Yougoslavie

La Yougoslavie se situe au cœur des grands conflits et problématiques du XXᵉ siècle. Un certain nombre de sujets peuvent faire appel à l’histoire yougoslave, ou du moins être considérablement enrichis par celle-ci. Son rôle particulier dans la guerre froide, notamment, permet de donner un plus à tes copies, largement récompensé par les examinateurs.

Voici donc une fiche particulièrement utile si tu dois aborder ce sujet au cours de tes années de prépa. Tu trouveras une chronologie à la fin de cet article afin de t’approprier les principaux repères attendus !

I – De 1917 à 1939, la région tente de construire une identité nationale contre les Empires européens : c’est la Première Yougoslavie

1) Le « Royaume des Slovènes, des Croates et des Serbes » naît dans un contexte d’opposition à l’impérialisme

Jusqu’en 1918, les Balkans sont la proie de l’impérialisme. Les Empires dominants, face aux volontés expansionnistes russes, connaissent deux crises. En 1908, l’Autriche-Hongrie annexe la Bosnie. Mais la région est aussi l’objet de la diplomatie de cabinet des démocraties occidentales dans le contexte d’avant-guerre. Le traité de Londres d’avril 1915 négocie l’entrée en guerre de l’Italie contre une partie de la Dalmatie (Monténégro/Bosnie) et de l’Istrie. 

À travers la guerre, les revendications se concentrent en une lutte concrète. L’annexion de la Bosnie en 1908 entre en contradiction avec l’idéal panslave de fonder un royaume commun aux Croates, Serbes et Bosniaques. Les sociétés secrètes (Main noire, Jeune Bosnie) se multiplient pour gêner l’influence austro-hongroise. Elles sont à l’origine de l’assassinat de l’archiduc par le Bosniaque Princip le 28 juin 1914 à Sarajevo.

À partir du traité de Londres (30 mai 1913), la lutte dépasse l’acte terroriste pour s’orienter vers une lutte politique. En avril 1915 est fondé le Comité yougoslave ayant pour mission de représenter les Slaves du Sud et de défendre la souveraineté de la région. L’idée de nation yougoslave naît donc à cette date et est concrétisée par le pacte de Corfou signé l’été 1917. 

Avec la défaite des Empires en 1918, la Yougoslavie est ainsi fondée en toute légitimité. Le 1er décembre 1918, le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes est proclamé à Belgrade. Il regroupe Serbie, Croatie, Bosnie, Monténégro, Slovénie et Macédoine, unis par le Serbo-Croate.

2) Cependant, il ne parvient pas à réaliser l’idéal de cohésion nécessaire à la constitution de la Nation

Malgré l’apparente victoire panslave, le Royaume se définit dans un contexte de menaces militaires. De même, la menace italienne presse les délibérations à Zagreb en octobre-novembre 1918. L’Italie commence en effet à réviser la paix mutilée. Cette menace italienne imprègne les années 1920 et croît avec la montée du fascisme. En 1919, D’Annunzio s’empare de Fiume, en 1922 Mussolini va jusqu’à faire bombarder Corfou. 

Le consensus institutionnel est donc impossible dans un contexte aussi trouble. Les désaccords s’articulent autour de deux points. D’abord, sur l’organisation administrative du Royaume, le Conseil national hésitant entre fédéralisme ou jacobinisme centré sur la Serbie. Ensuite, sur l’orientation idéologique, entre identités régionales et panslavisme grand-serbe. En fait, les tensions tournent autour du rôle central de la Serbie dans l’union.

L’absence de consensus rend le Royaume ingouvernable et impose le retour à l’autoritarisme sous Alexandre Ier. Il s’attache à créer une Yougoslavie unitaire en dépit des tensions internes. Il se trouve alors deux bêtes noires : les séparatistes régionaux, et surtout le Parti paysan croate (HSS), et les communistes. Sa première mesure est donc de dissoudre le PC en 1921. En 1928, l’assassinat du député HSS croate Raditch par un député « grand-serbe » fasciste convainc le souverain de renforcer son autorité pour garantir la cohésion de la Nation. Il décide ainsi en 1929 de suspendre la constitution et de gouverner en monarque absolu. 

