Le 20 mars 2018, Tribunes ESCP Europe accueillait l’actuel PDG de Total pour une conférence auprès des étudiants de cette grande école de commerce. L’accueil fut massif de la part du public qui ne voulait pas rater ce que le PDG de la deuxième plus grande capitalisation boursière du CAC 40 avait à dire.

À la suite de la présentation de la figure de Patrick Pouyanné et des grandes lignes de son parcours, l’échange a commencé entre le PDG de Total et les interviewers, suivi par un temps de questions-réponses avec le public. Concis, percutant, et évitant toute langue de bois, Patrick Pouyanné n’a laissé personne indifférent dans l’audience. « Pour être un bon dirigeant il est important d’être entouré de gens qui ne vous ressemblent pas » déclare l’invité en guise de conseil aux étudiants de ESCP Europe.

L’engagement citoyen des entreprises fut le premier sujet abordé lors de cette conférence. Aux yeux du successeur de Christophe de Margerie, les grandes entreprises doivent aller au-delà de leur contribution économique : elles ont aussi un rôle sociétal à jouer. Cela relève, pour lui, d’un devoir vis-à-vis des territoires dans lesquels elles se sont développées. P. Pouyanné considère en effet qu’on attend aujourd’hui des entreprises qui gagnent de l’argent plus que leur seule contribution fiscale, en écho au désengagement progressif de l’État sur tout un tas de sujets. C’est pourquoi Total a identifié 4 axes faisant sens avec ses activités et sur lesquels le Groupe souhaite plus particulièrement s’engager : la sécurité routière,  l’insertion professionnelle des jeunes, le dialogue des cultures et les fôrets.  Monsieur Pouyanné a ainsi  pris en exemple le partenariat signé le jour même par la Fondation Total avec les Ecoles de Production – écoles privées d’enseignements techniques pour les jeunes de 15 à 18 ans formant aux métiers de l’industrie – à hauteur de 60 millions d’euros sur 10 ans afin d’accroitre significativement le nombre de ces établissements et, par là même, le nombre d’apprentis.

Le débat se poursuit logiquement, par la question du rôle de l’État dans l’économie. « Il n’y a rien de pire qu’un État actionnaire » tranche Patrick Pouyanné sans hésiter. Et il argumente son propos pour s’assurer que son idée est comprise par tous : la temporalité plutôt « court-termiste » dans laquelle s’inscrit l’action de l’État ne lui permet pas d’agir efficacement en matière économique. Ainsi, précise t-il, le temps du politique n’est pas le temps de l’industrie, pour laquelle la mise en œuvre de stratégies requiert détermination et patience. Pour le patron de Total, seuls quelques secteurs stratégiques comme le nucléaire et la défense doivent relever de la puissance publique. Toute intervention dans les autres domaines ne lui paraît pas justifiée.

Questionné sur le rôle à l’international de Total et sur la nationalité de la 3ème major pétrolière du monde, Patrick Pouyanné affirme sans hésiter que toute entreprise à une nationalité et que Total est donc une entreprise française, perçue comme telle. Par extension, elle peut être amenée à être une incarnation de la France sur la scène internationale. Pour autant, cela ne lui donne aucune influence sur la politique française et pas plus qu’elle ne serait la représentante du gouvernement français, quel qu’il soit. Pour Patrick Pouyanné, Total possède l’atout d’être une entreprise française, fière de sa nationalité à l’étranger, mais qui ne peut en aucun cas jouer un rôle dans la vie politique française.

Après les relations internationales, le temps vient d’aborder des questions géopolitiques. Patrick Pouyanné a d’abord l’occasion de s’exprimer sur les investissements de Total vient d’annoncer en Libye. Sans ignorer  les risques liés à la situation dans ce pays, il explique qu’il s’agit pour le groupe de saisir, là comme ailleurs, des opportunités offertes par la conjoncture favorable sur les prix.  La même logique prévaut lorsqu’il est interrogé sur la situation en Iran et les investissements de la firme française dans ce pays. « En Iran, qui est un pays que nous connaissons bien, nous agissons dans le respect absolu des règles internationales et avons saisi une opportunité après que l’accord sur le nucléaire a été signé. Elle comporte des risques du fait de possibles nouvelles sanctions américaines, nous le savons » a déclaré le PDG de Total, qui assume volontiers qu’on attribue à son entreprise l’image d’une firme audacieuse. Là encore, sans ignorer le risque de potentielles nouvelles sanctions de la part des États-Unis et l’incertitude géopolitique dans la région, Patrick Pouyanné considère donc les investissements dans ce pays comme une « bonne affaire » qu’il fallait saisir et qui peut être très positive pour Total.

