L’année 2017 a clairement été la meilleure année pour l’économie mondiale depuis la sortie de la crise. La croissance est de retour, le chômage a fortement baissé dans la plupart des pays, et l’inflation pointe le bout de son nez, écartant ainsi les craintes que suscitaient sa disparition. Tous les indicateurs sont donc au vert. Mais comme l’évoque Sebastien Jean (2017), paradoxalement, cette reprise s’est effectuée dans un contexte particulièrement maussade : Brexit au Royaume-Uni (juin 2016), élection de Donald Trump en 2016 (qui a pris ses fonctions en 2017), attentats terroristes répétés…

Mais il faut admettre que ces mutations n’ont pas eu d’effets significativement négatifs. L’économie se portera-t-elle aussi bien en 2018 ? L’embellie de 2017 signe-t-elle le retour du printemps ?

Les raisons de la reprise

On peut relever plusieurs raisons permettant d’expliquer la reprise.

– Aux Etats-Unis, alors que l’élection de Donald Trump avait été présentée comme porteuse de menaces pour les perspectives économiques, elle a au contraire renforcé l’optimisme des marchés dans un premier temps, augmentant sensiblement les anticipations d’inflation et les cours de Bourse, contribuant ainsi à écarter le risque déflationniste. D’autre part, le « Tax plan » est susceptible de prolonger le cycle de croissance américain actuel, étant déjà l’un des plus longs de l’histoire moderne des Etats-Unis. Attention néanmoins au chômage : s’établissant à 4,4% mi-2017, il est passé en dessous du chômage structurel, ce qui laisse penser qu’une stimulation supplémentaire de l’offre pourrait entraîner de l’inflation (Tobin, 1980), donc une hausse des taux d’intérêt susceptible d’entraîner le retournement qui doit arriver tôt ou tard ;

– En Europe, les pays ont bénéficié de la hausse des prix de l’énergie qui a également écarté la déflation (l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les prix les plus volatils, comme les matières premières, reste faible), notamment dans un cadre de politique monétaire qui reste très accommodante. Au Royaume-Uni, le Brexit n’a pas eu d’effets aussi négatifs que prévus, même si la livre a perdu 10 à 15% de sa valeur par rapport à l’euro. Autre part, les exportations extra-européennes sont dynamiques, soutenues par le faible niveau de l’euro, ce qui a permis d’éviter des déficits importants (l’euro est toutefois en train d’augmenter à nouveau).

– La Chine continue de tirer la croissance mondiale. Le taux de croissance de 6,7% pour 2016 constitue une très bonne performance, dans une économie qui n’a plus les mêmes opportunités de rattrapage qu’il y a quelques années, et qui doit opérer une transition de grande ampleur, en se détournant du commerce international pour favoriser son marché intérieur, réduire sa production manufacturière et élever son niveau de vie.

– La Russie et le Brésil ont connu les embellies les plus spectaculaires, sachant que les deux pays sortent d’une crise profonde, qui les avait plongés dans une récession marquée. Ainsi, la croissance est enfin redevenue (légèrement) positive en 2017, après plusieurs années de récession (environ 1% au Brésil, 2% en Russie).

Les défis à relever

Malgré ces signaux positifs, l’année 2018 est marquée par plusieurs défis qu’ils s’agit de relever :

En Europe, l’enjeu principal est le futur des relations entre la Grande-Bretagne et les autres pays européens. Les négociations devront réellement progresser et des compromis devront être trouvés, pour une sortie pour l’instant prévue en 2019. En outre, le Brexit pose la question de la réforme de l’Union européenne, qui se trouve dans une impasse à cause des contraintes très importantes qui portent sur les politiques économiques (budgétaire, monétaire, industrielle, sociale). Il est urgent d’évoluer vers une représentativité démocratique et une coordination accrues.

Les pays européens doivent réussir à alléger progressivement leur dette, en profitant d’un contexte de reprise et de l’inflation pour réduire le ratio dette/PIB.

Aux Etats-Unis et en Europe, les banques centrales doivent réussir à abandonner progressivement les politiques monétaires trop accommodantesSi la Fed a commencé à le faire (le taux de refinancement de la Fed est, en mars 2018, de 1,5%), la BCE maintient son taux de refi à 0%, malgré la reprise et le retour progressif de l’inflation.

– Sur le continent américain, les négociations sur l’ALENA (Etats-Unis, Mexique, Canada) continuent. L’enjeu est bien entendu ici de trouver un compromis en faveur du libre-échange. Mais Trump ne semble pas vouloir se lancer dans une guerre protectionniste, et a même suggéré qu’il avait le sentiment qu’ils allaient « parvenir à un accord sur l’ALENA ». Mais si aucun accord n’est atteint au cours des négociations entre les trois pays, « alors nous allons mettre fin à l’ALENA, et nous allons tout recommencer à zéro, ou nous ferons les choses autrement« . Cela laisse penser que les discussions ne risquent pas d’aboutir à une situation catastrophique.

