Le 5 juin 1883, je suis né à Cambridge. En 1902, je rentre au King’s College à Cambridge et je lance ma propre légende. Petite anecdote, j’ai d’ailleurs raté une épreuve… d’économie, je suis donc la preuve qu’on peut rater une épreuve et devenir une légende dans cette matière, donc mes amis ECE, il ne faut pas pleurer pour ce satané 6/20 au concours blanc.

Haut fonctionnaire du trésor britannique à partir de 1914, je publie un ouvrage en 1919 qui aurait peut-être pu éviter le nazisme en Allemagne.

En 1929, je sors les USA de la crise, je mets Hayek au tapis, et je remets en question ces imbéciles de néo-classiques, un équilibre automatique qui régule le marché ? Pff… foutaises…

En 1936, j’écris l’un des plus grands ouvrages de l’histoire économique qui révolutionne le mode d’intervention politique.

En pour finir en 2008, ces abrutis du New York Times font de moi l’homme de l’année, alors que… je suis mort depuis 62 ans ! Bref, je donne la responsabilité à Thibault d’écrire ma légende et surtout de tacler ce Friedman qui remettait en cause ma parole !

« Les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. »

C’est ce que J.M Keynes disait dans La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936 – chapitre 24). Cette situation est à la fois importante et ironique, importante car elle montre que la théorie économique avait et a une influence décisive sur l’action politique, et ironique car elle vient de Keynes… Il est vrai qu’il est probablement l’économiste qui aura le plus influencé l’histoire de la pensée économique au XXe siècle. Cette théorie, dite « keynésienne », a influencé le monde entre 1919 et les années 1970 avant d’être remise en question par l’ouverture des économies, remettant en cause son fameux « effet multiplicateur», ainsi que son analyse du débat inflation-chômage (RPZ le sujet HEC 2016).

Sa théorie, encore aujourd’hui, est très présente. Nous parlons depuis la crise de 2008 d’un « keynésianisme hydraulique aux USA », qui, petite coïncidence, s’appliquait grâce à un enseignant de la théorie keynésienne, monsieur Ben Bernanke ! Notons d’ailleurs que la nouvelle économie keynésienne, le néokeynésianisme ou bien le post-keynésianisme sont issus de son oeuvre.

En gros, que ça plaise ou non, Keynes a révolutionné l’économie à sa manière ; retour sur les grands faits d’armes d’un économiste légendaire en 5 dates !

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1919 : publication de l’ouvrage Conséquences économiques de la paix par John Maynard Keynes

Dans Les Conséquences économiques de la paix (1919), Keynes met en cause et surtout met en garde les nations par rapport aux réparations de guerre et aux futures représailles. Ces réparations, fixées lors de la conférence de Londres (1921), s’élèvent à 132 milliards de mark-or, payables annuellement, à raison de 2 milliards de marks par an pendant 66 ans. Les exportations étaient également taxées (26% pendant 30 ans). C’est alors à la Banque Centrale (la Reichsbank) de monétiser le déficit, en faisant tourner la planche à billets, ce qui provoquera une hyper inflation. De plus, face à cette inflation galopante, les détenteurs de capitaux anticipent une chute du mark en convertissant les marks en dollars. Cette « fuite devant le mark » débouche sur une crise de change qui se répercute sur les importations et cassera le pays (l’exemple de l’Allemand poussant une brouette de billets pour payer son pain est plutôt parlante…). Keynes prédisait que cela casserait le pays et il avait raison, car l’inflation qui traumatisa le peuple allemand est l’une des raisons qui expliqueront la popularité du nazisme par la suite.

C’est le premier fait d’armes marquant de Keynes, car cet ouvrage qui à l’époque ne fut pas écouté aurait pu éviter la montée du nazisme…

1929 : krach boursier et crise économique, John Maynard Keynes impose sa théorie

Quand éclate la crise de 1929, enfin plutôt le krach financier qui se répercute sur l’économie réelle en crise économique, J.M. Keynes va remettre en cause la théorie néoclassique… rien que ça…

Pour lui, l’équilibre automatique des marchés ne fonctionne pas, il remet en cause Marshall et Pigou. Ainsi, durant cette crise, il va nous apprendre quatre choses :

  • Le chômage est involontaire et résulte d’anticipations pessimistes des entrepreneurs.
  • La monnaie est essentielle dans les ajustements macroéconomiques d’une nation.
  • L’économie se contracte lorsqu’elle rencontre une insuffisance de la demande globale.
  • L’Etat doit alors intervenir via des politiques conjoncturelles (budgétaires et monétaires) afin de relancer l’activité, la demande globale, et rentrer à nouveau dans la croissance, l’exemple historique de cette théorie, c’est le New Deal de Roosevelt en 1933.

Bref, Keynes va changer la manière de réagir en temps de crise, l’Etat doit avoir un rôle pour palier le manque de demande globale (et surtout effective, théorie keynésienne oblige…)

Lire aussi : Les marchés peuvent-ils fonctionner sans l’État ?

