Les capitalismes à l'épreuve de la pandémie (Boyer, 2020)

Cet article, véritable support de cours, vise à rendre prêt à l’usage en dissertation ou à l’oral l’ouvrage de Robert Boyer, théoricien de l’École de la régulation. Rappelons que la mobilisation de références récentes (2020) donne du crédit à ta copie, permet de te différencier des autres candidats et montre que tu as approfondi ton cours. Je n’hésiterai pas à citer longuement l’auteur lorsqu’il est inutile de le reformuler et pour que tu t’appropries un vocabulaire économique approprié à l’épreuve dissertative. Le but est aussi que tu prennes du plaisir à lire certains passages.

Cet ouvrage recouvre une grande partie du programme d’ESH et permet de traiter des sujets très transversaux, notamment sur les crises, la finance, le capitalisme, la croissance ou bien le développement. Je pense par exemple à « Sorties de crise » (HEC 2011), « Le capitalisme est-il soutenable ? » (HEC 2020), « Institutions et développement » (HEC 2015), « La désindustrialisation : une fatalité ? La réindustrialisation : une utopie ? » (ESSEC 2021) ou encore au sujet d’oral de l’ESCP en 2015 : « Les crises économiques ne sont-elles qu’un recommencement ? ». Cette référence peut très largement faire une sous-partie du III) d’une dissertation, voire carrément constituer l’ensemble de la partie.

L’idée est que tu te constitues une petite fiche de cet article, que tu pioches les idées qui te plaisent ou que tu le lises simplement pour le plaisir.

Thèse de Boyer et retour sur la théorie de la régulation

Dans Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie (2020), Boyer avance l’impossibilité d’un quelconque retour au régime socioéconomique précédent sur lequel se fonde le capitalisme financiarisé. Se dessine alors la silencieuse affirmation d’un mode de développement « anthropogénétique » – fondé sur la santé, l’éducation et la culture –, ce qui n’est pas sans soulever la question du caractère plausible et durable de ce régime. Mais l’affirmation du modèle anthropogénétique est menacée par le renforcement de deux formes de capitalisme : celui de plateforme et celui d’État.

D’après Boyer (Les institutions dans la théorie de la régulation, 2003), ce sont cinq formes institutionnelles qui constituent le mode de régulation sur lequel le capitalisme se fonde : la forme et le régime monétaire (« modalité que revêt le rapport social fondamental qui institue les sujets marchands »), la forme du rapport salarial (« configuration du rapport capital/travail », de l’organisation du travail…), les formes de la concurrence (« mécanismes concurrentiels »), la forme d’adhésion au régime international (« relations internationales entre l’État-nation et le reste du monde ») et enfin les formes de l’État (« ensembles de compromis institutionnalisés qui créent des règles et des régularités dans l’évolution des dépenses et recettes publiques »).

« La théorie de la régulation s’attache à expliciter la forme des rapports sociaux fondamentaux – à savoir, le rapport salarial et les formes de la concurrence – qui permettent l’émergence puis la viabilité d’un régime d’accumulation, au sein duquel les déséquilibres et les contradictions propres à ce mode de production sont provisoirement contenus avant de déboucher sur une crise structurelle dont la forme précise diffère de période en période, car les régimes d’accumulation se suivent mais ne se ressemblent pas. » (Boyer, Les institutions dans la théorie de la régulation, 2003).

Ainsi, comme l’affirme alors Boyer : « Chaque régime d’accumulation et mode de régulation finissent par buter sur une crise structurelle ». Ces crises structurelles sont habituellement surmontées par la « recomposition de formes institutionnelles » afin qu’elles puissent réduire les déséquilibres antérieurs et répondre aux conflits sociaux et politiques que ces déséquilibres ont suscités. Or, et c’est là toute la spécificité de la thèse de Boyer (Les Capitalismes à l’épreuve de la pandémie, 2020), la crise du coronavirus a bien mené à une entrée en crise du mode de régulation sur lequel se fonde le capitalisme financiarisé, cette crise entraînant une recomposition des formes institutionnelles et instituant alors un nouveau mode de régulation.

Une crise structurelle qui rend impossible tout retour à la situation antérieure

Les crises ne sauraient être qu’un recommencement et il existe une variété de crises, comme le rappelle Boyer : « Chaque société connaît les crises de sa structure. Dans les économies dominées par les rapports capitalistes, les crises se succèdent mais se répètent rarement à l’identique, car elles résultent d’articulations toujours renouvelées de processus sociaux, politiques, économiques et, finalement, financiers. »

« En 2020, cette situation n’était la répétition d’aucune des grandes crises du passé. » Car rappelons que selon Boyer, « dans le capitalisme, les crises économiques et financières se répètent mais ne se ressemblent pas ».

