Principaux entrepreneurs et entreprises de la révolution industrielle

Cet article a vocation à vous donner des illustrations originales sur des sujets sur l’entreprise, l’organisation, ou sur l’entrepreneur, thèmes qui ne sont pas tombés depuis longtemps aux concours. 

Alfred Krupp et la Ruhr 

Les débuts de la Kruppsche Gussstahlfabrik

Alfred Krupp (1812-1887) est un inventeur et un sidérurgiste prussien, qui fit de la Kruppsche Gussstahlfabrik l’une des premières entreprises d’Europe. Krupp est un symbole de l’histoire de la révolution industrielle dans la Ruhr. Venant d’une famille de marchands, son père, Friedrich, fonde une modeste usine de production d’acier fondu. Friedrich Krupp parvient certes à percer le secret du moulage d’acier anglais dès 1819 au prix d’expériences très chères et laborieuses, mais meurt à l’aube des 14 ans d’Alfred.

De nombreux problèmes s’accumulent : difficulté du transfert technologique, manque de main d’œuvre qualifiée. Ainsi, si pendant quelques années, l’entreprise vivote avec quelques employés, ce n’est qu’autour des années 1830 avec l’expansion des chemins de fer que l’affaire prospère. L’acier, nécessaire pour fabriquer rails et essieux, connait une explosion de la demande. Et l’ouverture du Zollverein accélère le processus de telle sorte, qu’en 1836, l’usine compte une soixantaine de salariés. Mais cela ne suffit pas, Alfred Krupp se met alors à voyager partout en Europe afin de trouver de nouveaux clients, notamment en Grande-Bretagne pour s’inspirer de leur méthode de production. Il diversifie sa production, s’étalant de la fabrication des couverts à la constitution d’armes.

Fort de ses innovations en matière d’artillerie, le gouvernement prussien se met à lui confier la production d’armes en 1849. L’activité explose alors, on compte 700 ouvriers en 1855 et 8 100 en 1865, date à laquelle elle fournit la moitié de la production d’acier prussienne. On compte à cette époque également dans les usines 400 fours et creusets, 280 tours, 160 machines à vapeur…  

Le développement de l’entreprise

Petit à petit, l’entreprise Krupp s’impose comme la première d’Europe. Essen, surnommée Kruppstadt, gagne 10 000 habitants en vingt ans. Toutefois, Krupp est toujours au bord de la banqueroute. Il éprouve une réelle difficulté à emprunter, malgré l’abondance de capitaux sur place. En effet, les marchands et les banquiers étaient peu disposés à investir dans des entreprises dont les chances de développement paraissent limitées, c’est un mode de financement de type ancien (réseaux de parents et amis). Et la crise de surproduction de l’industrie lourde allemande a failli entraîner sa chute. Si bien qu’en 1874, il doit emprunter aux banques 30 millions de Mark or, qu’il parvient à rembourser très rapidement grâce à l’explosion du marché du chemin de fer aux États-Unis. Grâce à cette manne, la concentration horizontale est de plus en plus poussée : Alfred Krupp achète des mines de fer et de charbon pour former un conglomérat qui emploie 45 000 personnes à sa mort en 1887.

L’effort technologique de Krupp

Toujours à la pointe de l’innovation, Krupp tente de vendre ses nouvelles armes en acier dans les années 30. Mais l’armée prussienne, sans doute trop conservatrice, n’ose pas prendre commande de celles-ci, pensant qu’elles sont aussi fragiles que de la fonte. Toutefois, cela ne l’arrête pas dans sa recherche de nouveauté, en 1857, il met en place sa propre version de canon à chargement de culasse. Et c’est, enfin, la présentation à l’Exposition Universelle de Paris de 1857 d’un canon de 50 tonnes qui fait sensation et toute sa renommée. À la pointe technologique, dès 1862, il est le premier à employer le convertisseur Bessemer, et en 1869, il installe les fours Siemens-Martin, qui lui permettent d’accentuer sa suprématie sur le marché de l’acier. 

Que retenir ? 

  • Diversification de la production dans le domaine de l’acier : couverts, roux et essieux de trains à vapeur, armes, toujours à la pointe de la technologie. 
  • Réussite notamment grâce à l’ouverture de nouveaux marchés (boom dans les chemins de fer en Allemagne puis aux États-Unis) et l’abaissement des droits de douane (Zollverein). 
  • Difficulté de Krupp : la difficulté du transfert de technologie, le manque de main d’œuvre qualifiée, le manque d’argent (malgré l’abondance de capitaux dans la région)

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Eugène Schneider et Le Creusot

Eugène Schneider (à prononcer Schnedr [ ʃnɛdʁ] 😉 ) (1805-1875) est un industriel et homme politique français. Avec son frère Adolphe, il fonde la dynastie des maîtres de forges du Creusot.

