Ampoule

Prix Nobel d’économie 2014, Jean Tirole est un économiste français influent qui a publié en 2016 son livre Économie du bien commun. Véritable classique pour les élèves qui préparent les épreuves d’ESH, je ne peux que recommander à tout le monde de lire tout de suite ce chef-d’œuvre ! Néanmoins, cet article a pour but de récapituler quelques idées novatrices que Jean Tirole évoque dans son livre. Nous omettrons donc volontairement certaines parties du livre qui reprennent directement des éléments du cours pour s’intéresser à des idées singulières, qui peuvent souvent être utilisées dans les fameuses « troisièmes parties » en guise de proposition de résolution de la problématique.

Le défi climatique

Le défi climatique est un sujet d’actualité. Dans son livre, Tirole part des prévisions du GIEC de l’année 2016. Il est important de noter que ces dernières ont évolué. Tu peux lire cet article si tu as besoin de te mettre à jour sur les chiffres et les avancées récentes de la lutte contre le changement climatique ! Pour comprendre l’analyse de Tirole sur la situation climatique, il convient de comprendre que les bénéfices liés à l’atténuation du changement climatique sont globaux et lointains, alors que les coûts de cette atténuation sont locaux et immédiats.

Pour reprendre un exemple cité par Tirole, un pays qui supporte 100 % du coût de ses politiques environnementales, mais qui ne représente que 1 % de la population mondiale, ne bénéficie que de 1 % de ces politiques environnementales ! Par conséquent, de nombreux pays ont des comportements attentistes, ou encore de « passagers clandestins ». De plus, les politiques vertes ont un coût en compétitivité. L’instauration d’une taxe carbone contraignante incite les entreprises à délocaliser leur production là où le prix du carbone est plus faible. Une taxe carbone peut aussi induire une hausse des prix et donc faire perdre des parts de marchés au profit d’entreprises étrangères plus polluantes. On remarque donc que des politiques de l’environnement unilatérales déplacent la production des biens vers les pays les moins responsables et créent une situation sous-optimale.

En partant de ce constat, on peut envisager deux solutions différentes

La première est la création d’un marché de droits d’émission de CO2 négociables. La seconde est une taxe carbone appliquée à l’échelle globale, c’est-à-dire une fixation du prix d’une tonne de CO2 pour tout pays. Tirole mentionne aussi le rapport Quinet, qui estime que le prix d’une tonne de CO2 appliqué à l’échelle globale qui permettrait de se placer sur la trajectoire des recommandations du GIEC est de 100 €. Or, le prix actuel en France par exemple est de 45 €.

Une taxe carbone au niveau mondial permettrait de supprimer l’effet du passager clandestin en obligeant tout le monde à payer la tonne de CO2 au même prix. Mais cela nécessite un système de contrôle international très strict, sinon des États pourraient être volontairement laxistes, en particulier certains PED qui veulent toucher du doigt le mode de vie occidental. Une taxation internationale du carbone serait cependant coûteuse pour les pays les plus démunis et même injuste pour les pays les moins industrialisés qui, eux, n’auront pas l’opportunité de polluer pour se développer, comme l’ont eue les pays occidentaux au XIXᵉ siècle et au XXᵉ siècle.

Afin de laver cette injustice, on pourrait adopter une approche « juste car différenciée », c’est-à-dire un prix du carbone plus élevé pour les pays riches et moins élevé pour les pays pauvres. Cependant un prix élevé dans les pays développés n’aurait qu’un effet limité. Cela ne ferait qu’encourager les délocalisations pour polluer…

Quelle est la solution proposée par Jean Tirole ?

Quels que soient les efforts déployés par les pays développés, l’objectif de contenir à 2 °C le réchauffement climatique ne sera jamais atteint si les pays pauvres et émergents ne contrôlent pas leurs émissions de GES. Cette approche « juste car différenciée » est donc inenvisageable. Afin de tout de même compenser l’injustice, Tirole propose sa solution. Pour combattre le réchauffement climatique, Jean Tirole propose d’instaurer une taxe carbone mondiale, avec un même prix du carbone pour tout le monde, mais avec des transferts d’argent des pays riches vers les pays pauvres afin de les dédommager.

Maintenant que nous avons la solution de Tirole, il reste à savoir comment la mettre en place puisqu’il est plus que probable que certains pays soient réticents à cette idée. Pour contrer cette éventualité, Tirole propose de créer une « coalition pour le climat » avec les pays les plus pollueurs actuellement et à venir, c’est-à-dire les pays développés et les BRICS. Au sein de cette coalition, les membres s’engageraient à payer le même prix pour chaque tonne de carbone émise. Tirole précise que dans un premier temps, la coalition n’essayerait pas d’intégrer nécessairement les autres pays, mais ils y seraient incités. À plus long terme, les pays membres auraient, selon Tirole, vocation à utiliser l’OMC pour imposer aux pays refusant d’entrer dans la coalition une taxe aux frontières pour dumping environnemental !