La crise du coronavirus mènera nécessairement à l’émergence d’un nouveau mode de développement : « S’il se confirme, comme c’est hautement probable, qu’il s’agit d’une pandémie majeure, l’histoire montre que ses conséquences ont toutes les chances d’être durables, interdisant tout retour au régime de croissance antérieur. »

La notion de « hiérarchie entre formes institutionnelles » est essentielle pour comprendre le caractère original de cette crise : « La nouveauté radicale du coronavirus a été de bousculer la domination de la finance sur l’économie, de l’économie sur la politique, de la politique sur les choix de santé publique et – ce n’est pas sans importance – de l’égoïsme national par rapport à la constitution de biens publics mondiaux. »

« L’année 2020 a marqué l’entrée dans une grande crise, non pas seulement du fait des pertes économiques en termes de PIB et de paupérisation de certaines fractions de la société, mais aussi et surtout de l’arrivée aux limites de régimes socioéconomiques incapables d’assurer les conditions de leur reproduction à long terme. »

Un petit détour par l’histoire…

Au cours de l’histoire, les plus graves épidémies ont eu la propriété d’affecter la trajectoire de long terme des économies. Comme le rappelle Boyer : « En première approximation, la mortalité peut atteindre un tel niveau qu’apparaît une pénurie durable de main-d’œuvre, qui fait basculer le pouvoir de négociation des propriétaires vers ceux qui cultivent la terre, de l’homme aux écus vers le travailleur ou l’artisan. »

« Une recherche suscitée par le coronavirus a procédé à une analyse économétrique sur l’ensemble des pandémies qui ont fait plus de 100 000 morts depuis le XIVᵉ siècle jusqu’à nos jours. » (Jordà, Singh et Taylor, Longer-Run Economic Consequences of Pandemics, 2020).

« Il en ressort que l’impact se fait sentir sur près de quatre décennies. Il se confirme que les salariés sortent gagnants de ces grandes épidémies alors que le rendement du capital chute et ne retrouve pas son niveau antérieur même au bout de quarante années. »

« Certaines épidémies ont amorcé un changement de régime socioéconomique »

Comme l’avance Boyer : « Une interprétation de la sortie des régimes féodaux met en avant le rôle du déclin démographique causé par les grandes épidémies dans le progressif basculement du pouvoir au détriment des propriétaires fonciers et en faveur des travailleurs de la terre puis des commerçants. À l’issue d’un long processus, ces nouveaux rapports sociaux se sont cristallisés en un régime économique original : le capitalisme commercial. »

Mais à Boyer de tout de suite nuancer : « Il n’est pas évident que le coronavirus ait ce pouvoir, car les structures sociales sont bien différentes, les modes de régulation des pays riches ne reposent plus sur un mécanisme malthusien ; et, plus encore, le confinement gèle l’activité économique et met en péril tout autant le rendement du capital que l’emploi et le revenu des salariés. Il est donc risqué d’anticiper comment la sortie de la crise sanitaire et économique va modifier les relations entre le capital et le travail. »

 « Et si l’histoire moderne était celle de la silencieuse émergence d’un mode de développement original ? (…) Un régime fondé sur la production de l’humanité par l’humain »

Les discussions contemporaines portent le plus souvent sur les chances et les obstacles à l’émergence d’un régime qui surmonterait les problèmes environnementaux (voir par exemple Aglietta : Et maintenant, quel Green New Deal ? Perspectives pour une écologie politique, 2020). D’autres analyses continuent à miser sur les retombées d’une économie de l’information puis de la connaissance. Or, Robert Boyer dans Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie (2020) anticipe l’émergence de ce que pourrait être un mode de développement « anthropogénétique » fondé sur trois secteurs : la santé, l’éducation et la culture. Comme il l’écrit : « Logiquement, si l’émotion créée par la Covid-19 se révélait durable, la pandémie pourrait marquer une prise de conscience (…) : la recherche du bien-être devrait devenir la pierre angulaire des sociétés. »

Des arguments en faveur de l’émergence d’un tel régime socioéconomique

Selon Boyer, « il importe de revisiter d’abord l’histoire longue américaine, car les États-Unis demeurent le pays qui continue à explorer la frontière technologique non seulement en matière de biens et de services, y compris financiers, mais aussi d’innovation médicale ».