La Genèse du Creusot

Si le Creusot eût une reconnaissance internationale grâce à Eugène Schneider, d’autres figures ont contribué avant lui de faire de ce hameau une place forte de la fonte à coke. L’un des premiers pères fondateurs est l’industriel William Wilkinson qui chercha en 1782 à trouver un site pour établir une usine de fonte en vue de construire des canons pour la marine. Il y établit des hauts fourneaux à coke, ce qui fut une première en France. L’entreprise fut une véritable réussite technique, quoique fragile financièrement. 

Elle fut en effet touchée de plein fouet par le krach de la Bourse de 1788, qui la mit en faillite. Les promoteurs avaient également vu très grand, ce qui n’arrangeait pas la solidité de l’entreprise : 4 hauts fourneaux de 13 m de haut, 4 fours, cinq machines à vapeur, tout un réseau de chemin de fer et 1 500 ouvriers sur place. Tout cela contribua à rendre la fonte trop chère, 27 FF le kilo contre 18 ailleurs, de sorte que seul un des quatre fourneaux était allumé. Si bien qu’en 1812, on ne compte plus que 230 salariés. 

L’arrivée d’Eugène Schneider

Après quelques rachats successifs malheureux d’industriels étrangers, le Creusot est racheté en 1836 par Adolphe et Eugène Schneider ainsi que la banque Seillière dont ils étaient employés. S’ils avaient déjà été chargés dans le passé de remettre à flot certaines entreprises comme une filature de laine, ou la forge de Bazeilles, jamais ils n’ont dirigé une entreprise aussi grande. La conjoncture est très bonne pour Eugène. L’entreprise bénéficie en effet du boom des chemins de fer, des bateaux en fer, des charpentes métalliques…

Grâce à la solide assise financière de la banque Seillière et son influence politique (Maire du Creusot, président de l’Assemblée Nationale, régent de la Banque de France), il développe l’entreprise. Il crée une ligne de chemin de fer entre Chagny et Nevers, ouvrant l’usine sur toute la France et la Méditerranée. En 1870, il produit plus de 100 locomotives par an, 130 000 tonnes de fonte et autant en fer et compte près de 15 500 ouvriers en 1875.  

Une entreprise à la pointe de la technologie

En 1875, est installé l’un des symboles de la ville du Creusot : le marteau-pilon. Le marteau pilon sert à forger des pièces de métal. Il est constitué d’un réservoir d’eau que l’on fait chauffer. La vapeur obtenue est dirigée vers un piston qui soulève le marteau. Lorsqu’on fait s’échapper la vapeur, le marteau frappe, pilonne la pièce de métal. Celui-ci est doté d’un marteau de 100 tonnes, si bien que lorsqu’il est en action, on entend le choc sur la pièce à 10 km à la ronde. Seules les plus grandes forges en possédaient, et il fut pendant 16 l’engin de ce type le plus puissant au monde. Des convertisseurs Bessemer sont également installés pour produire de l’acier à la même époque. Cela lui permet de se tourner, tout comme Krupp, à la fabrication de canons en acier. 

Le Creusot, une illustration du paternalisme

Enfin, Eugène Schneider peut être considéré comme l’archétype de l’industriel paternaliste qui a révolutionné le monde du travail. En plus d’être patron de l’entreprise, il est également maire du Creusot, ce qui lui donne une très grande emprise sur le territoire et ses ouvriers. Il développe en cela une vraie ville et gère toute la vie courante de ses habitants et ouvriers afin de les fixer sur place et d’obtenir la paix sociale. Les ouvriers habitent en location dans les cités Schneider, puis comme propriétaires dans des petites maisons individuelles avec jardin construites à crédit. La présence d’un jardin n’est pas due au hasard, pour lui, il s’agit de conserver un lien avec la terre pour des ouvriers qui viennent souvent du monde rural tout en éloignant les ouvriers des bars.

