Argent

L’écrit est souvent privilégié à l’oral, pourtant l’oral peut t’aider à préparer l’écrit. Les colles en ESH sont un très bon moyen de tester tes connaissances. Que ce soit à HEC ou à l’ESCP, tu auras 30 minutes pour préparer un sujet. Le but pour le correcteur est d’abord de tester ta compréhension de concepts économiques clés, puis de voir ta capacité de réflexion. Le sujet « Les crédits font-ils les dépôts » nécessite de comprendre les concepts économiques liés à la masse monétaire et à la base monétaire. Il faut aussi maîtriser les différentes approches de la monnaie (dichotomie faible ou forte).

Introduction

Pour se remettre de la crise de 2008, la Fed a décidé de mener une politique de quantitative easing à partir de 2015. Le principe est d’injecter des liquidités dans l’économie en achetant des obligations aux banques commerciales. Avec ces liquidités, elles pourront ensuite fournir des crédits dans l’économie réelle. Ici, ce sont les dépôts préalables de monnaie banque centrale auprès des banques commerciales qui leur permettent d’accorder des crédits.

On dit alors que les dépôts font les crédits. Cependant, certains économistes comme Keynes disent au contraire que les crédits font les dépôts. Cette expression est controversée et varie en fonction des différentes formes de la monnaie, des différentes sources de la création monétaire, du type d’économie dans lequel un pays se situe et de la vision des économistes. Alors, pourquoi l’expression « Les crédits font-ils les dépôts » n’est-elle pas valable partout et diffère selon les formes de monnaie ?

I. Les anciennes monnaies matérielles

A. À l’origine de la monnaie

À l’origine, la monnaie était de la monnaie marchandise. Elle prenait la forme d’un bien qui avait une valeur propre, comme les métaux. Cette monnaie était inaltérable, divisible et reconnue. La quantité de monnaie en circulation dépendait alors du stock de marchandises en réserve. Par conséquent, il n’y avait de la création monétaire que si le stock de marchandises augmentait.

Les réserves préalables en métaux permettaient aux agents économiques de détenir une certaine quantité de monnaie. À cette période, les dépôts faisaient les crédits. La masse monétaire en circulation ne pouvait pas augmenter du fait d’un besoin de l’économie réelle. Il était impossible d’octroyer des crédits sans dépôts préalables.

B. L’apparition des premiers billets change la donne

La monnaie a ensuite été fixée sur des métaux rares (or ou argent). La quantité de monnaie en circulation dépendait du stock d’or ou d’argent. Les premiers billets sont apparus au XVIIᵉ siècle et ont permis de détenir de la monnaie sans avoir son or sur soi. Progressivement, les banques ont commencé à accorder des crédits aux agents économiques sans avoir l’équivalent en monnaie métallique. Des crédits étaient alors accordés sous réserve d’un remboursement grâce à des dépôts futurs.

Cependant, lors du bank run de 1797 en Angleterre, ce système a montré ses limites. Les banques ne pouvaient pas répondre à toute la demande de retrait d’or (elles étaient solvables mais illiquides). Le gouvernement a donc autorisé qu’elles ne convertissent pas tous les dépôts en or pour les sauver. Les économistes de la Banking School ont gagné. Les banques pouvaient désormais faire des crédits sans dépôts préalables. Elles disposaient seulement de 10 % des encaisses de leurs clients en métaux rares.

Cependant, cette vision de la création monétaire a été largement critiquée par Ricardo, grand défenseur de la Currency School. En 1844, la signature du Peel’s Banking Act oblige à la stricte convertibilité des billets en or. À nouveau, les dépôts préalables faisaient les crédits.

II. Vers une dématérialisation de la monnaie

A. Le changement causé par les Trente Glorieuses

L’économie d’endettement s’est développée pendant les Trente Glorieuses. Pour relancer la demande après la Seconde Guerre mondiale, l’État a choisi de promouvoir l’endettement. Les crédits accordés ont permis aux agents économiques d’investir et/ou de consommer, et donc de relancer la demande globale. L’endettement est d’autant plus encouragé que l’effet de levier était positif. Les taux d’intérêt étaient plus faibles que la rentabilité économique. Les banques commerciales ont accordé des crédits aux agents économiques pour répondre aux besoins de l’économie réelle. Elles se refinançaient ensuite auprès des banques centrales en monnaie centrale.

C’est dans cette vision de diviseur de crédit que l’expression « les crédits font les dépôts » prend tout son sens. Les banques commerciales effectuent des crédits aux agents sans dépôts préalables sur leur compte auprès de la Banque centrale. Puis, les banques commerciales se financent auprès de la Banque centrale qui effectue in fine un dépôt en monnaie centrale sur leur compte.