Voici donc une belle solution proposée par Tirole pour combattre le réchauffement climatique. À terme, cette solution nécessite la coopération de tous les pays du monde. Néanmoins, et pour finir ce point sur l’écologie en citant directement Jean Tirole : « Il semble acquis qu’une innovation technologique substantielle sera nécessaire si l’on veut contenir le réchauffement climatique. » La coopération internationale est donc nécessaire, mais pas suffisante pour contenir le réchauffement climatique.

Le problème de la fuite du capital humain en France

Jean Tirole dresse un constat accablant de la situation française en ce qui concerne les personnes hautement qualifiées. Elles ont tendance à s’expatrier. Parmi les 25 économistes français les plus influents de moins de 45 ans, seulement un vit en France : Thomas Piketty. La France forme donc des étudiants aux techniques quantitatives et à l’économie dans des écoles prestigieuses comme les ENS, l’ENSAE ou encore l’X, mais n’arrive pas à être assez attractive pour pouvoir garder ses talents.

En effet, nombreux sont les économistes français qui partent se confronter à l’économie dans de grandes universités américaines comme le MIT afin d’obtenir de meilleures conditions pour leurs travaux de recherche et trouver des homologues de haut niveau. En France, un chercheur de haut niveau dispose d’un poste au CNRS, à l’INRA ou à l’université. Dans ces établissements, un chercheur gagne trois à cinq fois moins que ce qu’il gagnerait à l’étranger dans des pays comme les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore la Suisse. De plus, il rencontrerait dans ces pays des environnements de recherche dans lesquels la qualité scientifique des interactions est meilleure, tout en ayant une plus forte rémunération.

Pour créer des emplois, il va falloir à la France une culture et un environnement entrepreneurial

Certes, le fait que des chercheurs s’expatrient pour poursuivre leur carrière est une preuve de la qualité de la formation académique dans les établissements français. Cependant, il s’agit pour la France d’une perte nette en capital humain. De plus, il est nécessaire de rappeler que la formation de ces élites a un coût, et que celui-ci est pris en charge par le contribuable. Jean Tirole précise que conserver ces personnes hautement qualifiées est crucial pour l’avenir français et même pour l’emploi en général.

Pour créer des emplois, il va falloir à la France une culture et un environnement entrepreneurial d’après Tirole. Il faudra des universités de niveau mondial pour ne pas manquer la décennie qui se profile, qu’il décrit comme un « tournant de l’histoire économique où connaissance, analyse des données et créativité vont être au centre de la chaîne de valeur ». En d’autres mots, Tirole précise que la France doit se préparer à devenir une « économie de la connaissance ». Il précise que le campus universitaire est en quelque sorte un condensé de toutes ces transformations de l’entreprise : coopération plus horizontale, valorisation de la créativité, pluriactivité, besoin de s’exprimer dans son travail… Le monde du travail des entreprises de la Silicon Valley ou de Cambridge (Massachusetts) est très inspiré des universités américaines, ce n’est pas pour rien.

La France doit offrir des perspectives de qualité pour les personnes hautement qualifiées

Néanmoins, Jean Tirole précise aussi que nous ne devons pas rejeter la faute sur les chercheurs exilés, mais plutôt sur les conditions de recherche en France. En effet, c’est à la France d’offrir aux chercheurs des conditions optimales pour qu’ils puissent réaliser leurs travaux. C’est à la France que revient la responsabilité d’être attractive, en économie comme en tout autre domaine. Pour cela, il revient à la France d’offrir des perspectives de qualité pour les personnes hautement qualifiées.

Dans le domaine de la recherche scientifique et économique, cela peut passer par la création de clusters scientifiques et technologiques comme celui du plateau de Paris-Saclay qui ambitionne de devenir la référence européenne en la matière. On retrouve actuellement à Paris-Saclay des écoles comme l’ENSAE, l’École polytechnique (X), Télécom Paris ou Télécom SudParis. Le plateau regroupe près de 15 % de la recherche publique et privée française.

Politique de la concurrence et politique industrielle

La théorie économique libérale veut que toute politique industrielle soit normalement faite pour pallier une défaillance de marché. S’il n’y a aucune défaillance de marché à pallier, l’État n’a pas à intervenir car le marché est efficient. Cependant, Tirole indique que parfois il faut aller au-delà de la défaillance de marché. D’après Tirole, quand on élabore une politique industrielle, il faut principalement résoudre les difficultés de financement des PME, pallier l’insuffisance de R&D dans le secteur privé et le manque de coordination géographique entre acteurs complémentaires. Tout ceci pour créer un environnement géographique type cluster, voire toute une filière industrielle. Par exemple, une aciérie directement à côté d’une usine qui utilise ses produits.

