Culture générale HEC

Le sujet : https://major-prepa.com/

La première analyse : /

Remarquons que c’est la première fois qu’un sujet porte sur le verbe et non sur le substantif, et en l’occurrence, ce sont deux verbes qui se suivent : “faire” et “parler”. Ce sujet peut à bien des égards, paraître surprenant au premier abord. C’est un sujet assez difficile qui nécessite de réfléchir de manière plus approfondie aux enjeux qu’il suppose. Ma proposition d’analyse est loin, d’une part, d’être exhaustive, et d’autre part, d’être aussi pertinente que celle que vous avez pu proposer, compte-tenu de votre préparation intense sur ce thème au cours de cette année. Et je m’excuse aussi pour la mise en page un peu crados, je ne manie pas toujours pas convenablement cet art pour l’instant…

Réflexions préalables

  • Je pense que là, il fallait vraiment s’attarder assez longuement sur la définition de ce qu’est “faire parler” : tout l’enjeu se situe autour de cette définition. Nous savons que parler signifie qu’un individu souhaite, par l’intermédiaire de la parole, exprimer ses pensées. Parler est donc avant tout un acte individuel. Donc, si l’on fait parler quelque chose c’est que l’on souhaite lui donner du sens, une signification, qui à première vue, n’est pas celle que l’on lirait spontanément dans un texte. 
  • Ce sujet suppose également que l’acte de faire parler un texte se fait a posteriori. Il y a donc au moins deux acteurs en jeux : celui qui fait parler le texte et celui qui est à l’origine du texte, donc l’auteur. Toutefois, même l’idée qu’il n’y ait que deux acteurs peut être discutable, l’auteur peut-il avoir l’intention de faire parler son propre texte ?
  • Tout cela nous amène à nous interroger sur les moyens que l’on emploie pour faire parler quelque chose : il peut y avoir la mise en scène (musicale, théâtrale, etc.), la traduction, l’exégèse, etc. 
  • Faire parler un texte, si l’on suit les définitions que l’on a apporté entraîne les enjeux suivants :  l’interprétation du texte, voire son explication ; qui le fait parler ? quand ? à quel moment ? ; il y a également des enjeux idéologique derrière une interprétation, puisque l’on choisit subjectivement la manière dont on souhaite faire parler un texte.

Problématique

N’y a-t-il qu’une seule manière de faire parler un texte ?

Plan

  • I. Faire parler un texte, c’est vouloir donner une explication de ce texte, et en ce sens, c’est vouloir prétendre à l’univocité de cette explication

A) La mise en scène théâtrale idéale :

Il existe une pluralité de mise en scène, vous pouvez citer par exemple les multiples mises en scène des pièces de Jean Giono, avec quelques dates… On ne nie pas la multiplicité des mises en scène, ce que l’on veut montrer c’est qu’elles ont toutes pour vocation de présenter une manière idéale de la mise en scène, c’est-à-dire un caractère univoque de celle-ci.

B) De la nécessité de faire parler de manière univoque un texte 

  • Gallilé, Le livre de la nature. Ah ce titre, ça doit évoquer quelques souvenirs à certains. Dans cette partie, on peut apporter quelques élargissement à la notion de texte. En effet, qu’est-ce qu’un texte ? Est-ce simplement une trace écrite ? Dans quelle mesure ce qui n’est pas une trace écrite peut être considéré comme un “texte” ? Un texte c’est un entité qui renvoie à autre chose à partir de lui-même, qui est le signe d’autre chose. D’où l’interprétation, qui consiste à remonter du signe à la chose signifiée.
  • On peut faire une analogie entre l’interprétation d’un texte au sens strict et le déchiffrage de la nature par la science. En réduisant les phénomènes naturels à un petit nombre de lois, le scientifique fait dire à la nature comment elle procède. La loi est l'”expression” du mécanisme naturel. On peut parler de l’expérience scientifique comme d’un interrogatoire adressé à la nature. Ainsi, le scientifique a pour vocation de faire parler la nature de manière univoque : cette parole est une vérité scientifique. 
  • La pratique de l’exégèse a pour vocation de faire sortir du texte brut toute l’ampleur de sa signification. Parfois, un texte ne dit sa signification que sous une forme dérivée. Le procédé d’exégèse consiste alors à retrouver le sens véritable à partir du sens dérivé : par exemple dans l’allégorie. Plusieurs courants religieux sont nés du fait de l’exégèse : ce qui signifie que l’on ne peut s’entendre sur une lecture univoque d’un texte religieux (bien entendu l’exégèse s’applique aussi à des textes qui n’ont pas un caractère sacré), or tout ces courants religieux prétendent à une interprétation univoque du texte.
  • Il y a plusieurs enjeux de taille autour de cette question, c’est ce qu’a, par exemple, tenté de résoudre le penseur Averroes. Dans son fameux texte, Discours décisif, il explique qu’il existe une manière rationnelle d’interpréter un texte religieux (en l’occurrence le Coran). Il montre tout d’abord que le Texte sacrée s’adresse au plus grand nombre, mais ces derniers n’ont pas vocation à faire parler le texte. Cette tâche incombe aux philosophes (qui constituent l’élite, les philosophes aristotéliciens) : eux seuls peuvent faire la démonstration de l’univocité de la manière de faire parler le texte. Il n’y a qu’une seule vérité dans le Texte sacré, c’est pourquoi il n’y a qu’une seule façon de faire parler le texte :