3) Cet autoritarisme est la porte ouverte au fascisme, au séparatisme croate et à la guerre dans les années 1930-1940

La politique d’unification autoritaire d’Alexandre Ier jure avec la géographie complexe de la région. Afin de décourager les séparatismes régionaux, Alexandre Ier redessine les frontières intérieures. Il crée de nouvelles régions, appelées banovinas. Cette politique est intenable, car le pays repose sur des lignes de fracture immémoriales. Il existe une rivalité très forte entre Croates et Serbes, à laquelle s’ajoute le problème des minorités, aucune région n’ayant une population homogène.

Elle aboutit à raviver les tensions nationalistes qui tournent au fascisme dans les années 1930Alexandre Ier ne parvient pas à apaiser les tensions nationales. En effet, dans un contexte international où l’on évoque sans cesse le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la relecture unitaire qu’impose le roi offusque. Il est dépassé par la prise en masse du fascisme, dont l’exaltation des peuples s’accorde parfaitement avec les revendications nationalistes. Il est ainsi assassiné en visite officielle en 1934 à Marseille, avec le ministre des Affaires étrangères français, Barthou, par l’organisation croate Oustacha.

Dans ce contexte explosif, le séparatisme croate renforce l’influence des régimes totalitaires et introduit la guerre dans la région. Le fascisme distillé à l’échelle du continent dans les années 1930 aboutit au retournement des forces au sein du Royaume. Les Serbes unionistes sont mis en minorité devant les Croates séparatistes. Le HSS de Matchek ayant ouvertement tourné fasciste en 1939 obtient la création de la Banovina de Croatie. C’est un État autonome dans la fédération à l’identité politique et régionale propre. Plus inquiétant, cela permet l’introduction des puissances fascistes dans le Royaume.

II – De 1941 à 1980, la Seconde Yougoslavie se bâtit autour de Tito et du modèle de la résistance nationale aux grandes puissances étrangères

1) La République fédérative socialiste de Yougoslavie se constitue dans un contexte de résistance au fascisme dans la Seconde Guerre mondiale

La Yougoslavie est caractéristique de la défaite militaire des Alliés au début de la guerre. Alors que la Yougoslavie est pro-Alliés, la montée en puissance des révisionnismes l’amène à faire un pas vers les fascismes pour éviter la guerre. En mars 1941, le prince Paul rejoint le pacte tripartite et autorise le passage des troupes allemandes pour aider les Italiens en Grèce. Hitler se sert alors d’une réaction pro-Alliés menée par l’armée serbe pour envahir le paysLa Yougoslavie n’a aucun appui. Paul II s’exile, l’armée capitule et le pays est démantelé.

Avec l’occupation, une opposition collaboration-résistance se met en place dès 1941. Les territoires de l’Adriatique reviennent aux Italiens, la Serbie est sous occupation allemande et la Croatie devient un État indépendant. Cette dernière est sous gouvernement Oustachi de Pavelitch, mouvement paramilitaire fasciste semant la terreur parmi Serbes et musulmans. Se constitue une résistance autour des partis légitimistes de Mikhaïlovitch et des partisans communistes. C’est donc manifestement dans la résistance à l’envahisseur que la Yougoslavie trouve une solidarité et une identité. 

Avec le retournement soviétique dans la guerre, la résistance communiste domine. Elle aboutit à la mise en place de la Fédération démocratique de Yougoslavie. En juin 1941, à cause du retard pris en Yougoslavie, Hitler lance l’opération Barbarossa. En novembre 1943, le Conseil antifasciste de libération nationale, qui lie les réseaux communistes, se proclame gouvernement de la Fédération démocratique de Yougoslavie. 

2) Cependant, la République est encore confrontée jusque dans les années 1970 à des difficultés de définition et de constitution nationale

La constitution de la République fédérative socialiste de Yougoslavie se fait dans l’héritage de la résistance communiste. Tito libère le pays de l’occupation en février 1945. Il s’oppose au retour du roi et organise un plébiscite qui abolit la monarchie et instaure un gouvernement provisoire de Front national, unissant tous les groupes de résistance antifascistes sous la présidence de Tito. Il fait temporairement appel à l’Armée rouge pour faire pression lors des élections de novembre 1945. Celles-ci amènent le PC yougoslave au pouvoir.

Aussi, elle place l’identité communiste au-devant de toutes les identités régionales qu’elle disperse également. Les années de mise en place de l’État communiste s’accompagnent d’une répression active. « Église oustachi », résistants légitimistes, mais aussi nationalistes, tant Croates que Serbes, connaissent les répressions. Tito opte pour le fédéralisme. Ce dernier a saisi qu’une Yougoslavie forte passe par une pluralité culturelle, mais pas politique. « La Yougoslavie a six républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets et un seul parti. » Tito pense le communisme comme moyen de fédérer la région entière. 

