Comment concrètement utiliser le modèle de Solow ?

Cet article s’inscrit dans la continuité de celui-ci en te proposant, non pas une explication dense et en profondeur du modèle de Solow, mais plutôt un éclaircissement sur la façon concrète de l’utiliser en dissertation. Le modèle de Solow est abordé en première année dans la cadre du module 2 intitulé Croissance et développement et est un modèle très efficace puisqu’il est utilisable dans de nombreux sujets.

On peut notamment penser à :

  • En vous plaçant dans une perspective historique (depuis le XIXème siècle), vous répondrez à la question suivante : Peut-on affirmer comme Paul Michael Romer en 1986 que « Les taux de croissance semblent être croissants non seulement en fonction du temps mais aussi en fonction du degré de développement ? » (HEC 2018)
  • Le capitalisme est-il soutenable ? (HEC 2020)
  • Toute destruction est-elle créatrice ? (HEC 2021)
  • Un monde sans inflation (ESCP 2021)

Un rapide rappel du fonctionnement du modèle de Solow sans progrès technique

Voici la représentation graphique du modèle théorisé par Robert Solow dans The Quarterly Journal of Economics et paru dans cette revue en 1956.

Rappelons brièvement comment ce modèle fonctionne.

Premièrement, il est impératif de distinguer le modèle sans progrès technique de celui avec. Dans le modèle sans progrès technique, la croissance est bornée par la croissance démographique, un inéluctable état stable guette l’économie. Le modèle de Solow repose sur l’équation fondamentale de l’accumulation du capital, capital qui influe sur la croissance en tant que facteur de production. L’équation est la suivante : k° = sy – (n + δ)k, avec k° la variation du capital par tête, s le taux d’épargne, y le PIB/hab, n le taux de croissance démographique, δ la dépréciation du capital et k le capital par tête. Dans un premier temps, tant que l’épargne par tête « sy » est supérieure à l’effet de dilution « (n + δ)k », l’économie croît. En d’autres termes, les rendements du capital étant encore importants, les investissements réalisés sont performants puisque l’augmentation du capital par tête se traduit par une augmentation de la production, donc du revenu et finalement de l’épargne. Cette épargne permettra à son tour de nourrir les investissements futurs qui permettront les mêmes successions d’évènements garants d’une augmentation de la croissance. C’est la première partie de la courbe entre les abscisses k0 et k*.

A noter que le modèle de Solow est un modèle d’offre, c’est donc l’épargne qui influe sur les investissements et non la demande comme chez Keynes.

Mais à mesure que les investissements sont réalisés, le capital accumulé pour chaque travailleur est de moins en moins performant. L’épargne par habitant contre de mois en moins l’effet de dilution à cause de la loi des rendements factoriels décroissants. Ce faisant, au fur et à mesure que les producteurs augmentent le capital par tête, les rendements qui en découlent sont de moins en moins significatifs : la hausse de la production est plus faible et l’épargne générée également. L’effet de dilution, tiré par la croissance démographique qui diminue le stock de capital par tête et par la dépréciation du capital, l’emporte alors et l’évolution du capital par tête devient négative. C’est la deuxième partie de la courbe entre les abscisses k et k*. In fine, l’évolution du capital par tête k° tend vers 0, au point d’équilibre k* où l’effet de dilution du capital par tête est aussi fort que l’effet d’accroissement du capital par tête.

Il est important de comprendre que dans le modèle on raisonne principalement en termes d’évolution. L’épargne ne diminue pas et les revenus non plus. C’est leur rythme de croissance qui ralentit avec le temps. Concernant le capital, pour le coup, on assiste bel et bien à une diminution de son efficacité à mesure que son nombre augmente (productivité marginale décroissante).

Ici réside l’explication de l’état stable à long terme. En effet, au point d’équilibre k*, l’évolution du capital par tête est nulle, et comme les facteurs de production sont imparfaitement substituables, l’évolution de la production par tête est nulle également. A long terme, on obtient donc un certain niveau de PIB/hab qui ne croît plus. Le rapport Y/L est donc stable, or L croît au taux de croissance démographique n donc la croissance du PIB est égale au taux de croissance démographique.

La nécessité d’un modèle avec progrès technique

Le modèle peut sembler satisfaisant au premier abord mais ne l’est en réalité pas complètement. Un moyen de s’en convaincre est de se ramener aux six faits stylisés de Kaldor. Dans son article « A model of economic growth » paru dans The Economic Journal en 1957, l’économiste britannique met en évidence six faits stylisés parmi lesquels on trouve :

  • Une stabilité de la croissance du PIB par tête à long terme
  • Une stabilité de la croissance du capital par tête à long terme

Ces faits sont basés sur des observations empiriques des caractéristiques de la croissance économique de 1850 à 1950 et ne semblent pas être en accord avec le premier modèle de Solow. En effet, dans celui-ci, la croissance du PIB par habitant et du capital par tête est nulle à long terme.

