“La violence du désir” est un sujet plausible pour l’épreuve de Culture Générale de 2024. Cet article vous fournit donc des pistes de réflexions pour le traiter. Les références mentionnées sont bien entendu réutilisables pour d’autres sujets.

Analyse du sujet

Analyse des termes

Devant tout sujet de Culture Générale, la première chose à faire est d’analyser ses termes. Après les avoir bien définis, il faut alors soulever les questions posées par le sujet. C’est donc ce que nous allons faire.

La violence est un abus de force (le mot est d’ailleurs dérivé du latin « vis » , qui signifie force). Elle désigne l’usage de la force, physique ou psychique, qui a pour but de contraindre quelqu’un, voire le tuer, ou bien lui causer des dommages. Par la violence, on impose donc quelque chose à un autre sans son consentement.

Par le désir, une chose nous attire, qu’on souhaite à tout prix atteindre. En ce sens, on peut désirer une personne, un objet ou encore une situation. Tout individu qui désire ressent alors un manque vis-à-vis de l’objet désiré. Satisfaire son désir revient donc à combler ce manque, ce qui mène à un sentiment de jouissance et de bonheur.

Problématisation

Parler de la violence du désir revient donc à affirmer que le désir peut être considéré comme une source de souffrance. En effet, un désir inatteignable peut être perçu comme le plus douloureux des maux : le sujet désirant ne cesse de chercher à atteindre son désir, en vain, ce qui peut le mener à sa propre destruction.

Mais tout désir est-il violent ? Certains désirs peuvent, au contraire, amener joie et satisfaction. Le désir ne serait donc pas intrinsèquement violent, mais le deviendrait : est-ce par la faute de l’homme, ou bien par accident ? Bien plus, l’absence de désir n’est-elle pas tout aussi violente ? Nos désirs nous animent, ils nous stimulent. Ils sont à nos yeux des objectifs qui donnent sens à nos actions. Somme toute, il faut se demander si le désir est violent par nature : voici donc quelques références pour traiter cette problématique.

Piste 1 – Le désir est violent par nature

Le désir est violent en ce qu’il est possession : le désir amoureux selon Sartre

Sartre, dans L’être et le néant, analyse le cas de la relation sexuelle, et donc du désir amoureux. Il décrit ainsi l’évolution de la caresse sexuelle : au premier abord, celle-ci est prévenante, attentionnée, puis elle finit par devenir poignante, voire pressante. Cette évolution montre que le désir amoureux s’animalise : le partenaire tente désespérément de s’approprier l’autre, or il ne le peut pas.

Ainsi, la relation sexuelle ne survit que par un jeu pervers dans lequel l’autre devient ma chose et je deviens la chose de l’autre. C’est donc l’échec inévitable du désir ici qui le rend violent. Mais les différents types de désirs sont infinis : ce qui est vrai du désir amoureux l’est-il pour tous les autres désirs ?

Le désir est violent parce qu’il engendre la rivalité : le désir mimétique selon René Girard

Tout désir engendre de la jalousie. En effet, quand on désire quelque chose, on ressent un sentiment vif de jalousie envers toute autre personne ayant ce qu’on désire. De même, le désir peut naître d’un sentiment de jalousie. Nous voulons ce que l’autre a, quand bien même nous n’avions pas le désir de cette chose avant de l’apercevoir dans les mains d’autrui.

Ainsi, selon René Girard, tout désir nait de l’envie d’imiter l’autre : c’est ce qu’il appelle le désir mimétique. Dans La violence et le sacré, il défend l’idée selon laquelle le désir mimétique mène fatalement aux conflits :

La violence naît du désir mimétique, source de rivalité entre les hommes. La violence efface les différences et détruit les hiérarchies. Elle est contagieuse et interminable : le premier sang provoque une réaction en chaîne.

En effet, chacun voulant ce qu’a l’autre par mimétisme, une compétition se crée, qui finit par engendrer un éclatement de violence. Cette violence ne diminuera que lorsqu’un bouc émissaire aura été choisi. Ce dernier est un innocent qui n’a pas partagé les désirs que les concernés ont tous partagés, mais qui en fait néanmoins les frais. On peut ainsi relier l’analyse du désir faite par Girard à cette citation de Schopenhauer :

L’homme méchant livré par la violence de sa volonté et de ses désirs à des tourments intérieurs continus et dévorants, est réduit, quand la source de toutes les jouissances vient à tarir, à étancher la soif brûlante de ses désirs dans le spectacle des malheurs d’autrui.