B. L’apparition de la monnaie scripturale : les crédits font les dépôts

La dématérialisation de la monnaie a changé la perception de la monnaie. La monnaie scripturale, caractérisée par les dépôts à vue des clients, ne prévoit pas une stricte convertibilité des encaisses en or. Par conséquent, augmenter la quantité d’or ou d’argent n’est pas nécessaire pour créer de la monnaie. La création monétaire est plus facilement possible. Dans l’optique « les crédits font les dépôts » (optique du diviseur de crédit), la création monétaire est effectuée par les banques commerciales. C’est en fonction de la masse monétaire en circulation que la base monétaire (monnaie créée par la Banque centrale) varie. La dématérialisation de la monnaie est allée de pair avec une hausse des échanges. Pour répondre à cette hausse des échanges, l’offre de monnaie augmente et les crédits font les dépôts.

III. Pourquoi la relation entre la base monétaire et la masse monétaire évolue-t-elle ?

Alors, pourquoi l’expression varie en fonction des époques ? Ces deux expressions correspondent à deux visions de la création monétaire. La vision du multiplicateur de crédit (les dépôts font les crédits) et la vision du diviseur de crédit (les crédits font les dépôts). Ces deux expressions expriment une relation base monétaire-masse monétaire. Dans la vision du multiplicateur de crédit, la masse monétaire en circulation dépend des prêts que la Banque centrale accorde aux banques commerciales. Elles pourront ensuite accorder des crédits dans l’économie réelle. Dans cette vision, la Banque centrale peut plus facilement gérer la masse monétaire en situation.

A. En zone euro

Dans l’optique du diviseur de crédit, ce sont les banques commerciales qui créent de la monnaie. Lorsqu’elles accordent des crédits aux agents économiques, elles font augmenter la masse monétaire. Puis, elles se refinancent auprès de la Banque centrale. Elle effectue alors un dépôt de monnaie centrale sur leur compte à la Banque centrale. La base monétaire varie alors et on dit que les crédits font les dépôts.

Mais alors, comment savoir si une économie adhère à la vision du multiplicateur de crédit ou à la vision du diviseur de crédit ? Hicks écrit en 1974 que la vision du diviseur de crédit correspond à une économie d’endettement. Avec la dématérialisation de la monnaie, il est beaucoup plus facile d’accorder des crédits sans dépôts préalables. Les besoins de l’économie changent et avec la multiplication des échanges, ils guident la création monétaire.

Ce type d’économie est typique de la zone euro. Les Trente Glorieuses sont le parfait exemple de cette économie d’endettement. Les politiques conventionnelles qui agissent directement sur les taux d’intérêt permettent de contrôler la création monétaire. Après la crise de 2008, la BCE a baissé ses taux d’intérêt pour relancer la demande et inciter les banques à accorder des prêts à leurs clients. Néanmoins, ces politiques se heurtent à la borne des taux zéro et au refus des banques commerciales d’utiliser leurs réserves. On a ainsi observé une déconnexion entre base monétaire et masse monétaire à partir de 2008.

B. Aux États-Unis

Pour Hicks, la vision du multiplicateur de crédit s’applique à une économie de marchés financiers comme celle des États-Unis. Le système américain est beaucoup plus capitalisé que le système européen. Les retraites se font par fonds de pension, l’épargne fluctue sur les marchés financiers, les entreprises les plus importantes sont cotées en Bourse. Pour se financer, les agents économiques ont davantage recours aux marchés financiers. Ainsi, les banques centrales peuvent agir sur le niveau de la masse monétaire en circulation grâce à des politiques non conventionnelles.

Après la crise financière de 2008, de nombreuses banques ont été déstabilisées (voire ont fait faillite comme Lehman Brothers). Pour relancer l’activité économique, il a d’abord fallu s’occuper des banques qui avaient des problèmes de financement. Le quantitative easing est alors né. 3 500 milliards de dollars de liquidités ont été injectés dans l’économie grâce à l’achat d’obligations par la Fed auprès des banques commerciales, ce qui leur a permis de lever leurs problèmes de financement. Les États-Unis sont finalement sortis de la crise en 2014. « Les dépôts font les crédits » : c’est ce qui permet de mieux contrôler la création monétaire dans un système financier très développé (d’autant plus que la crise de 2008 a été déclenchée par l’octroi de crédits subprimes de manière trop importante).

Conclusion

Pour conclure, l’expression « les crédits font les dépôts » n’est pas forcément toujours adaptée. Cette expression peut changer en fonction du contexte économique et monétaire. Avec la dématérialisation de la monnaie, cette expression est toutefois de plus en plus valable. Cependant, cela complique le pilotage de la masse monétaire. Cette expression sous-entend que ce sont les banques commerciales qui créent de la monnaie en fonction des besoins de l’économie. Dans ce cadre, la modification des taux d’intérêt directeurs par la Banque centrale perd de son efficacité car les banques ne réagissent pas forcément dans le même sens. Le rôle principal de la Banque centrale redevient alors son rôle de prêteur en dernier ressort.

La vision de la création monétaire est contestée après chaque crise économique. Qui de la Banque centrale ou des banques commerciales gère et doit gérer la création monétaire ? Lors de périodes de forte croissance économique et d’augmentation des échanges, il pourrait sembler plus judicieux de préférer la vision « les crédits font les dépôts » afin de répondre à la demande globale.