C’est à ce moment qu’intervient le modèle de Solow avec progrès technique. A court terme, tout se passe de la même façon que dans le modèle sans progrès technique hormis le fait que l’on ne raisonne plus avec du capital et du revenu par tête mais par unité de travail efficace désignées par un petit e en exposant. Par ailleurs, on intègre maintenant le progrès technique (g) à la courbe modélisant l’effet de dilution et on a donc « (n + δ + g)k » avec n la population, δ la dépréciation du capital et g le progrès technique.

Cependant, à long terme, tout change. L’augmentation de la population n’est plus le seul moyen de générer de la croissance : le progrès technique l’est aussi. En effet, il permet de limiter les rendements factoriels décroissants. Alors certes la croissance diminue avec le temps mais elle ne tend pas uniquement vers la croissance démographique à long terme, elle est désormais égale à n + g grâce au progrès technique qui permet de se libérer de la contrainte des rendements décroissants. Grâce à celui-ci, accumuler du capital par tête à long terme reste profitable car cela permet encore une augmentation de la production et donc du revenu et in fine de l’épargne, source d’investissements futurs dans du capital. Cela permet alors de coller avec les observations de Kaldor selon lesquelles la croissance du PIB par habitant et du capital par tête sont stables à long terme et non égales à zéro. Dans le modèle de Solow avec progrès technique, le capital par tête et le PIB par habitant croissent au même taux que le progrès technique (g).

Trois utilisations originales du modèle de Solow

En rappelant le fonctionnement du modèle de Solow, nous avons vu qu’il est possible de le mobiliser sur deux grandes lignes d’arguments :

  • La croissance est un phénomène limité dans le temps, bornée par la croissance démographique comme l’illustre le modèle sans progrès technique. D’ailleurs, une telle ligne d’argument était mobilisable dans le sujet « Un monde sans inflation » (ESCP 2021) pour souligner qu’un tel monde se situe dans le cadre d’un ralentissement inévitable de la croissance vers un état stable à faible croissance.
  • Le progrès technique est source de croissance à long terme et permet de lutter contre l’état stationnaire de la variation de la croissance.

Mais voyons à présent trois autres lignes d’arguments sur lesquelles il est possible de mobiliser le modèle de Solow de façon pertinente en dissertation.

Le modèle de Solow, crises et guerres

L’argument qui va suivre pouvait être pertinent à titre d’exemple dans le sujet « Toute destruction est-elle créatrice ? » (HEC 2021) dans la partie « oui ». L’idée est la suivante : un état de guerre ou encore de crise, par les destructions qu’il occasionne, conduit inévitablement à une réduction de la quantité de capital. Ainsi, à court terme, si l’on reprend la courbe du modèle, on aura tendance à se situer sur la partie gauche du graphique, entre k0 et k*. En d’autres termes, une telle destruction permet paradoxalement un éloignement de l’état stable à court terme. Il est donc possible de mobiliser le modèle de Solow pour mettre en évidence que des destructions à court terme, en diminuant la quantité de capital dans l’économie, sont des sources de croissance et donc de création à plus long terme en retardant les effets des rendements factoriels décroissants et donc de l’état stable à k*.

Un paragraphe type aurait pu prendre cette forme :

Il semble que certaines destructions puissent être créatrices en retardant l’arrivée de l’état stationnaire. L’état stationnaire, cet état de ralentissement et d’arrêt de la croissance à long terme sous l’effet d’un certain nombre de forces conjoncturelles et structurelles, fait l’objet de débats entre économistes depuis plusieurs siècles, on peut notamment penser aux querelles entre Smith, Ricardo et Malthus. D’ailleurs, au sein de ce débat, la question de la possibilité du retardement de l’état stationnaire semble être centrale. Or il se pourrait qu’un processus de destruction puisse retarder son éclatement. En effet, si l’on se fie au modèle de Solow paru en 1957 dans The Quarterly Journal of Economics, la croissance est bornée à long terme par la démographie et le progrès technique sous l’effet des rendements factoriels décroissants qui rendent l’accumulation du capital par tête incapable de générer de la croissance. Ainsi, des destructions, qu’elles soient occasionnées par des guerres ou alors des crises telles que des pandémies, en limitant la quantité de capital dans l’économie, permettraient de limiter les effets des rendements factoriels décroissants. Elles retarderaient ainsi l’arrivée de l’état stationnaire et s’avèreraient même être créatrices à plus court terme, une fois le processus de reconstruction ou de sortie de crise entamé. L’exemple de la crise de la Covid est à ce titre révélateur. Les destructions générées par cette crise ont été nombreuses : chute du PIB de 8,6%, pertes de 360 000 emplois…, d’après l’Insee. Pourtant, en 2021, période de début de sortie de crise, la croissance de la France a été de 7%, du jamais vu depuis des décennies dans un climat de stagnation séculaire endémique (Summers dans « US Economic Prospects: Secular Stagnation, Hysteresis and the Zero Lower Bound » paru en 2014). Ainsi, il semble bien que certaines destructions, en retardant l’arrivée de l’état stationnaire, soient créatrices.

