L’Amérique latine et l’Espagne sont séparées par plus de 7 000 km et un océan, et pourtant ces deux régions sont intimement liées, d’un point de vue économique, social et historique.

Dans cet article, Major-Prépa te propose un bilan de leurs relations. Bonne lecture !

I – Des relations encore tendues : un lourd passé

En 1492, Christophe Colomb arrive sur l’île de Guanahani qu’il rebaptise San Salvador. Entre 1519 et 1521, Hernan Cortés fait la conquête de l’Empire aztèque (actuel Mexique). Entre 1532 et 1534, Francisco Pizarro conquiert l’Empire inca, qui correspond à l’Équateur, le Pérou, la Bolivie et le nord du Chili.

Ces quelques exemples incarnent les agressions sur le territoire latino-américain par les Espagnols. Entre les épidémies qui se sont propagées et auxquelles les peuples n’étaient pas préparés, et la violence de la conquête, ce sont des peuples entiers qui ont été décimés. Comment l’Amérique latine pourrait-elle tirer un trait sur ce passé ? Pourtant aujourd’hui, les deux régions collaborent.

Depuis 1991, pour réaffirmer la proximité entre ces régions du monde au lourd passé commun, des sommets ibéro-américains (cumbres iberoaméricanas) sont organisés tous les ans, auxquels participe également le Portugal. Ces sommets ont pour objectifs de renforcer la coopération et d’aborder des sujets qui concernent chaque pays, comme les migrations, l’inclusion sociale, le développement durable ou encore la transformation des États…

L’Espagne a demandé pardon à chacun des pays colonisés et ses excuses figurent également dans de nombreux traités. De plus, les gouvernements espagnols n’ont de cesse de réaffirmer amitié et coopération dans chaque pays latino-américain où ils se rendent. C’est le cas en janvier 2019 avec la visite de Pedro Sanchez au Mexique. Pourtant, à peine trois mois plus tard, AMLO envoie une lettre au roi d’Espagne où il lui demande des excuses pour les conquêtes espagnoles du XVIe siècle et pour la violation des droits de l’homme qu’elles ont entraînée. Ces exigences du président mexicain ont laissé un sentiment de malaise en Espagne, qui se demande s’il n’est pas dans son intérêt de créer artificiellement un conflit.

II – Une instrumentalisation du passé ?

AMLO est en effet soupçonné de vouloir instrumentaliser le passé. Il faut rappeler que sa famille vient d’Espagne : son grand-père a émigré de Cantabrie vers l’Amérique latine, si bien que certains politiques et écrivains espagnols lui ont suggéré de présenter lui-même des excuses.

L’intérêt de raviver ces blessures du passé est de réunir la population autour d’un ennemi commun et d’expliquer le mal qui ronge le pays. Les abus de la conquête espagnole ne doivent bien sûr pas être niés, en revanche c’est l’utilisation de ce passé qui est remise en question et qui suggère une volonté de détourner l’attention sur les problèmes de fond tels que la corruption, le narcotrafic ou les inégalités.

Nous sommes depuis 2008, et jusqu’en 2025, en plein dans une période de bicentenaires d’indépendance (Bicentenarios), c’est-à-dire que l’Espagne et l’Amérique latine fêtent 200 ans d’indépendance. L’Espagne a progressivement développé des relations bilatérales avec chacune de ses ex-colonies après leur avoir accordé l’indépendance. Néanmoins, l’Espagne déplore l’instrumentalisation des bicentenaires. Les gouvernements latino-américains sont plus ou moins réticents à une participation espagnole à ces bicentenaires, et la mise en retrait de l’Espagne permet à ces gouvernements d’avoir un plus grand espace pour manipuler l’opinion publique.

III – Des relations économiques renforcées entre l’Espagne et l’Amérique latine

Les relations économiques ont pris de l’ampleur et si le marché latino-américain est une véritable opportunité pour les entreprises espagnoles, il serait faux de penser que les relations ne vont que dans un sens.

Les entreprises espagnoles ont trouvé leur place en Amérique latine. C’est le cas de Telefónica, entreprise espagnole qui y réalise la majorité de son chiffre d’affaires. Elle s’y est implantée et est aujourd’hui bien plus présente en Amérique latine qu’elle ne l’est en Europe. Telefónica est loin d’être un cas isolé. Dans le secteur énergétique, Repsol joue un rôle très important en Amérique latine. Dans la finance, c’est Banco Santander qui réalise une part essentielle de son chiffre d’affaires de l’autre côté de l’Atlantique. Les relations économiques sont très développées, mais elles ne vont pas que dans un sens.

En effet, en 2012, avec la crise, les flux des investissements et des migrations entre la péninsule ibérique et l’Amérique latine se sont inversés. Les Espagnols qui quittaient l’Espagne pour s’installer en Amérique latine étaient plus nombreux que les Latino-Américains qui quittaient le continent pour s’installer en Espagne. On a assisté à un véritable bouleversement de l’équilibre et c’est la raison pour laquelle, lors de 22e sommet ibéro-américain, c’est la péninsule ibérique qui en appelle à l’aide de l’Amérique latine. Mariano Rajoy annonce lors de l’inauguration : « Auparavant, l’Amérique latine était une chance pour l’Europe. Aujourd’hui, l’Europe doit être une chance pour l’Amérique latine. » Ce discours montre bien que les relations ne vont pas que dans un sens, mais bien dans les deux sens.

IV – L’ambition d’une relation privilégiée entre l’Europe et l’Amérique latine impulsée par l’Espagne

Depuis l’adhésion de l’Espagne à l’Europe en 1986, on constate parallèlement que les relations entre l’Europe et l’Amérique latine prennent de l’ampleur. Si la région latino-américaine reste particulièrement importante pour l’Europe au cours des années 1990, c’est grâce à l’activisme espagnol sur la question. Bien sûr, l’Espagne n’est pas désintéressée : c’est parce que l’Amérique latine se démocratise progressivement et que les entreprises espagnoles s’internationalisent, notamment vers l’Amérique latine, qu’il est essentiel de nouer des relations économiques durables avec la région. La CE a signé des accords avec de nombreux pays d’Amérique latine, comme en 1990 avec l’Argentine et le Chili, ou encore en 1992 avec le Paraguay. Ces accords garantissent une coopération sous réserve de démocratisation et l’Espagne a donné l’impulsion. Néanmoins, ces accords restent trop peu ambitieux et les avantages économiques bien trop limités.

Depuis, les relations ont évolué. L’Union européenne a signé des accords de libre-échange avec 26 des 33 pays d’Amérique latine, bien souvent à l’initiative de l’Espagne. L’Amérique latine reste le continent où l’Espagne investit le plus. Ainsi, en 2020, Madrid a accueilli le sommet UE-Amérique latine-Caraïbes dans l’espoir de développer davantage les relations entre ces deux régions du monde, où elle se propose comme intermédiaire.