Le capitalisme s’est répandu en Asie depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et bien sûr depuis la conversion de la Chine à l’économie socialiste de marché. Cet ouvrage, rassemblant les contributions d’une dizaine de chercheurs, s’intéresse au rôle moteur de la Chine qui constitue un modèle au sens d’un système explicatif et cohérent, mais également à la diversité des autres capitalismes nationaux de la région.

Fondamentalement, c’est la mise à la disposition des entreprises d’une main d’œuvre contractuelle, docile, bon marché, constituée de migrants ruraux (mingong) qui explique la réussite du modèle chinois ; les travailleurs urbains (zhigong) tirent leur épingle du jeu et conservent des rémunérations et des droits plus conséquents. La dynamique du capitalisme chinois s’explique ainsi d’une part, par ce compromis salarial très inégalitaire et d’autre part, par le rôle de l’État qui adopte sans cesse des modifications législatives ou institutionnelles concernant le droit du travail, le droit foncier, les règles du marché… La Chine devient grâce à la forte compétitivité-prix obtenue le moteur des échanges mondiaux ; en même temps, elle influence la totalité de l’Asie Pacifique dont les États se livrent une concurrence aiguë. Elle conduit ses voisins à rechercher des facteurs de production compétitifs (le travail, la terre, les salaires, le savoir..). Il y a ainsi un  mouvement d’homogénéisation autour du modèle chinois et de différenciation entre les capitalismes asiatiques.

Robert Boyer distingue ainsi un capitalisme des villes, Hong Kong et Singapour, un capitalisme semi-agrarien avec l’Indonésie et les Philippines, un capitalisme fondé sur l’exportation de biens manufacturés en Chine, Malaisie, Thaïlande, tandis que Singapour, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon incarnent désormais un capitalisme tiré par l’innovation et l’exportation.

L’ouvrage est divisé en deux parties, l’une sur la puissance chinoise pour étudier la manière dont celle-ci a construit son hégémonie et diffusé ses normes, la seconde sur la diversité et la recomposition des capitalismes asiatiques. L’étudiant y trouvera de courts chapitres aisément exploitables à la fois sur la Chine ( la Chine et le climat) et surtout sur d’autres États de la région à propos desquels les informations se font plus rares. Un chapitre fait le point ainsi sur l’intégration entre Taiwan et la Chine, un autre sur la situation de deux P.M.A. : Laos et Cambodge, ou un autre sur les firmes agroindustrielles indonésiennes. Enfin, au début de l’ouvrage, un chapitre écrit par Robert Boyer étudie la diversité de ces capitalismes et leur conséquence sur les relations internationales. On y trouvera de très utiles mises au point pour traiter de la trajectoire chinoise depuis 1978, des blocages contemporains du pays, des relations de la Chine au monde, de la comparaison Chine/Etats-Unis et une explication claire de la théorie de la régulation qu’il a contribué à élaborer. Elle souligne que « tout mode de développement tend à être déstabilisé par son succès même au point de déboucher sur une crise qualifiée de structurelle », une analyse fort utile en cette période de ralentissement prononcé de la croissance chinoise.  L’article de R. Boyer  illustre enfin, une fois encore, combien le futur de l’économie mondiale interfère avec les rapports géopolitiques des puissances dans un monde d’une interdépendance croissante mais résolument multipolaire.