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Cet article s’avère utile sur de très nombreux sujets d’ESH portant autant sur la mondialisation, l’immigration, la croissance ou le développement que sur la démographie (« Démographie et globalisation » à l’oral ESCP 2021, « Démographie et croissance : quels liens ? » à l’oral HEC 2016).

L’immigration, une question qui pèse lourdement sur la vie politique des pays riches

S’il y a bien un thème qui monopolise le débat public aujourd’hui et déchaîne les passions à l’aune des élections présidentielles, c’est l’immigration (regarde notre article). Donald Trump aux États-Unis avertissait sur la menace que représenteraient des hordes de meurtriers mexicains. Les discours du Rassemblement national et d’Éric Zemmour en France. Celui des partisans du Brexit au Royaume-Uni, des partis au pouvoir en Slovaquie, Hongrie et Italie. L’immigration demeure une question centrale dans la vie politique des pays riches.

Une crainte qui ignore les faits

Comme l’avancent Duflo et Banerjee dans Économie utile pour des temps difficiles (2019) : « Alimentée par le mythe de la pureté et la hantise du mélange des races, la paranoïa raciste ignore les faits. »

Cette peur liée à l’immigration reste dans les faits en grande partie injustifiée. Selon Czaika et de Haas (The Globalization of Migration: Has the World Become More Migratory?, 2014), les migrants représentent aujourd’hui 3 % de la population mondiale. Soit environ autant qu’en 1960 ou 1990. Entre 1,5 et 2,5 millions de migrants venus du reste du monde sont accueillis chaque année par l’Union européenne. Ce qui ne représente au maximum même pas 0,5 % de sa population.

La majeure partie d’entre eux sont arrivés en toute légalité, soit en bénéficiant du regroupement familial soit d’un contrat de travail. Certes, on a observé en 2015 et 2016 un afflux inhabituel de réfugiés. Néanmoins, en 2018, le nombre de demandeurs d’asile dans l’UE atteignait de nouveau les 638 000, et seulement 38 % des demandeurs ont été reçus favorablement.

Dans leur enquête réalisée auprès de 22 500 habitants autochtones de six pays où l’immigration demeure un thème politique central comme la France ou l’Allemagne, Alesina, Miano et Stantcheva (Immigration and Redistribution, 2018) mettent en évidence l’étendue des préjugés autour de l’immigration, que ce soit sur la composition de la population immigrée ou son ampleur. Ainsi, en Italie, la part d’immigrés dans la population est perçue en moyenne comme étant de 26 %, tandis qu’elle n’est en réalité que de 10 %.

La question demeure plutôt selon Duflo : « S’il est vrai que beaucoup de gens (…) sont si désespérés qu’ils sont prêts à tout quitter, le mystère est plutôt que tant d’autres ne le fassent pas quand ils en ont la possibilité. »

Ce ne sont pas les habitants des pays les plus pauvres qui émigrent le plus

Les pays que les gens s’empressent de fuir comme la Syrie, le Yémen ou l’Irak ne sont pourtant pas les plus pauvres. Ainsi, le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat (PPA) en Irak est environ 20 fois supérieur à celui du Liberia et au moins 10 fois supérieur au PIB de la Sierra Leone ou du Mozambique.

Selon Esther Duflo : « Les personnes qui cherchent à quitter ce type de pays ne connaissent donc sans doute pas la pauvreté extrême qui accable l’habitant moyen du Mozambique ou du Liberia. Mais leur vie leur est devenue insupportable parce que leur quotidien a perdu toute forme de normalité. Dans le nord du Mexique, ce sont les guerres entre narcotrafiquants qui font régner la violence et la précarité ; au Guatemala, c’est l’épouvantable junte militaire ; au Moyen-Orient, ce sont les guerres civiles»

Dans son étude réalisée au Népal pour la Banque mondiale (Push and Pull: A Study of International Migration from Nepal », 2017), Shrestha montre que les années de mauvaises récoltes n’ont poussé qu’une faible partie des habitants à quitter le pays. Incapables de pouvoir payer le voyage, ces derniers ont même été moins nombreux à partir les mauvaises années. C’est alors seulement lorsque la violence de l’insurrection maoïste, qui gangrenait le pays depuis longtemps, s’est amplifiée que les gens ont commencé à partir.

Comme le résume ainsi Duflo : « Qu’il faille une catastrophe ou une guerre pour donner aux gens envie de partir pour un endroit où les salaires sont plus élevés montre bien que les incitations économiques ne peuvent, à elles seules, suffire. »

Il faut parfois qu’une population soit contrainte de partir pour se décider à migrer

Et cela, alors même que les bénéfices à la migration peuvent s’avérer conséquents. Ainsi, Sarvimäki, Uusitalo et Jäntti, (Habit Formation and the Misallocation of Labor: Evidence from Forced Migrations, 2019) montrent à travers le cas de la Finlande que le fait d’être forcée à partir peut permettre à une population de rompre ses attaches et de devenir plus aventureuse.

