Comment dépasser l'Europe actuelle ?

La crise de 2008, la crise des dettes souveraines et la récente crise sanitaire ont toutes fortement frappé l’Union Européenne. En constatant une reprise économique en demi-teinte après la crise des dettes souveraines, de nombreux discours anti-européens et anti-euro ont connu un regain d’intérêt. Ayant connu leur apogée avec le Brexit, ces discours ont le vent en poupe. Face à ces divisions au sein de l’opinion publique, la plupart des économistes considèrent qu’un statu quo vis-à-vis de l’Europe est inenvisageable. Il s’agit d’agir et de prendre des décisions, soit en revenant en arrière et en démantelant certains acquis européens, soit au contraire en approfondissant l’intégration européenne. Dans cet article, nous allons étudier ce dernier point de vue en présentant trois grands axes pouvant étendre l’intégration européenne. Quand on parle d’une intégration plus poussée, on fait référence à de nombreux projets qui nécessitent une relative perte de souveraineté des pays membres dans certains domaines au profit d’une centralisation européenne.

Nous évoquerons en premier la possibilité d’une harmonisation fiscale à l’échelle européenne qui permettrait de réduire la concurrence fiscale. Ensuite, nous aborderons le thème d’une union bancaire au sein de l’Union Européenne ayant pour objectif d’éviter des crises. Pour finir, nous parlerons d’une possible union budgétaire européenne qui coordonnerait les dépenses et les dettes des pays européens.

Harmonisation fiscale

Lors des débats politiques et économiques, la question des paradis fiscaux et de l’harmonisation fiscale revient régulièrement depuis des décennies. Les responsables politiques affirment toujours vouloir résoudre le problème des paradis fiscaux. Or, résoudre ce problème exige une harmonisation fiscale à grande échelle, ici à l’échelle régionale européenne. Avant toute chose, il faut bien comprendre que l’harmonisation n’est pas l’uniformisation. On n’envisage pas ici d’imposer un certain taux d’imposition de manière égale à tous les pays européens. Au contraire, harmoniser c’est proposer un point de convergence. On ne peut pas imposer un même taux d’imposition à tous les peuples européens du fait de leurs différences en termes de niveau de vie et de croissance économique. Cependant on peut réduire les écarts si les pays européens font tous un effort collectif et coordonné. L’Europe a tout à gagner à résorber la concurrence fiscale prédatrice puisqu’une coordination des taux d’imposition entraîne une hausse des recettes fiscales.

C’est ce que l’on peut illustrer avec le schéma suivant :

On retrouve sur ce schéma deux courbes d’indifférences et deux équilibres différents. L’équilibre 1 est la conséquence d’un statu quo et d’une concurrence fiscale prédatrice au sein de l’Union Européenne. Dans cette situation, les pays se font concurrence en baissant leurs taux d’imposition afin de gagner en attractivité. La situation est donc sous-optimale au sein de l’union puisque c’est une course au moins-disant fiscal qui se met en marche.

L’équilibre 2 résulte de l’harmonisation fiscale. Les pays se sont accordés à ne pas rabaisser toujours plus le taux d’imposition afin de gagner en attractivité. Par conséquent, les taux d’imposition sont globalement élevés en Europe et les recettes fiscales qui en découlent sont massives.

Le vrai optimum de ce schéma est, vous l’aurez compris, le second équilibre qui nécessite de la coopération afin de maximiser les recettes fiscales pour tous les pays. Cet équilibre numéro 2 reflète assez fidèlement la situation actuelle de l’Europe vis-à-vis de la fiscalité indirecte, c’est-à-dire en grande partie la TVA, qui est harmonisée. Mais la situation n’est pas la même en ce qui concerne la fiscalité directe (exemple : le taux d’imposition sur les sociétés), qui est donc illustrée par l’équilibre 1. Pour remédier à cela, Thomas Piketty propose une harmonisation de l’impôt sur les sociétés à l’échelle européenne en instaurant un taux national d’au moins 20% plus un taux additionnel de 10% pour financer le budget européen.