Les interrogations sur le libre-échange à la suite des mesures de Trump

Le libre-échange et sa régulation par l’OMC sont au coeur des discussions depuis la décision de Trump d’imposer des droits de douane sur les importations d’acier et d’aluminium. Il n’est pas le premier président américain à mettre en place de tels droits de douane. En fait, tous les présidents américains ont mis en place, d’une manière ou d’une autre, des mesures protectionnistes, depuis Jimmy Carter (président de 1977 à 1981), et souvent sur l’acier.

Celles de Trump (taxe de 25% sur les importations d’acier et 10% sur l’aluminium) seront très sûrement sans grandes conséquences sur le commerce international : les importations visées ne représentent que 0,2% du PIB américain (en 2017). Pourtant, le danger demeure dans le risque d’une escalade protectionniste, l’Union européenne ayant déjà préparé des contre-mesures. Ces représailles ne sont pas évidentes, car Trump met ses mesures sur le compte de la « sécurité nationale ». Si elles ne sont pas accordées, et que Trump met effectivement en place ces taxes protectionnistes, cela pourrait aboutir à un conflit de grande ampleur au sein de l’OMC. Trump a néanmoins suggéré que l’abandon de certaines mesures protectionnistes par l’Union européenne lui permettrait d’être exonérée des taxes.

La démondialisation aura-t-elle lieu ?

Plus globalement, la dynamique de la mondialisation économique contemporaine entamée à la fin des années 1950 semble connaître un ralentissement significatif depuis la crise de 2007-2008. Le processus de mondialisation s’affaiblit : les investissements en provenance de l’étranger représentent une part décroissante des investissements locaux ; les activités internationales des banques restent à un niveau élevé, mais sont clairement orientées sur une pente descendante.

D’autre part, la similitude du taux de croissance du commerce international et du taux de croissance du PIB mondial révèle une rupture nette : au cours des quinze années qui avaient précédé la crise (1993-2007), le commerce mondial de biens et services en volume avait crû à un rythme annuel moyen de 7,2%, plus de deux fois plus rapide que celui du PIB mondial en volume (3,1%). Entre 2012 et 2015, en moyenne, le commerce ne croissait plus qu’au rythme de 3,3% l’an, à peine plus vite que le PIB (2,6%).

Pour ce qui est de la finance, on peut également constater un reflux important à la suite de la crise de 2008. Si les flux bancaires internationaux avaient atteint 35 000 milliards de dollars avant la crise, il stagnent aujourd’hui et depuis la crise autour de 25 000 milliards de dollars, avec une tendance légèrement descendante…

Pourtant, il faut relativiser ce constat.

Pour ce qui est du commerce international, le ralentissement constaté est spectaculaire, mais la théorie économique ne prévoit pas que les échanges commerciaux doivent croître plus rapidement que le revenu. En ce sens, la similarité des taux de croissance du commerce mondial et du PIB est avant tout un retour à la normale après une période d’expansion exceptionnelle, située dans un contexte particulier (innovations technologiques, ouverture de la Chine et des pays ex-membres du bloc soviétique, amélioration et stabilité des relations internationales, création d’institutions pour promouvoir le libre-échange [GATT puis OMC], stabilité monétaire [Bretton-Woods], envolée des IDE…). Pour Sebastien Jean (2017), ce retour à la normale tient d’une part aux mutations de l’économie chinoise (cf. supra), et d’autre part au ralentissement de la fragmentation des processus productifs (ce dernier point explique la moitié du ralentissement constaté selon l’OCDE).

Dans cette perspective, une démondialisation semble improbable : les facteurs techniques et les institutions sont déjà là. Les flux d’informations ne cesseront pas, tant les populations y sont attachées, ce qui est en soi un facteur en faveur du commerce international. Les IDE ne peuvent non plus refluer à court terme. Ce qui semble probable, à l’inverse, c’est une nouvelle mondialisation. La mondialisation semble donc plutôt se diriger vers une nouvelle identité du capitalisme, pas moins internationalisé, mais internationalisé différemment.

Avec les problématiques que soulèvent les idées altermondialistes, fondées sur les limites d’une mondialisation dérégulée, ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs, une nouvelle régulation internationale se révèle nécessaire et amènera sûrement de profonds changement dans la mondialisation (commerce international plus éthique, régulation de la finance, prise en compte de l’environnement, …), sans pour autant l’inverser.

Les pays abordent ces enjeux différemment. Les Etats-Unis sont séduits par la tentation du repli, faisant des déficits commerciaux la cause des principaux problèmes économiques. Les Européens continuent à défendre le libre-échange, mais dans un cadre régulé, en cohérence par exemple avec leurs ambitions, en termes de protection de l’environnement par exemple. La Chine occupe une position paradoxale : elle est attachée au commerce international lorsque cela lui est favorable, mais préfère ici profiter de l’augmentation de ses exportations sans réellement ouvrir son marché en retour. Son ambition économique la pousse à vouloir organiser la mondialisation à sa façon. Dans cette optique, l’initiative dite des « routes de la soie » tient une importance centrale. Son ambition inouïe (4000 milliards de dollars d’investissements sont évoqués à terme), son horizon long, sa focalisation sur les infrastructures plutôt que les règles (le hardware plutôt que le software de la mondialisation) en font un projet potentiellement structurant pour les relations économiques internationales des années à venir.

source: Courrier International / Thierry Gauthé

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