Après avoir été alliée de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, la Finlande a été contrainte d’abandonner une partie non négligeable de son territoire à l’Union soviétique. Les 430 000 personnes qui vivaient là, représentant alors 11 % de la population finlandaise, ont dû être réinstallées dans le reste du pays.

Avant la guerre, cette population vouée à être déplacée avait davantage tendance à occuper un emploi informel et était plutôt moins urbanisée que le reste de la population finlandaise. 25 ans plus tard, elle était devenue plus riche que le reste de la population du pays. Ce qui s’explique notamment par le fait qu’elle soit dans l’ensemble devenue plus urbaine et plus mobile, et occupant davantage un emploi formel.

Le manque d’information sur les gains économiques n’est pas le principal obstacle à l’immigration

Ce n’est pas par asymétrie d’information sur la possibilité d’améliorer leur situation économique en migrant que les individus pauvres décident de ne pas partir. Selon Esther Duflo : « Compte tenu des gains économiques potentiels, il y a en réalité beaucoup moins de migrants qu’il ne devrait y en avoir. »

Ainsi, Bryan, Chowdhury et Mushfiq Mobarak (Underinvestment in a Profitable Technology: The Case of Seasonal Migration in Bangladesh, 2014) montrent en étudiant le cas du Bangladesh que le manque d’information sur les gains économiques à la migration n’est pas le principal obstacle à la migration.

Le rôle de l’État dans la promotion des migrations

D’après Esther Duflo, promouvoir les migrations, internes comme externes, devrait constituer une priorité pour les pouvoirs publics. Cette implication de l’État se justifie en effet par les raisons économiques de la promotion de l’immigration : « La mobilité (interne et internationale) est un des principaux moyens d’égalisation des niveaux de vie entre régions ou pays différents et d’absorption des disparités économiques et régionales. Quand les travailleurs se déplacent, ils tirent parti d’opportunités nouvelles et quittent les régions touchées par des difficultés économiques. C’est comme cela que l’économie d’un pays ou d’une région peut amortir les crises et s’adapter à des transformations structurelles. »

L’État fait face à un problème

Comme le souligne Duflo : « La véritable crise migratoire, ce n’est pas qu’il y ait trop de migrations internationales. La plupart du temps, l’immigration ne représente pas un coût économique pour la population autochtone, et elle apporte des avantages certains aux migrants. Le vrai problème, c’est que les gens, bien souvent, ne peuvent pas ou ne veulent pas bouger, dans leur pays natal ou en dehors, pour tirer parti des opportunités économiques existantes. »

Supprimer les principaux obstacles à la migration

D’abord, d’après Esther Duflo, il s’avère inefficace pour les gouvernements d’utiliser les incitations économiques afin de promouvoir les migrations. Ils devraient plutôt davantage s’attaquer à tous les freins à la migration.

Comme le montre Shrestha au Népal (Get Rich or Die Tryin’, 2017), la désinformation fait rester les candidats migrants chez eux. Dès lors, pour lutter contre les asymétries d’information qui empêchent les migrants potentiels de partir, les gouvernements pourraient rationaliser et mieux expliquer l’ensemble du processus afin que les travailleurs possèdent une connaissance plus fine des coûts et bénéfices de la migration.

Il faudrait également que les gouvernements permettent aux migrants et à leurs familles d’envoyer plus facilement de l’argent dans les deux sens, ce qui les aiderait à être moins isolés.

Shrestha montre dans son étude au Népal que les migrants potentiels surestiment largement les risques liés à la migration. Dès lors, afin de lutter contre cette peur surdimensionnée de rater, les gouvernements pourraient proposer une assurance contre l’échec. Bryan, Chowdhury et Mushfiq Mobarak montrent justement que lorsque la mesure a été adoptée au Bangladesh, les effets ont été presque aussi importants que ceux de la prise en charge d’un trajet en bus.

Faciliter l’intégration des migrants

Mais la meilleure solution pour encourager les migrations, tout en œuvrant de sorte à qu’elles soient davantage acceptées par les autochtones, reste, selon Duflo et Banerjee de faciliter l’intégration des migrants. Aujourd’hui, à part l’action de quelques organisations d’aide aux réfugiés, rien n’est véritablement fait pour améliorer l’adaptation des migrants. C’est une véritable épreuve à laquelle font face ces derniers lorsqu’il s’agit pour eux d’obtenir le droit de travailler légalement.

Les migrants internes manquent d’endroits pour se loger (ou sont logés dans des régions dépourvues d’emplois) et peinent souvent à trouver leur premier emploi, et ce, même quand les opportunités semblent nombreuses. Proposer une assistance en matière de logement comme des loyers subventionnés, une adaptation à l’offre d’emplois avant le départ ou une aide à la garde des enfants constituerait des moyens pour tout nouveau migrant de faciliter son intégration dans la société.

Ces propositions valant autant pour les mobilités intérieures qu’internationales. Ainsi, les migrants potentiels hésiteraient moins à partir de chez eux et s’inséreraient davantage dans le tissu social des communautés d’accueil.