Russie

Si tu es en prépa, quelle que soit ta filière, tu auras certainement remarqué que la question de l’URSS est une question centrale en histoire. Dans le contexte actuel, beaucoup y font référence, d’où la nécessité d’avoir des connaissances solides à ce sujet. Voici donc une fiche pour t’éclairer sur la naissance de la Russie soviétique, sujet récurrent à l’écrit comme à l’oral des concours !

Résumé rapide de la révolution socialiste en Russie

L’enjeu de la période de 1917 à 1924 est l’institutionnalisation de la révolution socialiste en Russie. Elle a lieu en trois étapes. D’abord, la prise de pouvoir lors de la révolution d’Octobre 1917. Ensuite, la préservation du pouvoir lors de la guerre civile de 1918-1921. Enfin, la légitimation du pouvoir au moment de la NEP et de la Constitution de 1922.

Nous te présentons cet article sous la forme d’un cours structuré en plusieurs parties. Libre à toi d’en tirer les connaissances dont tu auras besoin !

I. En 1917, Lénine fait face à un problème de légitimité populaire en Russie

A. Le peuple russe est majoritairement opposé à la politique du gouvernement provisoire en 1917

Au lendemain de la révolution de février 1917, la Douma (le Parlement russe) reprend le pouvoir en Russie en formant un gouvernement provisoire. C’est un gouvernement légaliste qui concentre sa politique sur la poursuite de la guerre dans les conditions du traité de Londres de 1915, dans l’attente de l’élection d’une Assemblée constituante qui proclamera la République une fois la guerre gagnée.

La population s’oppose à la politique du gouvernement provisoire. Le peuple est acquis au défensisme révolutionnaire, c’est-à-dire à la défense du pays le temps de négocier avec l’Allemagne une paix sans annexion ni réparation. Le peuple réclame aussi les réformes promises avant février. En conséquence, le peuple manifeste contre la politique du gouvernement du prince Lvov. Il est renversé lors des « journées d’avril », lorsque Milioukov assure aux Alliés que la Russie poursuivra la guerre. Lors des « journées de juillet », le peuple conteste l’absence de réformes. 

B. La Révolution d’Octobre n’est pas non plus une véritable révolution populaire, mais le coup de force du Parti bolchevik

Le Congrès panrusse des Soviets est issu du soviet de Petrograd, rival du gouvernement provisoire. C’est une assemblée révolutionnaire de soviets (comités locaux de soldats, d’ouvriers et de paysans), dominée par les Bolcheviks. Le gouvernement provisoire de Kerenski, après les journées de juillet, interdit le Parti et Lénine est contraint à l’exil. Le Congrès a l’appui populaire puisqu’il prône le défensisme révolutionnaire et la réforme immédiate. Dans ses Thèses d’avril, Lénine dénonce le gouvernement provisoire et met en place son programme : « Tout le pouvoir au soviet », proclamation de la République.

Cette menace vient désolidariser le pouvoir du gouvernement de Kerenski, lequel doit faire appel au Parti bolchevik pour faire face à la tentative de contre-révolution du général Kornilov en septembre. La révolution d’Octobre est un épisode de prise du pouvoir par le Parti bolchevik dans une Russie politiquement désorganisée. Lénine convainc le Parti de s’emparer du pouvoir avant la réunion du Congrès panrusse, c’est-à-dire sans son accord. Le Comité révolutionnaire, formé par la milice bolchevique des « gardes rouges » et mené par Trotski et Lénine, s’empare pacifiquement du pouvoir à Petrograd dans la nuit du 25 octobre 1917.

C. Malgré le vote des décrets d’octobre, les Bolcheviks ne possèdent effectivement pas de légitimité démocratique en 1918

Lénine doit faire face aux oppositions au sein du Congrès qui jugent son coup de force illégal, mais aussi au sein du Parti bolchevik même, où Kamenev et Zinoviev s’opposent à la décision du 25 octobre. Ceci n’empêche pas les Bolcheviks de se constituer en Conseil des commissaires du peuple, gouvernement que Lénine préside dès le 26 octobre. Les décrets d’octobre mettent en application les Thèses d’avril.

Le décret sur la paix appelle une paix sans réparation ni annexion. Le décret sur la Terre réalise l’expropriation des grands propriétaires et la redistribution des terres aux soviets locaux. Enfin, le décret sur les nationalités énonce l’égalité des peuples et leur droit à l’autodétermination. Les mesures sont encore modérées, avec pour effet de resserrer les liens entre le peuple et le pouvoir bolchevik, davantage que d’engager la socialisation du pays. Cependant, aux élections constituantes de 1918, le Parti bolchevik obtient seulement 25 % des sièges. Celui-ci fait alors disperser l’Assemblée et proclame la République socialiste fédérative soviétique de Russie.