« Il n’est pas surprenant de constater que tant l’agriculture que l’extraction n’occupent plus qu’une part minime dans l’emploi total de l’économie américaine. Durant les années 1970 et 1980, c’était encore l’industrie manufacturière qui représentait le secteur le plus important, non seulement en termes de volume d’emploi mais encore de dynamique de création et de répartition des gains de productivité. Les deux décennies suivantes ont enregistré l’émergence de l’ensemble constitué par la santé, l’éducation et les loisirs comme premier employeur à l’échelle des États-Unis, selon une progression que la crise ouverte en 2008 ne semble pas avoir freiné. A contrario, cette dernière a marqué l’arrêt de la progression de l’emploi dans la finance et les services aux entreprises. »

À Boyer d’avancer alors qu’un capitalisme dominé par la financiarisation cède silencieusement le pas à un capitalisme « anthropogénétique » : « Il est en tout cas remarquable que les deux grandes réformes de la présidence de Barack Obama aient été une tentative de réglementation de la finance – entravée par la puissance des groupes de pression de Wall Street – et une réorganisation de l’assurance-santé visant à assurer une meilleure couverture pour l’ensemble de la population. Par contraste, la présidence de Donald Trump a cherché à consolider les secteurs traditionnels, industriels ou miniers. On mesure au passage le rôle des alliances politiques dans l’émergence ou au contraire la persistance des régimes socioéconomiques et des modes de développement. »

L’expérience historique du Japon : une version du modèle anthropogénétique

« Le Japon a exploré de longue date une possibilité de mise en œuvre du modèle anthropogénétique. L’espérance de vie des Japonais est significativement supérieure en moyenne à celle des Américains, les dépenses de santé sont inférieures de près de 40 % par rapport à celles des États-Unis, alors même que la proportion de la population âgée est bien supérieure. La part des dépenses publiques consacrées à l’éducation est inférieure, mais l’accès à l’enseignement supérieur est meilleur au Japon qu’aux États-Unis. Et, si l’on en juge par la fréquence des crimes et des homicides, la société nipponne est plus pacifiée que celles des États-Unis. Enfin, les inégalités sont bien inférieures. Seule ombre au tableau, certes importante, le taux de fertilité nippon implique un vieillissement et une réduction de la population. D’un côté, cette évolution dérive très largement de l’inégalité du statut économique entre hommes et femmes et c’est donc l’une des faiblesses de cette version d’un modèle anthropogénétique. Mais d’un autre côté, c’est le point de départ d’une reconfiguration de l’ensemble de la société et de l’économie japonaise. Puisque le retour à une croissance rapide est devenu hors de portée à l’ère du post-coronavirus, pourquoi ne pas tenter d’organiser partout dans cette perspective une économie de la prospérité, centrée sur la recherche de la qualité de la vie ? »

« La pandémie a-t-elle renforcé la probabilité d’établissement de la logique anthropogénétique comme principe de recomposition des sociétés ? »

Selon Boyer : « La pandémie de la Covid-19 a en tout cas brutalement rappelé que les individus et même les civilisations étaient mortels. Cet épisode dramatique a rendu par contraste plus apparente la silencieuse affirmation d’un mode de développement social et économique dont le cœur serait l’éducation, la santé et la culture. (…)

La perspective de ce nouveau mode de développement était déjà présente, mais sa reconnaissance tardait, car il n’avait pas de place dans les représentations, pour ne pas dire les idéologies, qui inspiraient décideurs publics et politiques. Les premiers succès dans la lutte contre le coronavirus suggèrent pourtant que la coordination entre les acteurs est plus efficace que la délégation au marché de la production des biens médicaux. Cette démonstration suffira-t-elle à assurer que le modèle anthropogénétique sera celui du XXIᵉ siècle ? Rien n’est moins sûr, car les sociétés contemporaines sont travaillées par deux grandes tendances qu’il convient de prendre en compte : celle des capitalismes d’État, qui peuvent s’emparer de la santé comme instrument de légitimation ; et celle du capitalisme de plateforme et de surveillance, qui y trouve une remarquable source de profits. »

« Accélération et dialectique du capitalisme transnational de plateforme et des capitalismes d’État »

« Toutes les formes institutionnelles ont été affectées »

NB : Ce passage est essentiel et tu dois pouvoir mettre en évidence en copie la recomposition des formes institutionnelles entraînée par la crise du coronavirus.