Total ayant dû affronter des accusations de corruption par le passé, son actuel PDG est interrogé sur des questions éthiques et morales. Bien que la corruption soit toujours un risque, dans l’industrie du pétrole comme dans les autres, Patrick Pouyanné considère que les règles de droit comme celles que s’imposent les entreprises se sont considérablement renforcées, que la transparence est plus grande et que l’entreprise française est résolument engagée en matière de lutte contre la corruption. Il explique que la taille de Total lui permet de ne signer que des contrats respectant les règles de conformité. Lorsqu’il sera questionné à nouveau par le public sur ce sujet-là, le PDG affirmera : « Il est arrivé que nous renoncions à des affaires pour des raisons éthiques ».

Les enjeux climatiques s’invitent ensuite à la conférence et animent la fin de l’échange entre les interviewers et Patrick Pouyanné. « Ce qui me permet d’investir massivement dans les énergies nouvelles c’est de gagner de l’argent dans le gaz et le pétrole » explique le patron de Total. L’invité insiste d’ailleurs sur le fait que le gaz fait partie du cœur de métier de Total, au même titre aujourd’hui et plus encore demain, que le pétrole. Se référant à l’accord de Paris sur le climat, Patrick Pouyanné constate  que pétrole, gaz et énergies renouvelables auront un rôle majeur dans le mix énergétique de référence. Aux côtés de ses activités de base, le groupe français s’est donc fixé pour ambition d’avoir d’ici 20 ans 20% de son business dans les solutions bas carbone et s’est engagé pour cela à investir 500 millions par an. C’est pour le patron du géant français la condition pour que Total reste dans le futur un leader dans le secteur de l’énergie. Le patron du groupe français prouve ainsi son engagement sur les enjeux climatiques et confie même avoir des « échanges ouverts et constructifs avec Nicolas Hulot », ministre de la Transition écologique et solidaire.

La conférence s’achève sur une question sur la Responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) qui mène Patrick Pouyanné à exposer un projet pour amener l’électricité en Afrique grâce aux lampes solaires. Cette technologie utilise les énergies décentralisées et témoigne des investissements que peut réaliser Total en matière de RSE, mais le le PDG de Total reste clair, ces investissements doivent toujours être rentables. L’invité en profite pour s’ériger contre toute pratique de « greenwashing » qui selon lui ne dupe plus personne aujourd’hui et qui ne fait que ternir l’image de l’entreprise concernée, notamment auprès de ses collaborateurs.

Alors que la conférence touche à sa fin et que les spectateurs se préparent à quitter la salle, Patrick Pouyanné offre un dernier et ultime conseil aux élèves de ESCP Europe : « dans une carrière, on a le droit de faire des erreurs mais on pas le droit de les répéter » affirme-t-il. Dernier conseil qui illustre à la perfection le niveau d’exigence que Patrick Pouyanné a envers lui-même. C’est peut-être cette exigence ou son travail infatigable – « je repars travailler » affirme-t-il en quittant les locaux de ESCP Europe à 21h30 – qui lui ont permis de recevoir récemment le prix du Stratège de l’année décerné par Les Echos. Quoi qu’il en soit une chose est certaine, les participants à la conférence ont pu assister à une démonstration d’humilité et de cohérence, des propos honnêtes et sincères qui invitaient chacun à la réflexion sur des sujets allant de l’énergie au rôle des entreprises dans la société en passant par le rôle de Total dans les affaires internationales. Un débat stimulant et enrichissant porté par les étudiants de ESCP Europe et soutenu par le PDG de Total. En somme une conférence signée Tribunes ESCP Europe qui porte l’empreinte d’un invité d’exception, Patrick Pouyanné.

Gabrielle Cottenceau et Nicolas Rodríguez