productivité

Dans cet article, nous allons analyser le rôle de la productivité sur la croissance. Pour cela, nous allons d’abord expliquer le modèle de Solow afin de comprendre comment est née l’idée de productivité au centre de la croissance. Ensuite, nous étudierons quelles sont les sources de la croissance en évoquant les économistes qui se revendiquent de la croissance endogène.

Le modèle de Solow, modèle de croissance exogène

Robert Solow était un économiste américain keynésien qui reçut le prix « Nobel » d’économie 1987. Dans « A Contribution to the Theory of Economic Growth » (1956), il a établi son propre modèle économique. Il souhaite démontrer qu’une croissance stable et soutenue est possible sans pour autant créer un déséquilibre insupportable dans l’économie. Le modèle de Solow repose sur des hypothèses néoclassiques. Il admet la substituabilité des facteurs de production, l’épargne est investie en totalité, la loi des débouchés de Say est admise, la productivité marginale des facteurs est décroissante, la concurrence est parfaite, les prix sont flexibles et les prévisions des entrepreneurs sont parfaites.

Solow montre qu’il faut prendre en compte toute la combinaison productive pour pouvoir penser la croissance. C’est l’association des facteurs productifs qui engendre de la croissance économique. La croissance économique dépend donc de l’investissement et de la productivité du capital. Nous allons mathématiser un peu plus ce modèle. Le modèle de Solow repose sur plusieurs équations. Nous allons en traiter deux.

La fonction de production

Y = c.Kα.Lβ

Y est le niveau de production. K représente le facteur capital et L le facteur travail. c, α et β sont des constantes. On peut considérer que c représente la productivité générale des facteurs (nous reprendrons cette théorie plus tard). Puisque la productivité du capital est marginalement décroissante et que le reste des variables est constant, nous pouvons représenter Y graphiquement sous cette forme :

Équation : productivité décroissante et variables constantes

L’équation de l’épargne

I = s*Y

I représente l’épargne et s est la propension marginale à consommer. En ce qui concerne l’épargne, on rappelle qu’elle est totalement réinvestie dans l’économie, ce qui contribue à accroître le stock de capital K. Cependant, ce dernier se déprécie à un rythme λ. Pour contribuer à la croissance économique, il faut donc que le stock de capital se renouvelle plus vite qu’il ne se déprécie. Solow démontre que le niveau de production d’un pays est déterminé par l’investissement par tête qui y est effectué. Tout investissement supplémentaire contribue à augmenter le stock de capital jusqu’à un certain niveau et est donc générateur de croissance économique.

Cependant, on ne peut que remarquer, grâce au graphique ci-dessus, qu’à terme les économies sont condamnées à tendre vers un état régulier en raison de la productivité marginale décroissante du capital. En effet, on peut reprendre le terme mathématique de « limite ». La fonction de production telle qu’énoncée par Solow tend vers une constante. Autrement dit, malgré l’augmentation du stock de capital, le niveau de production sera constant à terme. Toute économie se dirigerait donc vers un « état régulier ».

On peut néanmoins repousser cet épuisement de plusieurs manières d’après Solow

Il évoque par exemple la croissance démographique ou la hausse du taux d’épargne. Mais sa principale thèse repose sur le rôle du progrès technique qui va rendre la combinaison productive plus efficace. Ce dernier permet d’accroître la production même si le capital ou le travail n’augmente pas. Cependant, le problème de Solow est qu’il affirme que le progrès technique est « tombé du ciel », qu’il est exogène à l’économie. C’est pour cela qu’il le définit par une constante c, puisque dans l’idée, ce dernier ne change que par de rares occasions. Solow le définit comme un facteur résiduel. C’est le fameux résidu de Solow, qui en fait correspond à la productivité globale des facteurs, terme qui inclut entre autres les conséquences du progrès technique.

À long terme, la part du résidu est toujours significative, elle peut rendre compte d’entre le tiers et la moitié de la croissance observée. Ce résidu explique l’essentiel de la croissance des Trente Glorieuses, selon les travaux de Malinvaud, Carré et Dubois. C’est donc maintenant que l’on se rend compte, grâce à ce modèle économique, de l’importance de la productivité pour maintenir une croissance stable de long terme. Cependant, comme Solow considère ce résidu comme exogène à l’économie, il n’essaie pas de fournir des explications sur ses origines ou même sur comment l’augmenter. Dès lors, ce sont les théoriciens de la croissance endogène qui vont tenter d’expliquer les origines de la productivité.

La théorie de la croissance endogène ou la productivité au centre de la croissance

Les modèles économiques nouveaux développés par les théoriciens de la croissance endogène répondent en partie aux défaillances du modèle de Solow. Pour eux, le progrès technique ne tombe plus du ciel, il est le fruit d’investissements de la part des agents de l’économie. La croissance s’y explique par les décisions des agents économiques eux-mêmes. Ce sont surtout des économistes nouveaux keynésiens et nouveaux classiques qui proposent ces théories. Les trois principaux contributeurs sont Paul Romer, Robert Lucas et Robert Barro.