Cependant, les nationalismes s’avèrent irréductibles à l’idéologie communiste et subsistent pendant le titisme. Même si elles sont secondes en principe derrière l’identité communiste, les identités régionales persistent. Avec le problème de la succession de Tito, l’écueil fondamental des discordances entre Serbes et Croates est rendu sensible par une contestation venue des universités en 1971 : le « Printemps croate ». Les cadres du Parti s’allient avec les nationalistes locaux pour obtenir une plus grande autonomie croate. Il s’avère que ce mouvement est associé par Tito au mouvement oustachi et réprimé comme tel. C’est derrière l’unité du communisme contre le fascisme que Tito se réfugie systématiquement. 

3) C’est dans son modèle de socialisme indépendant que la Seconde Yougoslavie trouve en fait une véritable consistance

La République fédérative socialiste de Yougoslavie bénéficie d’une influence soviétique. La constitution de la Fédération de 1946 copie celle de l’URSS de 1936, en établissant une République fédérale dont le véritable pouvoir est confié au gouvernement fédéral dirigé par un Premier ministre. Celui-ci devient Président à vie en 1953 et est aussi le Secrétaire général du PC. Un culte du chef est accordé à Tito en raison de son rôle dans « la résistance nationale ». La police politique UDBA réduit les opposants au silence. 

Mais l’histoire de la République fédérative lui accorde une indépendance vis-à-vis de l’URSS qu’elle sait affirmer en 1948. L’avantage de Tito est d’avoir libéré son pays sans intervention de l’URSS. L’idée de Tito est d’atteindre son indépendance en jouant sur les frictions entre les deux géants. Il accepte l’aide américaine en 1947, tout en restant attaché idéologiquement à Moscou. C’est le « schisme yougoslave » en 1948 : accusé de « déviationnisme », exclu du Kominform, déplacé de Belgrade en Roumanie à l’occasion. 

L’expérience titiste se poursuit même après la réconciliation avec l’URSS, et démontre l’authenticité de ce « socialisme à visage humain » de la Yougoslavie jusque dans les années 1980. En 1955, Khrouchtchev présente ses excuses. Le « socialisme réel » implique l’abandon de la collectivisation pour le coopérativisme, des conseils d’ouvriers, une structure fédérale du pays. Tout, si ce n’est le Parti et l’armée qui sont centralisés, répond de l’autogestion titiste. Le résultat était un contrôle accru du Parti localement, mais aussi un régime plus décentralisé, moins répressif. Effectivement, la Yougoslavie s’illustrait dans son opposition au Printemps de Prague en 1968 ou dans le mouvement des non alignés.

III – Après la mort de Tito, les résurgences nationalistes et séparatistes dans la région démontrent que le XXᵉ siècle n’est pas parvenu à implanter l’État-nation dans la « poudrière des Balkans »

1) Avec la mort de Tito et la fin de la guerre froide, la Yougoslavie perd le contexte fédérateur et s’achemine vers les dissensions

La mort de Tito en 1980 est une menace à la cohésion de la fédération. La constitution voulait qu’à sa mort, la présidence soit tournante au sein du Parti. Cela introduit immédiatement un risque de discorde. Car le pouvoir n’est central et puissant qu’avec l’obéissance à un chef et pas six, surtout lorsqu’ils sont rivaux ancestraux. Effectivement, dès la mort de Tito, sans le pouvoir central pour les canaliser, les tensions nationalistes se font jour. 

De plus, avec la fin de la guerre froide, la Yougoslavie perd son identité « entre deux grands ». L’éclatement des structures économiques et militaires du bloc oriental ne l’impacte pas directement. Mais son identité dans la guerre froide vole en éclat. D’abord parce que la doctrine Brejnev est délaissée dans les années 1980. Ainsi, le laxisme de l’URSS vis-à-vis des démocraties populaires enlève son image de « rebelle indépendante » à la Yougoslavie. Ensuite, car la récession et le second choc pétrolier participent à l’accroissement de la dépendance de la fédération vis-à-vis de l’Occident. Alors que l’Est s’efface et que l’Ouest s’impose, le Parti-État s’emploie à exalter le nationalisme grand-serbe derrière Milosevic. 