Les mesures pour améliorer le financement des PME

Tirole justifie ce choix en assurant que l’innovation vient de plus en plus de petites structures entrepreneuriales de type start-up plutôt que de grandes entreprises. En effet, il affirme que les chercheurs dans les grandes entreprises font parfois face à la résistance des managers qui ne veulent pas « cannibaliser » les produits existants par de nouveaux produits plus performants. De même, les chercheurs n’ont pas les incitations financières qu’ont les entrepreneurs, puisque la propriété intellectuelle ne leur appartient pas.

Tirole cite l’exemple de Shuji Nakamura, qui obtint le prix Nobel de physique en 2014 pour avoir inventé les LED bleues et reçut initialement de son employeur, à qui il avait rapporté des centaines de millions de dollars, la somme de 180 $ pour sa contribution. Cependant, Tirole explique qu’il faut créer des mécanismes d’incitation à la performance pour les entreprises subventionnées, par exemple en pondérant les subventions selon les résultats.

Tirole fait remarquer qu’un cluster peut créer une concentration d’activités qualifiées et donc un meilleur appariement sur le marché du travail au sein d’une certaine zone géographique, ce qui est un bénéfice non négligeable dans des secteurs à évolution rapide. La concentration est aussi bénéfique pour les collectivités, car elle peut entraîner un partage des infrastructures entre entreprises, amoindrissant les coûts d’aménagement. Cela peut aussi créer des effets d’entraînement technologique grâce à une proximité qui encourage les échanges informels.

Tirole encourage donc la concentration des entreprises et notamment les collectivités à développer des centres de compétitivité. Pour en savoir plus sur la logique des pôles de compétitivité, je te renvoie à cet article traitant de la compétitivité selon Paul Krugman. Néanmoins, Tirole critique la logique de « saupoudrage » des pôles de compétitivité en France. Pour illustrer cette logique, voici une carte répertoriant les pôles de compétitivité en France.

Carte répertoriant les pôles de compétitivité en France.

D’après Tirole, cela est inefficace et répond plus aux demandes des collectivités locales qu’à une stratégie claire. Mieux vaudrait concentrer les pôles de compétitivité et ne pas les éparpiller de cette manière. De plus, même quand certains pôles de compétitivité sont peu efficaces, les gouvernants ont tendance à essayer de résoudre le problème en augmentant le financement, soit pour tenter de prouver qu’ils avaient raison malgré tout, soit pour satisfaire des lobbies. C’est un exemple qui peut être utile pour illustrer la pensée des auteurs de la Public Choice Theory. Et même quand le financement public est justifié, les bénéficiaires de celui-ci s’organisent pour continuer de le recevoir, y compris au moment où il ne se justifie plus.

Pour répondre à ce problème, Tirole préconise la création d’une agence de contrôle totalement indépendante de l’exécutif qui évaluerait l’efficacité du pôle. Pour évaluer l’efficacité de ses universités, laboratoires ou même de ses pôles de compétitivité, la France ne peut se réduire à un organisme gouvernemental, ce dernier serait forcément biaisé ou non-expert. Tirole plaide pour que les collectivités aient recours à une évaluation externe par les pairs pour déterminer l’efficacité des projets à financer. Il affirme aussi qu’il faut assortir le programme d’une « clause crépusculaire », c’est-à-dire d’une clause prévoyant la fermeture en cas d’évaluations négatives consécutives.

En résumé

Tirole propose plusieurs étapes pour mener à bien des politiques industrielles efficaces. Premièrement, il est nécessaire d’identifier la défaillance de marché et d’identifier la raison de ce dysfonctionnement. Deuxièmement, il est nécessaire pour les collectivités de commander une expertise indépendante et qualifiée pour choisir les projets qui seront financés. Une fois le projet sélectionné, Tirole plaide pour le maintien d’une concurrence au sein du pays et non pas une protection agressive du projet. Enfin, il est nécessaire d’évaluer ex-post les résultats du projet et de vérifier que ses objectifs sont atteints. S’ils ne le sont pas et que le projet n’est que perte d’argent, il faut l’arrêter. Pour s’en assurer, Tirole invite à associer fortement le secteur privé à la prise de risque. C’est un indicateur : si le secteur privé n’est pas prêt à prendre le risque, c’est que le projet est douteux.

Te voilà dorénavant armé de certaines idées énoncées par Jean Tirole qui, je l’espère, t’aideront à faire la différence au concours !