Revenons aux origines du progrès technique

Tout d’abord, rappelons les bases. On distingue le progrès technique sous plusieurs formes. Les découvertes, les inventions, les innovations de procédé (ex. : NTIC), les innovations de produits, la conquête de nouveaux marchés et les nouvelles sources d’énergie. On remarque que toutes ces formes de progrès technique sont les conséquences d’investissements de la part d’agents économiques. Par conséquent, nous avons déjà l’impression que le progrès technique n’est pas naturel, mais qu’il résulte au contraire de la connaissance scientifique et technique obtenue par des investissements en R&D.

Dans l’analyse de Paul Romer, le progrès technique constitue le facteur essentiel de la hausse de la productivité. Cela remet sur le devant de la scène les théories de Schumpeter comme quoi l’innovation est un processus dynamique, car celui qui innove est rapidement imité. L’entrepreneur est à la base de l’innovation, c’est celui qui en tire parti. Mais au terme de son brevet, celui qui innove est concurrencé et doit mettre en œuvre de nouvelles innovations s’il veut conserver sa rente. C’est cette course à l’innovation qui explique la croissance économique chez Schumpeter et qui rend le progrès technique endogène.

Le progrès technique est stimulé par des dépenses d’infrastructures

Les États doivent mettre en place tout un système éducatif, des laboratoires, des universités, un système Internet, des routes afin de provoquer des externalités positives qui font baisser les coûts et augmentent donc la productivité des agents privés. Le marché ne peut pas conduire spontanément à un taux de croissance optimal, seule l’intervention de l’État va garantir l’apparition d’externalités positives liées au progrès technique.

À terme, les idées nouvelles tombent dans une sorte de socle commun et enrichissent l’humanité. Elles créent donc des externalités positives, par conséquent, il est justifié d’en faire supporter le coût par la collectivité. En ce qui concerne la recherche et les investissements en R&D, le rôle de l’État devient de plus en plus fondamental afin de gagner en productivité. Pour Romer (1990), le rythme de la croissance économique ne va pas décliner et elle peut même se poursuivre indéfiniment grâce aux rendements d’échelle constants du stock de connaissances. Les rendements croissants de la recherche compensent les rendements décroissants de l’investissement matériel.

Les institutions et la qualité des institutions occupent donc une place centrale pour les théoriciens de la croissance endogène. Sans elles, la productivité se retrouve pénalisée, tout comme la croissance économique. Douglas North (1991) a démontré que les institutions sont fondamentales et les définit comme les contraintes établies par les hommes qui structurent les interactions humaines. Elles structurent les échanges économiques et peuvent inciter favorablement au développement économique.

Le rôle des institutions est fondamental et rend compte des phénomènes de divergence entre pays

D’après North, plus les institutions sont solides, plus le pays va avoir une croissance économique forte. En pratique, la corrélation entre les deux est forte. Cela explique l’importance des choix des agents économiques. Aujourd’hui encore, la City de Londres est une des grandes places financières mondiales. Si l’on veut en expliquer la cause, il faut remonter loin dans l’histoire britannique pour trouver que dès le XVIIᵉ siècle, la Grande-Bretagne est un des pays qui s’est doté en premier d’institutions financières solides.

En 1964, Gary Becker énonce sa théorie du capital humain dans son livre Human Capital. Il présente l’éducation et la R&D comme des investissements. Le capital humain est l’ensemble des aptitudes, qualifications, expériences, talents accumulés par une personne qui sont réutilisables dans son travail. Le capital humain est pour Robert Lucas (1988) un facteur endogène de croissance, car chaque individu fait un arbitrage entre son temps de travail et son temps de formation qui détermine son capital humain.

La croissance économique dépend donc des efforts individuels et sociaux qui dépendent des choix de l’État et des choix de l’individu. L’accumulation du capital humain a des effets externes. Le niveau d’éducation d’un individu joue sur sa productivité et sur celle de ses partenaires, le rendement social de la formation est supérieur au rendement privé.

Robert Barro (1990) montre que les dépenses publiques sont directement productives et doivent être considérées comme un facteur de la combinaison productive. Ce sont les dépenses d’éducation, de recherche, d’infrastructures qui sont à l’origine d’externalités positives sur le secteur privé. Ces dépenses ont un effet cumulatif qui permet d’augmenter la croissance et l’accroissement des recettes publiques. En effet, en regardant les chiffres, on remarque que l’investissement en R&D et la croissance économique au sein d’un pays sont positivement corrélés.

Conclusion

Selon les théories de la croissance endogène, la croissance de longue période est un phénomène cumulatif et s’explique par l’accumulation des sources endogènes de croissance telles que les institutions, la R&D, le rôle de l’État, le capital humain ou encore les infrastructures publiques. Chaque source de croissance produit des effets externes positifs qui accentuent la productivité et contribuent à améliorer la croissance économique. Les théories de la croissance endogène suggèrent aussi que les mécanismes du marché sont insuffisants pour permettre une croissance de long terme, d’où la légitimation du rôle de l’État qui doit inciter les individus à accumuler le capital humain, mais aussi garantir les droits de propriété, financer la R&D ainsi que des infrastructures adéquates.