Les désirs ont une essence violente car ils nous mènent à notre perte : le Portrait de Dorian Gray

Un désir nous rend violent lorsqu’on se rend compte qu’il est irréalisable. Prenons l’exemple du Portrait de Dorian Gray (1890) d’Oscar Wilde. Au début du roman, Dorian a pour désir de rester éternellement beau et jeune. Son ami Basile fait alors son portait, puis lui offre. Avec le temps, Dorian réalise qu’il ne vieillit pas : son portrait vieillit à sa place.

Or, à mesure qu’il préserve sa jeunesse et sa beauté, Dorian devient avide de désir. Mais il n’en sera jamais satisfait. Son insatisfaction constante envers ses multiples et insatiables désirs le rend ainsi mauvais et violent. Alors qu’il reste toujours aussi jeune et beau, son portrait s’enlaidit du fait de sa cruauté et de sa méchanceté.

Ainsi, le premier désir de Dorian n’a en fait jamais été exaucé. Quand bien même il est resté séduisant physiquement, il s’est enlaidit intérieurement. Dorian n’a fait que courir après un rêve irréalisable, ce qui l’a mené vers sa propre destruction. C’est pour cette raison que l’épicurisme défend qu’on ne peut atteindre le bonheur qu’en cherchant la seule satisfaction des désirs « naturels et nécessaires » (Lettre à Ménecée). Or, le désir de la jeunesse éternelle n’est ni naturel ni nécessaire : c’est pourquoi Dorian est en proie au malheur. Ainsi,

Désirer violemment une chose, c’est rendre son âme aveugle pour le reste.

Démocrite

Piste 2 – La violence du désir est un oxymore

Désirer mène non pas à la violence, mais à la joie : le désir selon Spinoza

Dans l’Ethique, Spinoza montre que le désir est en réalité une force non violente. Selon lui, le désir serait un effort (conatus) qui se caractérise par la volonté persévérer dans son être et dans la poursuite de son existence. Il perçoit donc le désir comme une chose positive : l’épanouissement de ses désirs apporte joie et satisfaction au sujet.

Ainsi, Spinoza explique que c’est le conatus qui rend un objet désirable : celui-ci ne l’est pas naturellement. Si nous désirons un objet, c’est donc que le conatus l’a rendu désirable à nos yeux :

Si nous jugeons qu’une chose est bonne, c’est précisément parce que nous nous y efforçons, nous la voulons, ou aspirons à elle, ou la désirons.

Les désirs et leurs caractéristiques sont donc propres à chaque individu ; on ne peut donc pas déterminer si ces désirs sont intrinsèquement violents ou non, mais seulement les qualifier de bons ou de dangereux pour l’individu désirant.

Spinoza explique alors que la raison en chacun permet de comprendre ses propres désirs. Autrement dit, chaque individu, en tant que doué de raison, peut contrôler ses désirs :

Chacun a le pouvoir de se comprendre lui-même et de comprendre ses affects d’une façon claire et distincte sinon totalement, du moins en partie, et il a par conséquent le pouvoir de faire en sorte qu’il ait moins à les subir.

Le vouloir-vivre comme souffrance constante : le désir selon Schopenhauer

Dans Le monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer avance que l’essentiel de notre réalité est le « vouloir vivre », ou « la Volonté » :

L’effort qui constitue l’essence de chaque chose c’est au fond le même, nous l’avons depuis longtemps reconnu et il prend le nom de Volonté.

Il y a ainsi, dans chaque être, la présence d’un même principe : le vouloir-vivre. Il est une volonté inconsciente, qui inspire tous nos faits et gestes, et se déploie aveuglement dans chacun de nous. C’est une tendance au cœur de chaque être vivant qui le pousse à un effort continu qui fait l’essence même de la vie.

Or, cet effort continu et sans but est vécu par chacun d’entre nous comme une souffrance, car on ne peut pas y échapper. Schopenhauer admet donc que le désir est violent, en ce qu’il est cette force aveugle qui ne sait pas où elle va. Expression du Vouloir Vivre, le désir forme donc un cycle qu’on est jamais en mesure d’apaiser. Cela fait de l’expérience humaine une expérience malheureuse, sauf dans certaines occasions : celles de contemplation.

La contemplation libère en effet de la souffrance : je n’agis plus sur la réalité, je la contemple. Je ne suis alors plus dans cette lutte incessante avec moi-même. Ainsi, je m’affranchis, le temps de la contemplation, des tourments, de mes désirs et de la souffrance ; mais

Soumis au désir, il n’y a aucun bonheur durable.