II. Les difficultés des Bolcheviks à se maintenir au pouvoir se manifestent dans la guerre civile de 1918 à 1921

A. La guerre civile en Russie : un conflit à trois faces

C’est le conflit des Russes blancs contre les Russes rouges. La guerre civile naît de la protestation du peuple Cosaque de la région du Don, contre le décret de la Terre. En réalité, Kornilov et les autres généraux tsaristes réfugiés au sud du pays l’ont déjà préparé. Les anciens républicains KD du gouvernement provisoire et les socialistes SR qui se détachent du pouvoir bolchevique, se constituant en gouvernement de Samara en 1918. Les « blancs » représentent donc un camp très large, unis dans le seul objectif de renverser le Parti.

C’est également le conflit des Russes contre les nationalités. Le décret sur les nationalités était un décret de principe pour Lénine, qui pensait que la solidarité révolutionnaire l’emporterait sur les séparatismes. Les évènements lui donnent tort car jusqu’au traité de Brest-Litovsk, certains territoires profitent de la guerre civile pour réaliser l’indépendance désirée de longue date. La paix de Versailles, en annulant les conditions de la paix de Brest-Litovsk, crée un contentieux frontalier à l’Ouest, notamment avec la Pologne de Pidulski qui rentre en guerre contre la Russie en 1920.

C’est enfin le conflit des socialistes contre les puissances impérialistes. Dans son œuvre majeure, L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916), Lénine adapte la théorie marxiste au contexte du XXᵉ siècle. Il place alors la lutte non plus entre prolétariat et bourgeoisie, mais entre puissances coloniales impérialistes et territoires colonisés. Le décret sur la paix de 1918, en dénonçant les puissances impérialistes et en appelant à la révolution mondiale, pousse les Anglais, les Français et même les Japonais à intervenir dans la guerre civile russe pour aider les généraux tsaristes. C’est une contre-révolution qui met la jeune Russie soviétique à rude épreuve. 

B. La guerre civile décime l’économie soviétique

Le système de l’autogestion ouvrière sous contrôle du Conseil suprême de l’économie nationale institué avec les décrets d’octobre ne porte pas ses fruits. L’industrie régresse de 80 % sur la période. De même, les résultats du décret sur la Terre sont peu probants. Avec la grande sécheresse de 1921, la production agricole diminue de moitié. Enfin, l’armistice de Brest-Litovsk, signé en 1918, a des conséquences économiques désastreuses en ôtant à la Russie des territoires à haut potentiel énergétique. Brest-Litovsk ôte la Finlande, les pays baltes et la Pologne, et tout le potentiel sidérurgique et minier qui y est lié, à la Russie, et lui impose des réparations de six milliards de marks.

Le pouvoir fait donc face à une crise de confiance. Les paysans refusent d’échanger leur production contre les roubles auxquels le gouvernement donne cours forcé en 1918. Les difficultés économiques du pays provoquent une défiance sociale accentuée par le rationnement perpétré par des milices d’ouvriers armés et de paysans. De plus, la guerre civile isole diplomatiquement la Russie. Les troupes alliées se montrent sensibles à la propagande soviétique et se mutinent (la flotte française à Odessa par exemple). Celles-ci se retirent donc, mais opèrent un isolement géographique, en mettant en place un « cordon sanitaire » autour de la ligne Cruzon en 1920.

C. Le communisme de guerre permet au pouvoir bolchevik de passer l’épreuve de la guerre civile

Le « communisme de guerre » désigne l’ensemble des mesures adoptées par le gouvernement bolchevik pour faire face aux crises de la guerre civile. Pour Martin Malia, il représente plus que cela, car il constitue les bases du futur régime de l’URSS. Le communisme de guerre est effectivement un ensemble de mesures pratiques visant à soutenir la population et l’Armée rouge dans la guerre. Cela passe par une réquisition rigoureuse des productions agricoles, un rationnement plus strict et l’introduction du taylorisme dans les usines.

On assiste également à une vague de nationalisations. Les institutions du futur régime sont définies dans une première constitution soviétique en juillet 1918, où le Parti « dirige, commande et domine tout l’appareil d’État ». Le système électoral favorise le prolétariat urbain. Alors que la répression orchestrée par la Tcheka s’accentue, l’étatisation de l’économie et la prééminence du Parti aboutissent au développement d’une bureaucratie opportuniste, la nomenklatura.