1936 : publication de l’ouvrage La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie par John Maynard Keynes

Ouvrage légendaire dans le paysage économique et qui peut se targuer d’avoir révolutionné l’économie… Retour sur les grandes lignes de ce best-seller économique !

Les principales idées :

  • Le chômage résulte de l’insuffisance de la demande effective (anticipée).
  • Nous devons stimuler la demande globale (consommation et investissement à court terme).
  • Le principal levier d’action, c’est la politique budgétaire dont les effets sont fortement corrélés à l’efficacité des multiplicateurs d’investissement et de dépense publique (1 / (1-c) avec c la propension marginale à consommer). Keynes définit cet effet multiplicateur comme étant « un coefficient d’ampleur de la variation de la production à la suite d’une variation soit des dépenses publiques, soit des impôts, soit de l’investissement ».

Alors que les néo-classiques sont favorables à un Etat minimal, Keynes prône l’intervention de l’Etat-Providence sous la forme d’une politique de relance, afin de lutter contre « l’équilibre de sous-emploi ».

1944 : le rôle de John Maynard dans les accords de Bretton-Woods

La signature des accords de Bretton-Woods

La signature des accords de Bretton-Woods (22 juillet 1944) est le résultat de négociations débutées en 1941. En juin 1941, Keynes fut chargé par le Trésor britannique de rédiger un article prévoyant la réforme des relations monétaires après-guerre. En décembre de cette même année, White est chargé par le secrétaire d’Etat au Trésor de penser le système monétaire international d’après-guerre. Le système de Bretton-Woods est la conséquence de la confrontation des deux plans.

Le plan Keynes pendant Bretton-Woods

Le plan Keynes préparait un système monétaire international fondé sur une monnaie supranationale, le bancor, dont la valeur serait exprimée par son poids en or, et à laquelle les monnaies auraient été rattachées. Une des principales motivations du projet bancor était de pacifier les relations économiques entre nations en évitant des déséquilibres importants des balances extérieures. Dans cette monnaie seraient libellés les prêts accordés par une Banque Centrale Mondiale (ICU). Ce point de vue s’explique par la priorité économique de la Grande-Bretagne de l’époque : retrouver la croissance et le plein-emploi. L’idée est donc de favoriser la croissance mondiale par l’octroi généreux de liquidités internationales.

Le plan White pendant Bretton-Woods

Le plan White, lui, met plus l’accent sur la stabilité des taux de change que sur l’octroi de liquidités. Il propose en effet la création d’un Fonds de Stabilisation International avec une souscription à une unité de compte appelée « unitas ».  L’idée d’une Banque Centrale Mondiale rebute les Etats-Unis, qui souhaitent disposer de leur indépendance en matière monétaire et veulent profiter de la position dominante du dollar à l’époque. WHITE propose donc plutôt le rôle de pivot-dollar, avec un rattachement nominal à l’or.

Notons que l’accord de Bretton-Woods reprendra majoritairement les idées de White !

Lire aussi : L’effet multiplicateur keynésien expliqué

Années 1970 : « La seconde mort de Keynes »…

Au tournant des années 1980, on assiste à la « seconde mort de Keynes » (J. Rueff, La fin de l’ère keynésienne, Le Monde, 19, 20, 21 février 1976). L’ouverture des économies va introduire dans le multiplicateur keynésien la propension marginale à importer (m), ce qui remet en question toute la théorie keynésienne, de plus, le débat inflation chômage ne fonctionne plus aux USA. La priorité est désormais donnée à l’éradication de l’inflation. C’est également la remise en cause du fordisme, comme le souligne l’Ecole de la Régulation, à la fois dans le rapport salarial, l’économie d’endettement (les marchés financiers sont libéralisés et on passe de plus en plus par un financement sur les marchés), et la demande de plus en plus segmentée et non plus standardisée.

On constate toutefois que les politiques keynésiennes n’ont pas été abandonnées : si l’Europe adopte les recettes monétaristes, ce n’est pas le cas des Etats-Unis : « les monétaristes n’ont jamais eu le pouvoir aux Etats-Unis, ils n’ont jamais pu quitter les universités » (J.-M. Daniel, Ricardo, reviens ! Ils sont restés keynésiens…, 2012 (au passage, référence très utile car J.-M. Daniel est professeur à l’ESCP Europe, c’est bien de connaître qui sera potentiellement en face de vous le jour J)).

Alors évidement, tout Keynes n’est pas traité, son rapport à la monnaie active et non neutre, sa théorie du taux de change par rapport aux taux d’intérêts (PTI), son débat inflation/chômage, ainsi de suite… Mais ces trois dates peuvent à mon sens expliquer pourquoi Keynes a révolutionné l’économie moderne et qu’il fait aujourd’hui partie des auteurs incontournables de la discipline !

 

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