Le modèle de Solow et le rattrapage

L’argument qui va suivre pouvait être pertinent dans le sujet d’ESH d’HEC 2018. La notion de convergence en économie est source de débat. En effet, ce processus de rattrapage des pays en développement vis-à-vis des pays développés est vu par certain comme naturel (convergence absolue) alors qu’il est censé répondre à un certain nombre de conditions structurelles pour d’autres (convergence conditionnelle). Or, le modèle de Solow semble rendre compte d’une possible convergence entre les pays. En effet, étant donné qu’un faible niveau de capital par tête, caractéristique des pays en développement, permet un niveau de croissance supérieur à une situation dans laquelle la quantité de capital par tête est plus forte, il est possible de mobiliser le modèle de Solow pour rendre compte que l’idée de convergence fait sens. Plus précisément, cette convergence serait aussi conditionnelle puisqu’elle dépendrait du taux d’épargne, de la croissance démographique et du progrès technique.

Un paragraphe type aurait pu prendre cette forme :

Il semble que l’idée de convergence et donc de rattrapage entre les pays fasse sens. Ainsi, les pays avec du retard ne resteraient pas englués dans le sous-développement bien longtemps et une porte de sortie serait envisageable pour eux. Paul Bairoch écrivait : « Les pays riches n’ont pas besoin des pays pauvres, ce qui est une mauvaise nouvelle pour les pays pauvres » signifiant par là le destin funeste des pays en retard, voués à demeurer sous la domination des pays développés, sans être capables de se détacher de cette dépendance. Or rien n’est moins sûr. En effet, si l’on se fie au modèle au modèle de Solow parut en 1957 dans The Quarterly Journal of Economics, il semble bien qu’un rattrapage par les pays en retard soit envisageable puisqu’un à niveau faible de capital par tête donné, le sentier de croissance aura tendance à être davantage expansionniste, les rendements par travailleur restant encore forts. Plus précisément, on serait situés sur la partie du graphique où le taux d’épargne l’emporte sur l’effet de dilution et porte ainsi la croissance vers le haut. Le cas chinois est à ce titre éclairant. Alors considéré en 1949 comme « de loin le pays le plus pauvre du monde » pour reprendre les termes de Michel Aglietta et Guo Bai dans La voie chinoise. Capitalisme et empire (2012), la Chine est aujourd’hui la deuxième économie mondiale derrière les États-Unis. La croissance fulgurante de son PIB ces dernières années semble rendre compte d’un réel processus de convergence, celui-ci étant passé de 1000 milliards dans les années 2000 à 15 000 milliards aujourd’hui. Ainsi, il existe bel et bien un processus de rattrapage entre les pays.

Le modèle de Solow et la démographie

Que ce soit dans la version avec ou sans progrès technique, la croissance démographique est à long terme l’un des facteurs, voire l’unique en fonction du modèle, de la croissance économique. Ainsi, le modèle de Solow pourrait justifier le recours à des politiques natalistes.

Un paragraphe type aurait pu prendre cette forme :

La croissance démographique peut être source de croissance économique. Cette idée n’a pas toujours fait consensus puisque déjà en son temps, Ricardo jugeait le principe de population, énoncé par Malthus dans son Essai sur le principe de population paru en 1798, comme responsable de l’état stationnaire. Ce principe stipule que les ressources suivent une croissance arithmétique tandis que la population suit une croissance géométrique. Ainsi, toute augmentation de la population générait une pression à la hausse sur le prix des ressources agricoles due à leur raréfaction résultant des rendements décroissants de le terre (il était nécessaire d’utiliser des terres supplémentaires qui étaient moins fertiles que celles jusqu’alors utilisées). Cela pesait in fine sur le profit des producteurs puisque les salariés étant rémunérés au salaire de subsistance, l’augmentation du prix des ressources agricoles poussait donc les salaires à la hausse. Le profit devenait ainsi trop faible pour investir à travers l’épargne et l’économie entrait à terme dans un état stationnaire. Pour autant, une telle idée a évolué. En s’intéressant au modèle de Solow paru dans The Quarterly Journal of Economics en 1957, la croissance démographique semble bel et bien porteuse de croissance à long terme. Dans le modèle sans progrès technique, elle est la seule à pouvoir générer de la croissance à long terme puisque, l’accroissement du taux d’épargne étant devenu inutile pour augmenter la croissance, la seule solution reste de limiter l’effet des rendements factoriels décroissants en équipant les nouveaux travailleurs en capital. Il en va de même dans le modèle avec progrès technique dans lequel, certes le « résidu » est le principal porteur de la croissance à long terme, mais où la croissance démographique a toujours un rôle à jouer dans la croissance de long terme. Ainsi, la croissance démographique peut se révéler comme source de croissance économique à long terme.

Conclusion

C’est tout pour cet article. J’espère qu’il t’aura été utile et qu’il t’aura permis de te rendre compte d’à quel point le modèle de Solow est facilement mobilisable en dissertation.

Bonne chance pour les concours !