III. La Nouvelle économie politique : concrétisation de l’institutionnalisation de la révolution en 1922 

A. La menace antibolchevique n’a pas tout à fait disparu dans la Russie exsangue de 1921

L’Armée rouge menée par Trotski a écrasé l’Armée blanche en 1921. La victoire du bolchevisme sur ses opposants s’est tout de même soldée par de lourdes pertes humaines et économiques. Le gouvernement fait appel aux Américains, qui répondent avec un programme de livraison de vivres, l’American Relief Administration.

Cependant, la véritable menace pour l’ordre socialiste est le mécontentement populaire grandissant avec le rationnement, l’étatisation de l’économie et surtout, la « commissariocratie », c’est-à-dire l’établissement de la bureaucratie opportuniste contrôlée par le parti. Les tensions éclatent à la révolte de Cronstadt en février 1921. Les marins de la rade de Petrograd se constituent en Commune et réclament la fin du communisme de guerre, le renversement des Bolcheviks et le retour du pouvoir aux soviets. La répression de Trotski est terrible.

B. La NEP est un retour contrôlé au capitalisme qui permet de reconstruire la Russie

Au Xᵉ Congrès du Parti bolchevik en 1922, Lénine annonce la Nouvelle économie politique mettant fin au communisme de guerre. Il désavoue alors sa politique, qu’il décrit comme une aberration imposée par la guerre. Pour Martin Malia, c’est une grande démonstration de mauvaise foi, car Lénine croyait selon lui au communisme de guerre.

En procédant à une vague de privatisations et de libéralisations, la NEP permet de reconstruire le pays entre 1922-1924. Un Code agraire en 1922 met fin aux réquisitions et permet aux paysans de gérer leur exploitation comme une propriété. Dans l’industrie, les petites entreprises sont dénationalisées et les plus grandes temporairement ouvertes aux entrepreneurs privés. La production agricole retrouve son niveau d’avant-guerre.

La NEP n’est qu’un retour partiel au capitalisme. Dans le monde agricole, les exploitations demeurent des fermes d’État (sovkhozes) et des coopératives (kolkhozes) dans le Code agraire, et les parcelles collectivisées reçoivent en priorité machines et engrais. L’État garde la main sur l’industrie concentrée qui assure alors 95 % de la production nationale. L’abandon provisoire de la centralisation de l’économie en glavki facilite en fait la planification prévue par le Gosplan créé en 1921. Elle permet surtout de stabiliser la situation politique du pays. La NEP est essentielle en ce qu’elle permet de réconcilier le peuple et le Parti.

Le Parti s’adonne en même temps à sa première épuration. La libéralisation économique et la détente sociale s’effectuent en fait paradoxalement au prix d’un raidissement politique et idéologique. Laïque depuis les décrets d’octobre, la Russie prend une teinte antireligieuse avec des manifestations sacrilèges (la ligue des Sans-Dieu de Iaroslavski) et une répression du clergé. La NEP est tout de même l’occasion d’un foisonnement intellectuel et artistique avec Chagall, Kandinsky ou Malévitch.

C. La NEP est l’occasion de former l’URSS

Un traité de l’Union, signé fin 1922, donne naissance à l’Union des Républiques socialistes soviétiques, réunissant la République de Russie, l’Ukraine, la Biélorussie et le Caucase. En 1924, la Constitution de l’URSS définit le pays comme une union de nations souveraines et égales en droit. Les Républiques fédérales sont dotées de leur propre constitution, et transmettent leurs prérogatives en termes de politique étrangère, de sécurité, de commerce, de monnaie, de crédit et de finances au pouvoir fédéral du Sovnarkom.

Sur le plan international, un début de reconnaissance se dessine avec le retour du pays au capitalisme. Cela passe par le traité commercial anglo-soviétique de 1921, puis par la Conférence de Gênes en 1922 qui reçoit une délégation soviétique. La normalisation des relations est plus rapide avec l’Allemagne, grâce au traité de Rapallo en 1922. La question des réparations est alors réglée et enclenche une coopération économique et militaire.

C’est la fin de ce premier volet, qui sera utile aux khâgneux en A/L, pour qui le programme d’histoire des concours de la session 2022 porte sur la Russie. Sur un autre sujet, n’hésite pas à consulter notre article sur la Russie de Poutine.