Cependant, prendre de telles décisions prises de manière unilatérale serait une erreur et engendrerait des comportements de passagers clandestins. Par exemple, une action visant à relever le taux d’imposition de manière unilatérale dans un pays A entraînerait inévitablement un transfert des capitaux vers un pays B où la fiscalité est plus avantageuse. Pour résoudre ces problèmes fiscaux, il faudrait une décision commune de la part de plusieurs pays formant une région économique attractive. C’est pour cela que plusieurs économistes plaident pour une harmonisation fiscale européenne. Cependant, le projet a peu de chances d’arriver à maturation. En effet, l’organisation même de l’Union Européenne rend son instauration délicate. Dans la mesure où une telle politique doit être acceptée par les 27 pays membres, un blocage de la part de certains pays qui profitent du système actuel comme l’Irlande ou le Luxembourg empêche une prise de décision. Pour pousser l’intégration européenne plus loin, on peut donc en conclure que dans certains cas il faudrait une Europe avec un mode de scrutin à la majorité absolue. Par conséquent, une réforme du mode de fonctionnement de l’UE est nécessaire pour qu’une telle mesure soit approuvée.

Union bancaire

Le problème des banques européennes provient de leur capacité à produire un aléa moral : les banques peuvent prendre des risques inconsidérés en sachant qu’elles sont too big to fail. On a eu un exemple de la sorte en France avec la quasi-faillite du Crédit Lyonnais en 1993. Une union bancaire européenne permettrait de pallier cet aléa moral en régulant la taille des banques et en posant des réglementations. Christine Lagarde, actuelle présidente de la BCE, s’est prononcée « en faveur d’une supervision financière unifiée, d’une autorité de résolution bancaire unique et d’un seul fonds d’assurance dépôt afin d’éliminer les perverses interactions entre les dynamiques d’endettement public et les difficultés bancaires ». Il est nécessaire de rappeler que l’activité bancaire européenne et américaine repose actuellement sur une socialisation des pertes et une privatisation des gains puisque dès qu’une banque est en faillite, ce sont les contribuables qui lui viennent en aide. En revanche les gains des banques sont systématiquement privatisés. Une union bancaire permettrait d’éviter l’aléa moral des banques dit du « too big to fail » dans la mesure où les banques devraient partager, et par conséquent réduire, leurs risques.

Nicolas Véron, économiste français pro-européen, propose quant à lui trois étapes pour établir une union bancaire plus poussée au sein de la zone euro. Premièrement, les banques doivent partager plus largement les risques et éviter tout aléa moral. En cela, il rejoint les propositions de Christine Lagarde. Deuxièmement, les autorités européennes doivent pouvoir procéder à des restructurations bancaires sans nécessiter l’aval des autorités nationales et ce de manière impartiale. Cette mesure est clairement une mesure d’intégration européenne puisque les États perdraient de leur souveraineté en l’adoptant. Troisièmement, il est nécessaire d’après Nicolas Véron d’améliorer la confiance des déposants envers les banques afin d’éviter les mouvements de retraits en panique (bank run) en garantissant l’ensemble des dépôts de la zone euro.

Union budgétaire

Plusieurs auteurs, dont Agnès Bénassy-Quéré, proposent une mutualisation des dettes européennes ainsi qu’une utilisation d’une dette commune en étendant les sphères d’intervention de l’UE. Le but de ces mesures est de pouvoir constituer une assurance chômage européenne ainsi que de mieux coordonner les politiques budgétaires nationales. Une telle avancée permettrait aussi d’aider, grâce à un budget commun, les zones défavorisées en créant ce que Michel Aglietta appelle une « union des transferts » dans son livre Un New Deal pour l’Europe (2013). De même, Aglietta propose d’émettre des greenbonds européens, c’est-à-dire des obligations ayant pour finalité de financer un fonds vert européen et par conséquent de permettre d’accélérer la transition écologique.

Cependant, ce projet d’union budgétaire n’est pas au goût du jour puisque plusieurs pays, dont l’Allemagne, s’y opposent. Cependant, l’Allemagne a fait savoir qu’elle accepterait le projet si des progrès en matière de discipline budgétaire sont constatés au sein de la zone. Malheureusement, la crise des dettes souveraines a repoussé davantage la possibilité d’une discipline budgétaire à l’allemande dans la tradition ordo-libéraliste. De plus, certains économistes avancent qu’une union budgétaire en Europe est irréalisable à cause des disparités entre pays. Par exemple, la Bulgarie n’a pas du tout la même allocation de son budget que la France puisqu’elle n’a pas le même niveau de développement.

Te voilà désormais armé(e) de trois nouvelles idées à développer au cas où tu serais amené à composer sur l’Europe et l’intégration européenne !