«L’examen par la démonstration n’entraînera nulle contradiction avec les enseignements apportés par le Texte révélé : car la vérité ne peut être contraire à la vérité » Averroès, Discours décisif

C) En retrouvant les causes qu’ont permis à l’auteur d’écrire ce texte, on donne une seule explication de ce texte

Faire parler un texte suppose deux choses : Un texte, et un sujet qui le fait parler. Or l’interprétation peut être déterminée par la perspective du sujet qui interprète, ou il peut permettre de remonter à la perspective du sujet qui l’a écrit, aussi. En cela, dans une perspective nietzschéenneon peut retracer une généalogie du texte, ce qui constitue une manière de faire parler le texte, et une manière univoque. Pour Nietzsche, faire parler un texte revient à retracer la généalogie psychique de l’auteur, c’est-à-dire, chercher les causes psychologiques qui ont mené l’auteur à écrire ce texte.

Chez Nietzsche, cette généalogie s’adresse plus spécifiquement aux philosophes. Nietzsche, en lisant les écrits des philosophes, tâche de pister les instincts cachés qui les ont mené à soutenir leurs thèses. Ainsi, il souhaite grâce à cette méthodologie faire parler le texte : en retrouvant ces instincts, on peut pratiquer une explication du texte univoque d’après lui. 

  • II. Faire parler un texte c’est donner une interprétation, subjective, de ce dernier ; il existe donc plusieurs manières de faire parler un texte

A) La traduction

Traduction : restituer dans une langue qui “ne nous parle pas” un texte dans une langue qui “nous parle”. On peut montrer ici qu’une traduction peut être différente d’une autre sans être incorrecte. Il n’y a donc pas de manière univoque de faire parler un texte étranger.

On pourrait même consacrer une petite partie à la manière dont on fait parler un texte poétique dans une autre langue : sommes-nous capable de traduire un tel texte sans contrevenir, d’une part au sens voulu par l’auteur, mais également, à la forme sonore du texte ? Il serait donc bienvenue dans cette partie de développer vos connaissances acquises sur les différentes figures de style, le rythme et la musicalité en poésie. La difficulté à traduire un texte poétique dans une langue étrangère suppose alors une multitude d’interprétation possibles, sans que celles-ci se contredise, ni qu’elles prétendent à une univocité.

B) Faire parler un texte, par l’exégèse, peut comporter un biais idéologique dans l’interprétation

Dans cette partie, vous pouvez établir une analogie avec l’expression “faire parler quelqu’un”. En effet, la conduite de ceux qui pratique l’exégèse avec le texte ressemble de peu ou prou à celle que l’on a avec un criminel au cours d’un interrogatoire : le texte brut en dit trop peu, et on l’interroge pour le “faire parler”. On peut donc faire une analogie entre les procédés employés pour faire parler un criminel, et les procédés exégétiques. Ce qui donne lieu à une variété d’analogies : si on “fait violence” à un texte, il dira quelque chose d’autre que ce qu’il veut vraiment dire.

On peut citer de nombreux textes que l’on fait parler dans le sens idéologique souhaité, je vous laisse en trouver par vous même aisément.

  • III. Faire parler un texte c’est donner vie à un texte par l’oral

A) Faire parler un texte, c’est lui donner vie à travers un support oral

La mise en chanson de poème, la mise en scène en général : l’oral redonne vie au texte, en lui donnant une certaine actualité. Je pense par exemple au travail qu’a fourni Ferrat pour faire parler les poèmes d’Aragon. Deux albums sont dédiés à ce poète, et ont permis de rendre populaire toute une oeuvre réservé à une élite littéraire. 

B) En littérature, le texte peut parler de lui-même , l’art de transposer la parole à l’écrit de Céline : le style oral en littérature

On peut l’art de “faire parler” un texte qui reste pourtant du simple texte : ce qui est le cas de Céline par exemple. Dans une des trois grandes interviews qu’il donne, il affirme que Socrate a raison de condamner l’écrit parce que la vraie vie de la parole est l’oral. Et Céline quelque chose comme : “moi je suis plus fort que Socrate, j’ai fait vivre la parole dans l’écrit même”. Céline est connu pour être celui qui a pour la première fois fait entrer le parler dans l’écrit : c’est tout l’art célinien, à travers l’argot dans ses différentes oeuvres, pour n’en citer qu’une : Mort à crédit (1936). 

Si ce tour de force a été réussi par Céline, il faut toutefois nuancer en disant que faire vivre un texte en l’oralisant, ce n’est pas simplement écrire comme on parle. C’est employer des procédés stylistiques propres à l’écrit, mais qui permettent de simuler l’oralité. Céline allie avec génie le passage du langage argotique au langage soutenu par exemple, et il conserve une fluidité entre ces deux registres.