changement

Pour rappel, cet article fait suite au premier du même nom et est basé sur l’ouvrage La dernière chance du capitalisme de Patrick Artus et Marie-Paule Virard.

Cette partie, qui envisage la façon dont le capitalisme moderne peut être réformé, te permettra de nourrir tes troisièmes parties dans lesquelles il est souvent possible de « dépasser » le sujet en pensant justement aux pistes d’évolution et aux réformes possibles.

Partie 2 : La nécessité de réformer le capitalisme en profondeur

Une réforme qui se veut urgente dans la cadre de la crise actuelle…

La recherche du « monde d’après » à Davos

À l’occasion du forum de Davos, qui devait se tenir en 2021 à Singapour pour finalement être reporté en 2022, le thème de la « grande réinitialisation » (Great Reset) devait être abordé. Autrement dit, la nécessité de réformer le système actuel afin de « construire un système économique et social pour un avenir plus juste, plus durable, plus résistant », pour reprendre les mots de Klaus Schwab, était au centre des priorités du Sommet.

Il n’est « pas question de rapiécer l’ancien système condamné par les défis sociaux, écologiques et sanitaires », a ajouté Klaus Schwab dans un contexte où la crise de la Covid a permis de mettre en lumière cette réalité.

 

Le nouveau problème d’un capitalisme plus « sauvage » qu’auparavant

Il semble en effet que la crise a été révélatrice des failles du système actuel. On l’a vu, tandis que des inégalités criantes minaient déjà le système, elles se sont raffermies avec l’arrivée de la crise, rendant par la même occasion le système caduc aux yeux de la majorité de la population. Plus encore, la crise a fait naître une forme de capitalisme d’un nouveau genre, un capitalisme plus « sauvage », rendant la réforme d’autant plus nécessaire.

Comment en rendre compte ? L’idée est simple. Dans un contexte de crise mondiale, avec une chute du PIB mondial de 3,5 %, de 3,4% aux États-Unis, de 6,8 % en zone euro, les entreprises enregistrent nécessairement des profits bien inférieurs à ce à quoi elles étaient habituées. À titre d’exemple, en 2020, les profits des entreprises ont reculé de 25 à 30 % dans l’OCDE et leur endettement a augmenté de l’équivalent d’une année de profit. Résultat : les dirigeants font donc tout pour réduire les coûts et thésauriser afin de disposer d’une trésorerie suffisante en cas d’urgence, tout cela évidemment au détriment de l’investissement et de l’emploi. Ce n’est pas tout. La réduction des trajets avec le développement du télétravail va réduire les coûts immobiliers et mettre une pression à la baisse sur les prix des sous-traitants.

Ainsi, le capitalisme se sauvagise en faisant naître un esprit de prédation. Chacun cherche à s’en sortir comme il peut au détriment du bien-être du plus grand nombre et de l’efficacité globale. Comment penser la réforme dans un tel contexte ?

 

… pour passer d’un capitalisme néolibéral à un capitaliste ordolibéral…

Le principe de l’ordolibéralisme

Nous rentrons ici dans le thème principal de cette partie 2 : quelle réforme concrète pour le système actuel ? L’idée directrice évoquée par Patrick Artus et Marie-Paule Virard est la transition vers l’ordolibéralisme. Un tel système s’inscrit certes dans la continuité du néolibéralisme actuellement à la base du capitalisme moderne, mais considère que les droits de propriété et la liberté contractuelle ne sont pas suffisants dans l’établissement d’une économie de marché libre. En d’autres termes, le marché n’est pas un phénomène naturel. Dès lors, il revient à l’État de jouer un rôle prépondérant dans la recherche d’un tel objectif. « L’État doit consciemment construire les structures, le cadre institutionnel, l’ordre dans lesquels l’économie fonctionne », écrit Walter Eucken, père de l’ordolibéralisme.

L’application concrète d’un tel principe

Un tel système se doit ainsi de combiner la concurrence, le principe de responsabilité (absence d’assurance indue contre la prise de risque), la protection des individus et l’équilibre macroéconomique par l’intermédiaire des politiques monétaires et budgétaires. On parle souvent d’économie sociale de marché (à ne pas confondre avec le socialisme de marché chinois).

Concrètement, la réforme doit passer par l’émergence d’un nouvel « esprit du capitalisme » (Boltanski et Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme, 1999), ce qui est possible puisqu’un tel système est en perpétuelle évolution.