Les enfants sont élevés dans l’école communale fondée par Schneider, se font soigner gratuitement à l’hôpital Schneider, épargnent à une caisse d’épargne locale, et donnent 2,5% de leurs salaires pour une caisse de prévoyance. Bref, sous un système social qui est mis en place pour les biens des ouvriers, de telle sorte que la ville ne possède ni cours de justice, ni gendarmerie. Mais, l’omnipotence de Schneider a un coût, le droit de grève n’est pas assumé. En 1850 et en 1870 les grèves sont sévèrement réprimées, les ouvriers sont licenciés et Schneider impose son influence pour que les usines voisines ne les embauchent pas. 

Ainsi, après Eugène Schneider, c’est une véritable dynastie qui s’installe jusqu’en 1960 autour de l’usine du Creusot. 

Que retenir ?

  • Encore une fois, on peut souligner le rôle des échanges de procédés technologiques dans le développement de la France, avec ici Wilkinson qui transmet la technique de fonte à la coke, alors inconnu encore sur le territoire français. 
  • Schneider bénéficie en très grande partie de la conjoncture économique contrairement à ses prédécesseurs, mais a surtout su bien prévoir ces conjonctures. 
  • Le paternalisme d’Eugène Schneider permet de développer l’entreprise et de fixer les ouvriers sur place. Une vraie cité est construite avec toutes les infrastructures nécessaires pour la bonne cohésion sociale, et les ouvriers sont choyés, beaucoup mieux traités que n’importe quels autres, malgré les fortes répressions des grèves. 

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Oberkampf et Jouy 

L’installation d’Oberkampf à Jouy

Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815) vient d’une famille de teinturiers wurtembergeois. Si au départ il apprit le métier d’indienneur de son géniteur, rapidement, il se sépara de son père pour raison d’incompatibilité de caractères et entra comme coloriste dans l’atelier de l’imprimeur de toiles Cottin à Paris. Suite aux nouvelles lois libérant l’impression de toiles, il s’établit en 1760 avec quelques associés à Jouy dont les eaux abondantes et claires étaient indispensables à l’impression des toiles de coton en question. La ville était également suffisamment éloignée de l’agitation ouvrière du centre de Paris, sans trop l’être des fournisseurs et marchands de la capitale. 

L’avance technologique : une stratégie payante pour Oberkampf

L’activité est florissante, les salaires doublent jusqu’en 1770. Si le succès peut-être appréhendé par le dynamisme de la demande d’indiennes, il s’explique surtout par l’acquisition de technologies plus avancées grâce aux relations germaines d’Oberkampf. Il importa, en effet, le savoir-faire étranger : les teinturiers, les dessinateurs et les imprimeurs venaient de Suisse et formaient la main d’œuvre locale. Il fit également évoluer les procédés d’impression : planche de bois pendant les dix premières années, puis planche de cuivre et enfin rouleau de cuivre gravé en creux, ce qui assure une plus grande rapidité d’impression. Et enfin, il obtint de son paternel des recettes de teinture jusque là inconnues ou mal maîtrisées en France. Une des originalités d’Oberkampf fut également de se spécialiser dans le haut de gamme alors que l’indienne était un tissu destiné à être consommé massivement. 

L’âge d’or et la chute de Jouy

Au départ la croissance est relativement lente, la croissance du nombre de pièces vendues entre 1770 et 1792 s’établit annuellement autour de 0,8% en moyenne. En revanche, le chiffre d’affaire et le bénéfice augmentent de plus en plus vite, assurant par conséquent des taux de profit autour de 30% en moyenne par rapport au capital initial constitué en 1769. Ces bénéfices étaient réinvestis dans la construction de nouveaux bâtiments pour augmenter l’offre de ses produits, mais aussi par une stratégie de concentration verticale, en cherchant à intégrer vers l’amont la fabrication des fils. Si bien qu’au début des années 1800, la manufacture emploie 1 100 personnes, réparties sur deux établissements : Jouy et Essonnes.

Toute ces stratégies s’avèrent payantes, ce sont en revanche les guerres napoléoniennes qui mirent à mal la production jovacienne, particulièrement en 1815, lorsque les Prussiens se mirent à occuper le village. 

Que retenir ? 

  • L’importation du savoir-faire étranger sur le sol français. 
  • La stratégie du haut de gamme mis en place par Oberkampf avec de grands efforts en R&D mis en places pour maintenir son avance : recettes de teintures et recherches de nouvelles couleurs, des dessins à la dernière mode avec des artistes connus, innovations dans les procédés d’impression (planche de cuivre)… 
  • La mise en place d’une concentration horizontale avec la fabrication en amont des fils

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