En juillet 2017, de violentes manifestations ont eu lieu à Hambourg à l’occasion du sommet du G20. Les manifestants s’étaient regroupés sous le slogan « solidarité sans frontières au lieu du G20 » afin de dénoncer entre autres le drame de la crise migratoire, les inégalités sociales ou l’inaction face au réchauffement climatique. Las, ces manifestations ont marqué par leur caractère parfois violent. De quoi décrédibiliser le mouvement altermondialiste ?

A l’échelle de l’histoire économique, l’altermondialisme est certainement l’un des concepts qui a eu la vie la plus courte. Popularisé à la fin des années 1990 par les médias, le terme a connu une grande popularité dans les années 2000 jusqu’à devenir de moins en moins utilisé à partir des années 2010. A l’origine on parle surtout « d’antimondialisme » pour traduire l’opposition des militants à la mondialisation débutée dans les années 1980. Les anglo-saxons utilisent encore le terme antiglobalization par exemple. En réalité, l’altermondialisme est un mouvement hétérogène regroupant plusieurs autres groupes de différentes envergures – régionale, nationale voire transnationale – et de différents combats – écologie, allègement de la dette du tiers-monde, anticapitalisme, anarchisme,… Néanmoins, l’altermondialisme se retrouve sur la contestation non pas de la mondialisation comme telle, mais de la mondialisation libérale marchande actuelle, débutée dans les années 1980 et qui se différencie par la financiarisation de l’économie (à l’origine, le terme anglais globalisation renvoie au mouvement financier puis économique). Comment s’est construit le mouvement altermondialiste ? Quels en sont les acteurs ? Que reste-t-il du mouvement aujourd’hui ?

L’émergence de la pensée altermondialiste

Si l’on ne peut parler d’altermondialisme qu’en référence à la mondialisation actuelle, l’aspect pluriel des mouvements qui le composent permet néanmoins de la placer dans une certaine continuité historique. Cette idée a d’ailleurs été soutenue par l’ancien président d’honneur de l’organisation ATTAC Bernard Cassen qui  dans un article paru le 8 octobre 2003 dans le Figaro expliquait que l’altermondialisme pourrait être le mouvement d’émancipation sociale du XXIe, succédant au mouvement communiste puis écologiste.

Les premiers balbutiements de ce qui fera ensuite partie du mouvement altermondialiste peuvent se situer à la fin de la période des Trente Glorieuses. A l’époque deux dynamiques différentes se jouent. Dans les pays développés (les PDEM – Pays Développés à économie de marché), mais surtout quasi exclusivement en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, le fordisme qui était le mode d’organisation et de de développement d’entreprises privilégié depuis le début du XXe siècle entre crise : les marchés occidentaux sont alors saturés. Le chômage commence à réapparaître, accompagné de l’inflation. On pense alors voir le capitalisme atteindre ses limites. C’est à ce moment là qu’émerge la pensée écologiste. Dans le rapport Meadows Limit to growth commandé par le Club de Rome en 1970 au MIT et publié en 1972, les scientifiques exposent la durabilité finie des ressources naturelles et les limites d’une croissance exponentielle et les conséquences néfastes de la pollution engendrée par la croissance. Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 qui aggraveront la crise joueront le rôle de catalyseur pour une prise de conscience généralisée. Le mouvement prendra de l’ampleur en étant par la suite porté par les grandes institutions internationales comme l’ONU tout d’abord avec le rapport Our Common Future (Notre avenir à tous) rédigé par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement présidée par Gro Harlem Brundtland (d’où le nom de « Rapport Brundtland ») à l’occasion de la Conférence de Stockholm en 1987 ; puis avec le premier Sommet de la Terre organisé en 1992 à Rio. Les revendications sociales sont également de plus en plus fortes comme l’illustre le mouvement de 1968 en France (Mai 1968), en Tchécoslovaquie (le « Printemps de Prague ») ou encore au Japon. La nouvelle génération exige plus de justice mais aussi la paix et s’oppose à la logique impérialiste des pays dont elle est issue (les jeunes américains critiquant l’intervention de l’armée au Vietnam, renforcée en 1968).

En revanche, alors que dans les pays du Nord on commence à s’interroger, même dans les courants non socialistes, sur l’avenir du capitalisme, dans ce qui est alors appelé Tiers-monde (selon l’expression consacrée par Alfred Sauvy en 1952) on se tourne de plus en plus vers un modèle capitalistique libéral. Ainsi en Amérique latine le modèle mixte fondé sur la logique de l’ISI (« Industrialisation par substitution aux importations ») et prévalait jusque là est lui aussi en crise. Sans entrer dans le détail, l’ISI s’est révélé inefficace (voire désastreux à part pour le Brésil, l’Argentine et le Mexique) et les pays ont dû continuer d’importer et pour cela ont dû s’endetter. Or la crise aux Etats-Unis se double d’une crise du dollar à partir de 1968 (et qui se terminera par la fin du système de Bretton Woods avec les accords de la Jamaïque en 1976) ; les dettes sud-américaines largement libellées en dollar explosent alors. Pour se sortir de la crise, les pays font alors appel au FMI et à la Banque mondiale qui accepte de les aider à condition qu’ils mettent en place le « Consensus de Washington » (selon l’expression de l’économiste John Williamson) qui implique entre autres la libéralisation du commerce extérieur et la déréglementation des marchés. C’est par exemple le cas du Mexique qui après s’être déclaré en faillite en 1982 devient le « bon élève » sous Miguel de la Madrid et Carlos Alinas adhérant même au GATT en 1986. Dans ce contexte né le mouvement pour l’allègement de la dette du Tiers-monde. En Asie alors que le Japon et les Quatre Dragons asiatiques développe un modèle reposant fortement sur le commerce mondial, la Chine finit par céder et commence à ouvrir son économie sous Deng Xiaoping avec l’ouverture des premières Zones économiques spéciales en 1979 et l’Inde suit au début des années 1990 avec la fin des licences Raj. Enfin, la chute de l’URSS en 1991 finit par parachever l’extension mondiale du capitalisme.

En résumé, entre les années 1970 et le début des années 1990, le capitalisme s’étend à l’ensemble de la planète. Cette réalité est à la fois le fruit d’un besoin des pays du Nord d’internationaliser leur économie pour surmonter la crise du fordisme et de l’échec des politiques mixtes et socialistes. Avec la dérégulation des marchés opérés par les gouvernements anglo-saxons néo-libéraux de Thatcher et Reagan dans les années 1980, on assiste alors au début de la mondialisation. Les années 1990 qualifiées de celles de la « Mondialisation heureuse » (Alain Minc) sont pourtant celles du retour des critiques du capitalisme et donc de nouvelles critiques s’adressant directement à la mondialisation. La révolte du Chiapas est souvent considérée (avec les manifestations de Seattle de 1999) comme la date de naissance du mouvement altermondialiste. Le 1er Janvier 1994, date d’entrée en vigueur de l’accord ALENA entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada, les troupes zapatistes du sous-commandant Marcos s’insurgent contre la mise en place de l’accord qui met en péril les cultures vivrières locales mises en compétition avec les cultures intensives du mid-west amércain. La première critique portée proprement à la mondialisation est donc celle d’un échange inégal qui met en péril les pays du Sud qui s’ajoute à la critique déjà ancienne du capitalisme, au mouvement pour l’allègement de la dette du tiers-monde et au mouvement écologiste.

Histoire complète de l’altermondialisme (2/3)

Histoire complète de l’altermondialisme (3/3)