Ainsi, le capitalisme ordolibéral qui naîtrait de la réforme aurait quatre grandes caractéristiques.

  1. Il créerait un environnement favorable à la réduction des inégalités en limitant la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur du capital, en luttant contre une fiscalité créatrice de distorsions ainsi qu’en assurant une protection sociale de qualité pour limiter les inégalités et la pauvreté.
  2. Il permettrait le plein développement des entreprises qui pourraient ainsi innover, développer de nouvelles gammes de produits et lutter contre le réchauffement climatique par le biais de l’innovation.
  3. Il se caractériserait par un État fort avec pour objectif, entre autres, de lutter contre les externalités.
  4. Au sein de l’entreprise, le modèle stakeholder serait privilégié par rapport au modèle shareholder.

… et rétablir une dynamique schumpétérienne

La dynamique de « destruction créatrice »

Joseph Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie, paru en 1942, définit la destruction créatrice comme le processus qui « révolutionne incessamment de l’intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en créant continuellement des éléments neufs ». Pour Schumpeter, un tel principe est à la base même du capitalisme, dont le fonctionnement n’est qu’une oscillation constante entre phase d’expansion, synonyme de création, et phase de récession, signe de destruction.

C’est dans la seconde phase que les entreprises inefficaces ou ayant fait les mauvais choix d’investissement pendant la phase d’expansion font faillite pour laisser place par la suite à une phase de prospérité purgée des éléments inefficaces. Le capitalisme repose donc sur ce mouvement continuel, ce mouvement de « destruction créatrice », et essayer de le contraindre peut s’avérer néfaste.

L’importance de rétablir cette dynamique

Dans leur ouvrage, Patrick Artus et Marie-Paule Virard avancent que limiter la destruction d’emplois notamment dans les secteurs bousculés par la crise comme l’automobile, l’aéronautique, le transport aérien, etc., permettrait certes de maintenir un certain nombre d’entreprises artificiellement en vie et de limiter les pertes d’emplois. Pour autant, à moyen terme, ce choix de rompre avec la dynamique schumpétérienne serait problématique puisque le nombre d’entreprises zombies, fragiles, surendettées, augmenterait et à terme on assisterait à un recul de la productivité, ce qui serait porteur de catastrophes sociales plus douloureuses encore.

Cependant, pour que la dynamique schumpétérienne n’ait pas de conséquences délétères, il est nécessaire que l’État soutienne de façon sérieuse et efficace la requalification des travailleurs des secteurs affaiblis pour que le transfert vers les secteurs plus dynamiques (santé et pharmacie, télécoms, services informatiques…) soit efficace. Ainsi, il s’agira pour l’État de limiter le chômage dû aux problèmes d’appariement (Pissarides et Mortensen, 1999) et de permettre un déplacement de la courbe de Beveridge vers la gauche (Blanchard et Diamond dans The Beveridge Curve paru en 1989). En d’autres termes, pour que de la destruction, qui permet ici de limiter la recrudescence d’entreprises inefficaces maintenues artificiellement en vie, naisse une vraie dynamique de création porteuse de croissance à long terme, l’État doit nécessairement intervenir.

 

Conclusion

Ainsi à la question « Faut-il réformer le capitalisme ? », la réponse est « oui ». Le capitalisme néolibéral théorisé par Milton Friedman a connu de trop nombreuses dérives depuis les années 1970 et a suscité de trop nombreux maux. Le temps de la réforme a donc sonné.

Pour autant, cela ne se fera pas si facilement et de nombreux défis devront être relevés. En témoignent les dires de Patrick Artus et Marie-Paule Virard à la fin de leur ouvrage :

« D’autant que la situation économique et sociale créée par la crise sanitaire complique encore la donne. La Covid ajoute évidemment une contrainte supplémentaire au défi qui nous est collectivement lancé. Peut-on imaginer jouer à fond la carte du capitalisme inclusif, une véritable évolution culturelle, lorsque tout va mal ? Pour autant, il serait suicidaire d’attendre qu’une violente crise sociale éclate ou qu’une des béquilles, la monétarisation des dettes dans laquelle nous nous sommes engagés, craque au point de provoquer une nouvelle crise financière encore plus destructrice que les précédentes. Mais une manière plus douce et ordonnée de réformer notre modèle de croissance est à peine moins semée d’embûches. Elle exigera en tout cas un engagement inédit de tous et de chacun d’entre nous associé à un esprit de responsabilité sans faille. »