Selon Boyer, la crise a durablement affecté l’architecture institutionnelle héritée de la dernière décennie : « L’ organisation du travail et plus généralement le rapport salarial ont subi des transformations considérables durant l’arrêt de la production. L’une des plus spectaculaires est sans doute le bond dans l’usage du télétravail : auparavant limité à quelques entreprises innovatrices et à la hiérarchie salariale, il s’est rapidement diffusé à l’ensemble des tâches qui n’impliquent pas la transformation de la matière ou le face-à-face entre fournisseurs de services et clients. Certaines entreprises ont annoncé que le télétravail pourrait devenir la norme, et la présence dans l’entreprise partielle. Ainsi, l’épisode du coronavirus accentue la division au sein des salariés en fonction de leurs aptitudes à maîtriser les techniques de l’information et de la communication et du type de contrat qui les lie à leur entreprise. »

« Le régime de concurrence a été fortement affecté. D’un côté, les entreprises du numérique prospèrent, car elles soutiennent une part croissante d’une consommation réduite en volume mais redéployée sur les nécessités du moment. De l’autre, les activités en retard dans le commerce électronique et plus encore tous les services traditionnels n’évitent la faillite que grâce aux programmes publics de soutien aux entreprises et salariés. En outre, des secteurs entiers, tels le transport aérien, la construction aéronautique, l’automobile, le tourisme et la restauration, redoutent de ne jamais retrouver leur niveau d’activité antérieur. »

« L’insertion internationale a fait aussi l’objet d’une réévaluation plus ou moins radicale selon les sociétés. La constatation d’une interdépendance aiguë, loin de susciter une coordination internationale, (…) a précipité un mouvement typique de sauve-qui-peut et de chacun pour soi : blocage des exportations nationales des biens liés à la lutte contre la pandémie, surenchère pour acquérir ces mêmes biens, rachats de start-up prometteuses et réciproquement blocages de ces rachats. Le fait que le virus circule à travers la mobilité internationale des individus a justifié une fermeture d’abord sélective puis générale des frontières, même en Europe. Sur ce point encore, le coronavirus a accentué les tendances déjà présentes depuis au moins une décennie : fin du rôle moteur des exportations dans la croissance mondiale, redéploiement des investissements directs, réduction de la diversification internationale des placements financiers, conflits récurrents autour de la protection des droits de propriété intellectuelle. »

« Le retour d’un État massivement interventionniste est alors observé non seulement en Europe, terre traditionnelle de l’économie mixte, mais aussi aux États-Unis, réputés défenseurs du marché comme condition d’efficacité économique. Ce retour avait déjà permis de surmonter, mais avec difficulté, la grande crise financière de 2008, puis celle de l’euro en 2011. En 2020, les interventions mobilisent toute la panoplie des outils de la puissance publique – garantie de crédit, subvention, réduction ou reports d’impôts, transferts sociaux et relâchement complet des limites au refinancement par la Banque centrale – et selon des volumes dont l’unité de compte est devenue la centaine de milliards de dollars ou d’euros. Le coronavirus pousse les feux de ce rôle de l’État qui justifie une impressionnante socialisation des pertes en tant qu’assureur d’une incertitude radicale parce que systémique. »

À Boyer de se demander alors : « Ces changements marquent-ils la consolidation de régimes dont l’émergence n’avait pas été correctement diagnostiquée auparavant ? »

« Capitalisme de plateforme et société de surveillance : une consolidation »

Dans la crise du coronavirus, le capitalisme numérique manifeste toute sa puissance : « Ainsi ressort une nouveauté de la situation. Les grandes crises (1929, 1973) du passé accéléraient la disparition d’un régime socioéconomique structurellement déstabilisé par ses tensions internes. En 2020 au contraire, un choc, essentiellement non économique, fait mûrir un capitalisme de plateforme transnational, bâti sur le rassemblement et le traitement étendu d’une énorme masse d’informations recueillies en temps réel. Le coronavirus serait donc un catalyseur, un accélérateur de transformations inscrites dans le temps long. »

« La maîtrise d’un flux de données en temps réel concernant la mobilité des individus, leurs transactions, leurs préoccupations, leurs fréquentations et leurs orientations (y compris politiques) donne au capitalisme numérique un avantage informationnel sans précédent, comparé à la relative lenteur des appareils statistiques d’État. C’est un handicap tel que les administrations publiques doivent faire appel à ces bases de données privées pour décider de leur politique. C’est tout particulièrement le cas concernant le suivi des victimes du coronavirus : compagnies de téléphonie, Google et Apple ont développé des applications de traçage plus rapidement que ne l’ont fait les autorités sanitaires. »

Se pose alors avec force la question de la soutenabilité idéologique de ce capitalisme de plateforme : « Les citoyens devraient-ils accepter au nom de l’impératif de santé publique une société de surveillance qu’ils redoutaient auparavant ? », s’interroge Boyer.

