douce du monde, avec près de 80% des stocks mondiaux. Pour les pays les plus touchés par le réchauffement climatique, et dans un monde où l’eau se fait une ressource rare, il est intéressant d’en acquérir le contrôle.

De nombreuses puissances revendiquent un territoire en Antarctique, notamment les pays les plus proches du continent (l’Afrique du Sud, le Chili, l’Argentine, l’Australie, la Nouvelle-Zélande) et les premiers découvreurs (la France, la Norvège, le Royaume-Uni). Cependant, depuis le XIXe siècle, un effort unique de sanctuarisation du continent a été fait : il est aujourd’hui géré pacifiquement et est à vocation scientifique.

L’accord fondateur de cette paix insolite est le Traité sur l’Antarctique de 1959, signé par 12 Etats (5 Etats revendicateurs de terres, et 7 Etats observateurs, qui ont des intérêts en Antarctique). Les revendications sont gelées, la militarisation est interdite, et l’exploitation des ressources naturelles (eau, pétrole, gaz) est prohibée. En 2021, 54 Etats font maintenant partie du traité.

En 1991, le protocole de Madrid sanctuarise cette paix de façon intangible. L’Antarctique est officiellement reconnue comme une réserve naturelle consacrée à la paix et à la science. Il s’agit d’étudier le climat sur ce continent qui a échappé à toute présence humaine avant le XIXe siècle.

Les menaces de la paix en Antarctique : l’exploitation de l’eau

L’ingérence chinoise grandissante pourrait menacer la paix du continent. Les cinq bases de la Chine en Antarctique auraient sûrement vocation à exploiter les ressources présentes dans la calotte glaciaire si le traité venait à être renégocié (très peu probable).

Pour ce qui est de l’exploitation de l’eau, des icebergs à la dérive pourraient être transformés en eau douce. Ils sont cependant extrêmement lourds (jusqu’à 1000 milliards de tonnes !), ce qui les rend coûteux à acheminer. Ainsi, si l’exploitation de l’eau en Antarctique n’est pas un souci à court terme, on peut imaginer des solutions pour transformer la glace en eau douce dans les prochaines décennies. Il s’agirait d’une solution à des pénuries d’eau pour certains pays, mais cette solution paraît difficilement viable d’un point de vue écologique.

Découvre aussi : L’Arctique, nouvel espace de conquête ?

Conclusion

L’eau est un enjeu majeur sur les plans diplomatique et géopolitique. Que ce soit pour le contrôle des fleuves qui apportent hydroélectricité et irrigation agricole, les revendications autour des mers territoriales ou la course aux réserves d’eau douce, l’eau est source de conflits. Le contexte du réchauffement climatique fait monter les tensions sur l’eau de façon préoccupante dans des pays comme le Yémen.

La géopolitique de l’eau fait partie des thèmes que tu absolument maîtriser en arrivant au concours. Tu es maintenant mieux préparé pour aborder ce sujet, avec trois exemples originaux qui te permettront de faire la différence dans tes copies. Bonne chance pour le reste de tes révisions de géopolitique !

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