Aussi, dès 1987, les résurgences nationalistes matées pendant 40 ans ressurgissent. Slobodan Milosevic parvient au pouvoir en Serbie en 1989, alors que son discours nationaliste et critique de la bureaucratie décentralisée l’a déjà fait connaître. La Serbie, avec la réforme de 1974, se voit ôter les territoires de la Voïvodine et du Kosovo. Milosevic se fait alors le défenseur des Serbes mis en minorité. 

2) Ces dissensions éclatent finalement dans la guerre de Yougoslavie en 1991, laquelle révèle toutes les incohérences et rancœurs charriées sur le siècle

Au moment des premières élections pluralistes de 1990, les oppositions se radicalisent. Le retour de la pluralité politique implique l’éventualité du retour des crises internes. Le communisme unioniste ne se maintient plus qu’en Serbie et au Monténégro, les autres républiques, et particulièrement la Croatie et la Slovénie, se prononçant au contraire pour l’indépendantisme. Le parti démocrate-chrétien HDZ appelle alors le pays à sortir de cette création artificielle qu’est la Yougoslavie et à rétablir les frontières naturelles et historiques du pays. 

Un véritable conflit armé éclate en conséquence en 1991. Après référendum, et face à l’absence de réaction de la Serbie, la Croatie et la Slovénie, en vertu du droit de sécession accordé aux Républiques depuis 1974, prononcent unilatéralement leur indépendance en juin 1991. L’armée fédérale chargée de défendre le principe de l’unité yougoslave réagit activement en affrontant les milices des républiques sécessionnistes. La guerre de Yougoslavie surprend toute l’Europe, persuadée que le temps des guerres avait quitté le vieux continent.

Ce conflit révèle sur le long terme les tensions charriées à l’échelle du siècle. Le HDZ de Tudman s’apparente ouvertement aux Oustachis et sévit en Bosnie-Herzégovine quand celle-ci déclare son indépendance, s’adonnant à des « purges ethniques » sur les populations musulmanes qui rappellent les camps de la mort. Le Vatican apporte son soutien financier à la Slovénie, bastion du catholicisme en terre slave.

3) Le pays éclate avec la guerre et pose encore aujourd’hui la question de l’unité de la région et de son adaptabilité au modèle de l’État-nation 

Les grandes organisations internationales tentent d’amener un règlement à la situation. Cela passe par la reconnaissance de l’échec de la Yougoslavie. Ainsi, les organisations préparent les jugements des crimes de guerre à La Haye et les accords Dayton signés en 1995. La question du statut juridique de la fédération en guerre est plus compliquée. En août 1991 se constitue la commission Badinter chargée de réfléchir à l’état exact des ex-Républiques fédérales. Elle s’accorde alors pour reconnaître l’indépendance de la Croatie et de la Slovénie, puis de la Bosnie.

Peu à peu, les membres de la fédération opèrent alors un repli nationaliste qui achève d’éclater le pays. Cette déclaration sur la constitution yougoslave de la Communauté européenne encourage les sécessions. Serbes de Serbie, de Croatie et de Bosnie s’unissent dans le Parti démocratique serbe en 1991. Le repli nationaliste commence à toucher toutes les Républiques jusqu’en 2003, où le Parlement fédéral dissout la Yougoslavie.

Chronologie

  • 1914 : assassinat de l’archiduc à Sarajevo.
  • 1917 : pacte de Corfou.
  • 1934 : assassinat d’Alexandre Ier par l’organisation terroriste croate Oustacha.
  • 1939 : sécession de la Croatie constituée en Banovina indépendante du Royaume.
  • 1941 : invasion et défaite de la Yougoslavie par les forces de l’Axe.
  • 1943 : proclamation de la Fédération démocratique de Yougoslavie par le Comité antifasciste de libération nationale.
  • 1946 : constitution de la République fédérative socialiste de Yougoslavie.
  • 1948 : schisme yougoslave.
  • 1955 : réconciliation avec Moscou.
  • 1971 : Printemps croate.
  • 1974 : réforme de décentralisation. Les Républiques ont droit de sécession.
  • 1980 : mort de Tito.
  • 1990 : élections fédérales pluralistes et victoire des indépendantistes.
  • 1991 : sécession de la Croatie, de la Slovénie et de la Bosnie. Guerre civile.
  • 1995 : accords de Dayton.