Ainsi, il convient de nuancer l’optimisme autour de l’affirmation du régime anthropogénétique : « Le mode de développement anthropogénétique peut revêtir la forme d’une société de surveillance, par nature inégalitaire. »

« Les capitalismes à impulsion étatique, réaction à l’ouverture internationale et au projet néolibéral »

« Dès lors, ne pouvant s’imposer sur le marché, d’autant plus que le pouvoir de négociation des syndicats décline à de rares exceptions près, les perdants de la mondialisation et du changement impulsé par les NTIC n’ont qu’un acteur vers lequel se tourner : l’État. Dans la plupart des pays, au moins trois groupes alimentent ces demandes : les travailleurs déclassés qui ont perdu des emplois bien rémunérés, les peu diplômés et particulièrement tous ceux qui dépendent de la couverture sociale pour continuer à bénéficier d’un niveau de vie décent. Ils sont à la base des mouvements dits “populistes” qui sont une réaction à la détérioration du statut économique des moins privilégiés, mouvement que la crise de 2008 a aggravé. »

« Ce sont sans doute les capitalismes à forte impulsion étatique qui sortent les plus confortés de la crise car, face à l’incapacité de l’OMS à la coordonner efficacement, la lutte contre la pandémie s’est déroulée au niveau national sous l’égide des décideurs publics auxquels la population était prête à faire confiance. Ceux des gouvernements qui avaient déjà l’assentiment des citoyens en sortent renforcés, en Allemagne par exemple, alors que la défiance à l’égard des politiques s’est accrue lorsqu’elle est une caractéristique sociétale dans d’autres, tout particulièrement en France. Dans l’un et l’autre cas, l’État en tant que protecteur vis-à-vis des périls qui menacent la nation, y compris les dangers venus d’ailleurs, s’impose, même si les administrations n’ont pas été à la hauteur. »

Le capitalisme d’État s’illustre tout particulièrement en Chine où un État fort et autoritaire fait travailler à son profit les mécanismes de marché. « Le gouvernement chinois a réussi à construire un mode de développement fondé sur trois caractéristiques. D’abord, un compromis implicite échangeant la reconnaissance de l’exclusivité du pouvoir politique du Parti communiste contre la promesse d’une amélioration durable du niveau de vie de la majorité de la population. Ensuite, une décentralisation, sous contrôle de Pékin, des décisions et des initiatives, déléguant aux corporatismes locaux le soin de rendre compatibles objectifs politiques et dynamisme économique. Enfin, une insertion asymétrique dans les chaînes de valeur mondiales, permettant d’acquérir puis de maîtriser les technologies les plus avancées. »

Face à un telle réussite du capitalisme d’État chinois, on ne peut que se rappeler les propos de Fernand Braudel dans La Dynamique du capitalisme (1985) : « Le capitalisme ne triomphe que lorsqu’il s’identifie à l’État, qu’il est l’État. »

« Face à ces deux avenirs, quelles peuvent être les chances d’un biocapitalisme qui mettrait en œuvre le mode de développement anthropogénétique ? »

À Boyer de rappeler : « Cela suppose d’abord que la pandémie se conclue par un changement durable dans la hiérarchie des biens et des objectifs des politiques au profit de l’éducation, la santé et la culture. Cette demande des privilégiés des sociétés riches peut se heurter à la nécessité de lutter en priorité contre la paupérisation de tous ceux dont l’emploi a disparu du fait des changements structurels liés à la crise. »

Conclusion

Si tu apprends cette citation, je pense qu’elle fera son petit effet : « Finalement, la Covid-19 apparaît comme un “fait social total” au sens de Marcel Mauss. Dans son Essai sur le don, il le définit ainsi : “Il met en branle dans certains cas la totalité de la société et des institutions (…) et dans d’autres cas seulement un très grand nombre d’institutions” ».

Voilà, tu pourras donc faire mine d’avoir lu ce livre en dissert ou à l’oral le temps de quelques minutes 😉

Si tu es intéressé par la théorie de la régulation et que tu as envie d’approfondir ce sujet, je t’invite vivement à lire l’excellent article de Michel Aglietta : Capitalisme : les mutations d’un système de pouvoirs (2017).

Cet article est le fruit d’un travail sur deux œuvres de Robert Boyer : l’ouvrage Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie (2020) et l’article Les institutions dans la théorie de la régulation (2003).